Quel bonheur de passer du délicieux roman "Mrs Palfrey, Hôtel Claremont", d'
Elizabeth Taylor, à cet "
Hôtel du Lac" !
Pour, bien sûr, qui apprécie les atmosphères de huis-clos, l'ambiance calme en clair-obscur de ces hôtels où l'on se plaît à observer jour après jour le comportement de ses pairs et le petit théâtre de la comédie humaine qui s'y joue.
Une auteure de romans sentimentaux londonienne, célibataire, d'une quarantaine d'année, Edith Hope (sic), vient se retirer le temps de la saison d'été dans un hôtel situé sur le bord du lac Léman.
On apprendra au fil du récit que c'est sur conseil (ou plutôt injonction) de ses amis qu'elle s'est rendue à cet hôtel. Elle va y croiser les quelques pensionnaires qui y séjournent et on en apprendra peu à peu davantage sur les raisons qui ont conduit Edith à l'
hôtel du Lac.
Ce roman est un récit d'atmosphère, habité par une mélancolie particulière, celle d'un lieu, un lac suisse morne et souvent embrumé, face à un paysage clos (un château, une montagne), celle d'une chambre d'hôtel dépouillée, mais une mélancolie avant tout liée à la solitude physique et morale de sa pensionnaire.
Car c'est surtout un roman sur la solitude. D'une enfant, puis d'une adulte, qui ne réussit pas à trouver sa place parmi les hommes : ni maîtresse adulée, ni épouse consacrée, ni veuve entourée. Dans cette précarité sentimentale (et celle sociale qui en découle) qui en font une reléguée.
Dans l'état où elle se trouve, Edith ne peut véritablement communiquer avec les autres pensionnaires de l'hôtel, elle se fait surtout observatrice et réceptacle.
Tout au long du récit, elle s'interroge sur ses choix ou non-choix de femme solitaire, elle questionne le comportement des hommes et des femmes, sans réussir à se positionner, ou bien se tenir à l'écart.
Ce récit d'une retraite introspective se déploie en une construction ciselée, telle celle d'une nouvelle dont le format aurait été élargi au roman.
On goûte page après page à l'écriture littéraire, à l'intelligence vive et à l'humour incisif de l'auteure. Les portraits des pensionnaires de l'hôtel sont l'oeuvre d'un regard aiguisé, parfois drôle ou cruel. A travers Edith, c'est le lecteur qui participe aux rituels de l'hôtel et c'est lui-aussi qui partage la compagnie de ses hôtes.
On ressent de l'empathie pour la narratrice et c'est nous, à travers elle, qui sommes embarqués à l'
hôtel du Lac.
A la lecture du roman, j'ai pensé à
Jane Austen, pour ses observations fines et sensibles de son entourage et ses questionnements sentimentaux, et aussi à
Barbara Pym pour l'existence solitaire frustrée d'Edith, que n'accompagnent que de micro-événements.
On referme ce livre comme le couvercle d'une boîte sur un bijou précieux.
Celui-ci, tout littéraire, étincelle de finesse, de sensibilité et d'intelligence.
Et la préface de
Julian Barnes ajoute au bonheur de lecture.
Seule frustration : que la plupart des ouvrages traduits en français de cette grande romancière anglaise soient épuisés ou indisponibles. Mais n'est-ce pas le cas de tant d'autres hélas :
Elizabeth Bowen,
Elizabeth Taylor,
Susan Hill (ses romans fantastiques)… ?