Sans foi ni loi

Que les choses soient claires : si Stenson n'avait pas déjà été abattue, chassée ou violée à cause de sa façon de vivre, je suis persuadé que c'est parce qu'elle était mère. Ce qui faisait que Carson et la plupart des types qui traînaient au saloon supportait qu'elle fume, crache, porte jean, chemise et cheveux courts, c'est parce qu'elle avait donné la preuve de son rôle dans le monde. Elle s'était couchée sous un homme et avait enfanté dans la douleur. Elle ne respectait pas les règles, c'est vrai, mais elle avait obéi à la plus importante. C'était ce qui la rendait libre, aussi ambivalent ou absurde que ça puisse paraître.

Abigaïl Stenson éclate de rire dans mon dos et son rire est puissant comme une chute de pierres. Rien du cristallin des paroissiennes ou même des prostituées de Bodie, mais un rire de coffre, de tricheur au poker, de vacher.

Je n'avais jamais vu un ours aussi près. Dressée sur ses pattes arrières; son envergure géante, sa gueule immense et ouverte m'ont tétanisé. J'ai continué à reculer mais mes jambes tremblaient si fort que j'avais peur e tomber à la renverse. J'ai cru qu'on s'était suffisamment éloignés pour que l'ourse soit tranquillisée – c'était pas le cas, pas le cas du tout, même : elle s'est soudain laissée tomber sur ses pattes avant de tout son poids et s'est élancée vers moi. Une course brutale, mole et rapide à la fois.
- Cours, Garett ! A hurlé Stenson.

Je ne te promets pas que la tentation de l’illégalité ne nous a jamais saisis. Peut-être même qu’elle reviendra. Dans ce pays si grand où l’argent coule à flots et les miséreux se multiplient, c’est difficile de ne pas trouver légitime le fait de se servir un peu.

– notre amitié naît de cela, et d’une évidence qu’on ne saurait nommer ; on tombe amis comme on tombe en amour.

On peut pas être ce que d’autres veulent, ou alors pas longtemps.

— Écoute, Ab, t’as quitté chaque endroit où tu voyais l’ombre d’une barrière.

Que Stenson ait choisi de porter un pantalon , une chemise, et de vivre une vie d’homme, ça, personne ne lui pardonne. La preuve en cris de haine, déchaînée par les mots du juge.

Une bête sauvage. Sans foi ni loi.

De mon lit, la nuit, je l'entendais parfois couiner de désespoir, incapable de comprendre pourquoi sa mère ne venait pas l'enlacer au cœur de ses terreurs nocturnes. Au début, ni mes frères ni moi n'avons su réagir. Mais ce n'était pas l'absence de savoir-faire qui nous laissait inaptes, immobiles, témoins cruels de ses cris de détresse, Esther criait pour nous. Elle pleurait à notre place, et nous nous projetions dans son petit corps cassé de chagrin, nous les grands, bras le long du corps et yeux secs.