Un personnage historique peut traîner longtemps derrière lui une mauvaise réputation. Mais si un travail historique rigoureux et non tendancieux vient corriger le regard que l'on peut porter sur l'individu que l'on a pris l'habitude de vouer aux gémonies, alors on peut considérer qu'un pas est fait qui permet de revenir sur des préjugés, que l'on doit souvent au positionnement politique de l'intéressé, selon qu'il fut "pour" ou "contre" notre camp, et que nous cataloguions les acteurs en amis ou en ennemis, à ne considérer les choses que dans une perspective nationale.
C'était manquer d'objectivité sur le roi de Navarre, Charles II dit le Mauvais (1332 - 1387), que de ne voir en lui et en son action que des aspects négatifs, simplement parce qu'il osa revendiquer des droits qu'il pensait légitimes, parce que sa revendication de la couronne de France s'appuyait sur le fait qu'il était le fils de Jeanne d'Évreux, elle-même fille du roi capétien Louis X le Hutin, parce qu'il eut la malchance de se voir opposer la force des Valois qui, rejetant les prétentions de tous ceux qui pouvaient réclamer la couronne de France par transmission grâce à l'intermédiaire d'une femme, s'installèrent sur le trône en écartant les possibles candidatures d'Édouard III, roi d'Angleterre, et de Charles II, roi de Navarre.
Mais, s'insurgeant contre la politique du fait accompli, bien des années après la prise de pouvoir par Philippe VI de Valois en 1328, Charles le Mauvais tenta de profiter de toutes les situations qui pouvaient lui permettre de revenir dans la course. Ainsi quand Jean II le Bon fut fait prisonnier par les Anglais à Poitiers, en 1356, et que le Dauphin (le futur
Charles V le Sage) eut à affronter la révolte des bourgeois parisiens conduite par Étienne Marcel, les Valois se trouvant tout à coup en situation de faiblesse, Charles de Navarre n'hésita pas à se mettre sur le devant de la scène, révélant même des qualités de tribun lorsqu'il harangua les Parisiens.
C'est une réussite de
Bruno Ramirez de Palacios, en regardant les choses du point de vue opposé à celui qui valorise les Valois, de rétablir un juste équilibre dans l'approche que l'on peut avoir de l'action du Navarrais - action malheureuse convenons-en, le sort des armes et les événements lui ayant toujours été défavorables ; du Guesclin vainquit ses troupes à Cocherel, et
Charles V put, du coup, être sacré à Reims ; c'est donc admettre que ce n'est que parce qu'il avait été vaincu qu'il eut tort, au regard de l'Histoire.
Est-ce vraiment avoir tort d'essayer de prendre ce que l'on estime mériter de recevoir et de ne pas y parvenir ? le livre de
Bruno Ramirez de Palacios fait la synthèse de ce que nous savons de l'action de Charles le Mauvais en Navarre et des ambitions pour la réalisation desquelles il s'activa en France. C'est, de ce point de vue, un excellent travail.
Mais si l'on peut regretter que Charles II de Navarre n'ait pas pu mettre en valeur ses qualités personnelles en prenant les commandes en France, on ne saurait oublier que les Valois lui furent préférés, et qu'il y eut des raisons à cela, même si leur présence sur le trône de France nous valut la guerre de Cent Ans.
François Sarindar, auteur de :
Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2010)