Peindre un sourire
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Ce tome fait suite à
Everything Volume 1 (épisodes 1 à 5) qu'il fait avoir lui avant, car les deux constituent une histoire complète. Il regroupe les épisodes 6 à 10, parus directement en recueil, sans prépublication pour cause de crise sanitaire. Comme le premier tome, le scénario est de
Christopher Cantwell, les dessins, l'encrage et les couleurs ont été réalisés par
I.N.J. Culbard. Ce tome apporte une conclusion au récit.
Page de réclame : toutes les formes de montre sont disponibles au grand magasin général Everything. Dans la belle maison de Owl's Perch, la vieille femme du phare pénètre de nuit dans la chambre des enfants. Elle leur touche le front du doigt, laissant une trace bleue et une trace orange, sans les réveiller, leur souhaitant une meilleure santé. Leur père se réveille alors qu'il rêvait de la bicyclette que son grand-père lui avait offerte. La vieille femme se tient devant lui et lui dit qu'elle peut soigner ses blessures. Ils sont interrompus par l'arrivée de trois individus armés qui défoncent la baie vitrée. Elle leur lance son pot de peinture orange à la figure, ce qui crée une diversion lui permettant de fuir avec le père. Ils passent prendre les deux filles dans leur chambre. Ils parviennent jusqu'à l'abri du canot : la femme et les filles montent à bord et s'éloignent. le père a conservé une rame et se retourne pour faire face à son poursuivant. Il lui en assène un grand coup et fracasse son casque : il découvre que c'est un robot.
Alors que l'hypermarché n'est pas encore ouvert, l'équipe d'employés se retrouve pour la réunion préparatoire : le responsable Steven, et les autres Lori, Ned, Michelle, Scotty, Mandy, Dobie, et même Shirley est de retour prête à reprendre sa place de manager. Elle comprend à demi-mots que Lori a pallié son absence, et elle l'invite à une soirée cinéma chez elle pour la soirée. En 1970, pendant la guerre du Vietnam, Rick et Hutch sont en opération au milieu de la jungle, en observation. Soudain une explosion se produit et Hutch se retrouve coupé en deux. Il meurt sous les yeux de son camarade en évoquant son groupe de rock au lycée. En réalité, Rick se trouve inconscient allongé et entravé sur une table, en train de subir un endoctrinement subliminal. Mais ce dernier ne prend pas à cause de ses tympans endommagés. Marshall Gooder répète à Steven qu'il est indispensable que l'antenne puisse moduler les ondes Béta de tout le monde, sinon l'attrition, la mort et l'insurrection continueront de régner. Il demande ensuite si Lori
Dunbar a été complètement modulée : Steven répond par l'affirmative, qu'elle est entièrement sous leur contrôle. Shirley ajoute qu'elle a prévu de le vérifier le soir même. Gooder demande à cette dernière de s'occuper également de Turmon, le père des deux fillettes. Enfin il demande à Steven de continuer les investigations relatives au phare car il impératif qu'ils sachent ce qu'il y a à l'intérieur.
Dans la préface du premier tome, le scénariste avait explicité son intention : raconter une histoire de genre, en considérant Twin Peaks de
David Lynch &
Mark Frost, comme un genre en soi. Il avait plutôt bien réussi à capturer l'étrangeté de cette série, les sous-entendus, le mystère. le lecteur revient donc en supposant qu'il en sera de même pour cette deuxième partie. Il découvre qu'il s'agit de la fin de la saison avec une résolution qui n'appelle pas particulièrement de suite. du coup, le récit change un peu de genre puisque les auteurs apportent une explication à chaque mystère. Ils retracent la vie de Marshall Gooder, le propriétaire des magasins Everything, et expliquent comment il a acquis et mis en oeuvre la capacité d'influencer les clients. Ils expliquent également qui est l'Interlocuteur et son lien avec Shirley, qui est la vielle dame du phare, et ce que Lori
Dunbar a de particulier, sans oublier Mister Bear. En fonction de ses attentes, le lecteur peut se trouver un peu désappointé de ce changement de registre, ou au contraire satisfait de comprendre la logique qui sous-tend ce récit. Dans les deux cas, la surprise est au rendez-vous.
L'intrigue reprend donc le dessus et le petit groupe d'individus qui n'ont pas succombé à la bienveillance imposée de Everything, entre en résistance active. le lecteur retrouve ces individus bizarres : Lori
Dunbar paisible et calme, acceptant les choses comme elles sont, Shirley qui apparaît plus carriériste que jamais, Steven (ou Steve, ou Stephen) aussi sérieux qu'intransigeant, et Marshall Gooder à l'apparence affable et débonnaire, mais aux idées bien arrêtées. Les dessins ont conservé leur apparence simple et gentille, avec des émotions parfois peu filtrées, et des décors simplifiés, ce qui donne une lecture rapide, et une assimilation immédiate de chaque case. Effectivement en regardant Lori, le lecteur voit une jeune trentenaire posée, tranquille au point de paraître parfois naïve, et sûre de ses valeurs. Elle possède un physique ordinaire, et n'est jamais réduite à un simple objet même dans sa robe bras nu. Par comparaison, Shirley apparaît beaucoup plus dynamique dans son langage corporel, beaucoup plus entreprenante, avec une silhouette plus soignée et plus séduisante, mais là encore sans être réduite à un objet de concupiscence. Il est impossible de ne pas se détendre devant la bonhommie de Marshall Gooder, un homme d'une soixantaine d'années, de petite taille, toujours souriant, avec une belle moustache, une sorte de grand-père affectueux, avec un petit air de
Stan Lee, sans son côté bateleur et bonimenteur. Sarah, l'habitante du phare, est son pendant féminin, petite et rassurante également, mais sans la fausseté inquiétante de Marshall. Mister Bear, la peluche d'ours bleu, reste de la partie, élément enfantin en décalage avec le reste, faisant ressortir le réalisme avec lequel l'artiste dessine les autres personnages.
Dans cette deuxième partie, ce thriller comporte plus de séquences d'action : combat physique contre des agresseurs casqués et armés, explosion sur un champ de bataille, combustion spontanée d'un être humain, filature, intervention violente d'une femme cagoulée, acte terroriste avec une ceinture d'explosifs, etc. À nouveau, les dessins s'approchant de la ligne claire savent montrer l'horreur de la violence, des chairs meurtries et les corps abimés. le lecteur se rend compte que I.J.N. Culbard est un maître pour réaliser des dessins semblant un peu naïfs et simplets, mais en fait comprenant un nombre de détails qui les rend très consistants, y compris pour les décors. Ainsi il constate la présence d'architectures singulières (la maison au bord du lac), les escalators à l'intérieur du centre commercial Everything, les casiers dans le vestiaire, le mobilier de bureau impersonnel, les étagères remplis de Mister Bear, le champ de fleurs vermillon et azur. À plusieurs reprises, le lecteur se retrouve surpris par la force d'un dessin que son apparence n'aurait pas laissé supposer.
Le lecteur retrouve avec plaisir les principaux protagonistes de l'histoire, et regrette un peu que Rick ou un autre employé de Everything ne dispose pas de plus de place pour exister. Il est fort aise que le récit avance rapidement qu'il apprenne de quoi il retourne dans le fond. Il s'attendait à ce que le scénariste continue de développer les effets du consumérisme, non pas comme dévoration de ressources finies, mais comme succédané à toute spiritualité, à toute réflexion. En introduisant les Vrom, il préfère reprendre un thème plus classique : un individu animé de bonnes intentions souhaite imposer la sérénité et le bonheur à la population mondiale. Cantwell sait monter comment Gooder en est arrivé à cet objectif dans sa vie, lui donnant ainsi une crédibilité d'individu, et le rendant en même temps tragique. Mais dans le même temps, ce thème s'avère moins prometteur que celui du consumérisme gratuit, peu développé. le lecteur peut alors prendre un peu de recul et considérer le récit sous un autre angle : un individu animé de bonnes intentions pour faire le bien de la société, et qui reçoit les moyens de le faire selon sa vision, selon sa volonté. Outre la notion de bonheur imposé et de totalitarisme, vient l'échec assuré d'un projet égocentré, excluant tout apport extérieur, toute forme de construction à plusieurs.
Ce deuxième tome vient conclure le récit de manière claire et satisfaisante, tout en changeant un peu l'orientation thématique. le lecteur apprécie toujours autant de côtoyer ces individualités marquées, et reste très impressionné par l'apparente simplicité évidente des dessins qui pourtant racontent beaucoup plus de choses qu'il n'y paraît. Il prend plaisir à ce thriller divertissant, à ces révélations sur la finalité d'Everything, tout en regrettant un peu l'abandon du thème du consumérisme qui semblait plus prometteur que celui d'une harmonie imposée à la population humaine. Cela ne l'empêche pas de sourire au constat formulé par un des résistants : on est peut-être des consommateurs, mais on veut rester libres.