Avec
La République des faibles, je m'aperçois que mes lectures relèvent habituellement d'une morale à peu près sauve, aussi évolutive et fluctuante soit-elle selon les personnages et les époques : il y a des fanfreluches et des élans romantiques pour la romance historique, des élucidations macabres pour les romans policiers, du sang, des meurtres abominables, du suspens, des péripéties, oui, mais en général tout est bien qui finit à peu près bien. Je ne vous dirais pas ce qu'il en est pour
la République des faibles mais sachez au moins qu'aucun des personnages ne serait retenu pour figurer dans une romance. Même un roman d'
Anne Perry serait encore trop optimiste pour l'ensemble de cette clique miséreuse. On est dans du vrai roman noir, là. Nous sommes à Lyon, au moment où l'affaire Dreyfus fait s'entredéchirer toutes les familles. 1898. Les conditions de vie des classes populaires mêlent pauvreté, hygiène déplorable, alcoolisme et moeurs douteuses. La police n'est guère mieux lotie et ressemble beaucoup aux hères qu'elle a pour mission de garder du chaos. Deux meurtres se succèdent sans lien apparent : un enfant dont on a retrouvé le corps sans tête dans une décharge et un policier réputé pour son implication politique dans la Ligue antisémite. Parmi la galerie de portraits que fournit l'enquête, nous avons un marxiste qui fait le coupable idéal, quelques simples d'esprit revenus bien amochés de la guerre de 70, une mère indigne, l'étrange famille du pharmacien en cours d'ascension sociale, quelques chiens galeux, quelques enfants pouilleux, beaucoup de coups, beaucoup de souleries, quelques tromperies aussi.
C'est donc, à mon sens, davantage le tableau social d'une époque qui fait le sel de ce roman. L'intrigue policière se tient mais elle soutient plus qu'elle ne justifie l'exploration de ces quartiers populaires de province. Elle est l'occasion d'exhiber tous les dysfonctionnements d'un monde rongé par les idéologies délétères, le manque d'avenir pour des classes laborieuses qui semblent contribuer avec un bel entrain à leur propre sabotage à force de coups de sang, et de trop de coups au zinc. On ne peut donc pas dire que le roman rétablisse l'ordre et que le travail d'enquête ait restauré le monde dans son équilibre un temps chahuté. Non, à la fin, il y a toujours autant de fêlures, toujours autant de misère, toujours autant d'injustices. Noir, c'est vraiment noir.
Alors si je n'ai pas été entièrement subjuguée par ce roman, je ne saurais dire si c'est parce qu'il équilibre mal les codes du genre policier et ceux de la fresque historique pour largement privilégier cette dernière ou si c'est parce que je suis davantage une lectrice de polar classique que de roman noir.