Ce tome est le premier d'une série consacrée au personnage dont une connaissance superficielle suffit pour apprécier la trame générale de l'histoire. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2019/2020, écrits par
Christopher Cantwell, dessinés et encrés par
Salvador Larroca, et mis en couleurs par le studio Guru-eFX. Les couvertures ont été réalisées par ACO (épisodes 1 à 3) et par
Tomm Coker (épisodes 4 & 5). le recueil contient également les couvertures alternatives d'Arthur Adams,
Steve Ditko, Simone Bianchi,
Cliff Chiang,
Larry Stroman, Patch Zircher,
Will Sliney,
Belén Ortega. le tome se termine avec une histoire de 10 pages, illustrée par
Cian Tormey, initialement parue dans War of the Realms: War Scrolls 1.
Tony Stark et Reed Richards ont conçu une technologie permettant de créer un mini trou noir afin d'absorber les émissions de CO2 de la Terre. Cette machine a été construite installée sur une base lunaire, appelée Centre de Contrôle Antlion, et elle va être mise en service. le résultat attendu est estimé à 35% d'absorption lors de la première année d'exploitation de cette usine d'assainissement. Lors d'une émission de télévision, Steve, le journaliste, interroge un scientifique sur la possibilité que cette installation mette un terme au réchauffement climatique : la réponse est peut-être, mais cela n'annulera pas la fonte des glaciers. Puis le journaliste interroge son autre invité par satellite : le docteur Victor von Doom, en direct de Doomstadt en Latverie. Il lui pose des questions orientées, ironisant sur son titre de docteur, et sur sa position de dictateur. Doom met fin à l'entretien, énervé. Il sort ensuite de la pièce, dans l'immense corridor, pour se rendre sur les fortifications. Chemin faisant, il écoute les dernières informations que lui annonce Zora Vukovic, et lui répond en lui donnant ses consignes. Il termine en demandant que le journaliste Steve lui soit amené. Arrivé à l'air libre, il se tourne vers Petra, une assistante, prend des nouvelles de son père Larin, lui demande de regarder la Lune un instant, et souhaite savoir si elle pense que l'installation Antlion va sauver quoi que ce soit.
Le soir, Doom est dans son immense bureau en train de rédiger ses mémoires, mais il bute sur une phrase. Subitement, Kang se matérialise dans la pièce, en demandant où il se trouve, et ce qu'il fait là. Doom en profite pour lui demander s'il se souvient du projet Antlion et ce qu'il en est advenu. Son interlocuteur répond qu'il ne s'en souvient que très vaguement. Son hôte évoque l'histoire d'un artiste qui peignait avec toutes les couleurs de sa palette, mais qui en appréciait une plus que les autres. Mais quand il n'eut plus de cette couleur, il fut incapable d'en retrouver. Kang saisit parfaitement cette parabole sur la poursuite du bonheur. Et il disparaît. Doom se décide à aller faire ses ablutions avant d'aller se coucher avec les paroles d'une chanson romantique en tête. Alors qu'il ajuste les bandelettes sur son visage pour la nuit, il éprouve la sensation d'être ailleurs, assis par terre en train de jouer avec ses deux enfants, le visage intact, alors que son épouse Fruzsina rentre du travail, évoquant le succès proche de son projet de maîtrise du climat. Victor tourne le bouton de la poignée de porte et a l'impression de se retrouver sur la surface de Lune, devant l'installation Antlion, avec un trou noir dans le ciel. le lendemain, Petra lui donne des informations sur les premiers résultats à la suite à la mise en service d'Antlion : ils sont excellents. Elle suggère à Doom de faire une déclaration à la presse sur le sujet : il refuse. Quelques heures après la station Antlion explose à la surface de la Lune.
Une nouvelle série sur Doctor Doom ? Pourquoi pas, mais ce n'est pas si facile que ça de le sortir de sa posture caricaturale de dictateur, ou de sorcier irresponsable. D'un autre côté,
Christopher Cantwell a acquis sa notoriété en tant que cocréateur de la série TV Halt And Catch Fire . Puis il a écrit deux séries de comics intéressantes :
She could fly avec
Martin Morazzo, et Everything avec
I.N.J. Culbard. Enfin il est accompagné par un dessinateur expérimenté. L'histoire commence abruptement par cette invention sortant de nulle part et un peu déconcertante : une fois n'est pas coutume, deux superhéros de génie ont décidé de mettre leur intelligence au service d'un vrai problème. Sous réserve de ne pas trop tiquer sur l'invention de départ qui rompt une convention implicite des comics de superhéros (ils ne résolvent aucun problème réel), le lecteur suit le docteur dans une histoire mêlant politique et psychologie, sur fond de course-poursuite et d'enquête pour trouver le coupable. À peine la station Antlion a-t-elle explosé que les nations estiment que le coupable ne peut qu'être Doctor Doom et elles envoient une délégation du pays voisin (Symkaria) pour aller arrêter le dictateur. S'il est habitué de l'univers partagé Marvel, le lecteur en déduit tout de suite quel autre superhéros va être impliqué. Bien sûr Doctor Doom ne va pas se laisser faire… Hé bien si, il se laisse arrêter et destituer par les autorités d'une autre nation. Mais sa détention est de courte durée et il devient un fuyard. Enfin, il reste la question de savoir qui a réellement provoqué la destruction d'Antlion. Doom en vient à douter de lui-même, se demandant s'il ne s'est pas arrangé pour faire commettre ce sabotage, et parvenir à l'oublier.
Le scénariste développe ainsi plusieurs pans de son intrigue, s'appuyant sur les dessins du vétéran
Salvador Larroca. Celui-ci réalise des dessins dans un registre réaliste et descriptif, avec des traits de contours très fins, et un peu souple, et un usage très modéré des surfaces noires, généralement de petite taille. Ses dessins sont complétés par une mise en couleurs soutenue, avec une palette plutôt sombre, sauf lors de l'utilisation de superpouvoirs ou de sorcellerie. le studio Guru-eFX installe une ambiance pour chaque scène avec une tonalité lumineuse ou une nuance principale. Il rehausse systématiquement le relief de toutes les surfaces. Les pages ainsi complétées donnent l'impression que les couleurs apportent au moins un tiers des informations visuelles, participant dans une part significative à raconter l'histoire. L'artiste respecte complètement l'apparence du docteur, avec son masque de fer, son gros ceinturon de cuir, sa tunique et son armure. Il n'y a pas une once de moquerie dans ses dessins ce qui convainc le lecteur de les prendre au premier degré. Il n'y a que lorsque Doom n'a plus son masque de fer, que les cicatrices de son visage ne semblent pas si hideuses que ça. Mais le lecteur se souvient qu'il s'agit avant tout d'une question de fierté pour le personnage, et qu'effectivement, il a déjà été indiqué que ses cicatrices ne sont peut-être pas si profondes.
De même, le dessinateur représente les autres superhéros au premier degré, avec toujours ce souci d'être réaliste. Comme ils sont intégrés sur le même plan que le reste, ils ne déparent pas et ayant accepté l'armure de Doom, le lecteur n'a pas besoin de consentir un petit plus de suspension d'incrédulité, car tous les autres personnages les considèrent comme allant de soi. Les civils sont plausibles, représentés de manière naturaliste, avec des tenues vestimentaires ordinaires et différenciées. Larroca s'investit pour représenter les décors. Ils le sont avec une régularité, et un bon niveau de détails. le lecteur peut prend son temps pour observer l'architecture de la base lunaire, le couloir monumental et sa riche décoration, le luxueux ameublement du bureau du dictateur, la salle de commandement ultramoderne du palais, les remparts et les tours massives du château de Doomstadt, les néons de Time Square, le Flatiron Building, la Statue de la Liberté, la salle des serveurs de l'AIM, etc. Les affrontements sont brefs, dans des séquences rapides montrant clairement les dégâts occasionnés par les superpouvoirs, ainsi que la force des coups portés.
Le lecteur se laisse facilement emporter dans le récit, se demandant ce que le scénariste réserve au monarque. Ce dernier est donc rapidement déposé, et le voici devenu un fugitif. C'est une bonne tactique scénaristique : Doom passe ainsi du statut de dictateur tout puissant, à victime (peut-être), obligé de se défendre, alors qu'il ne dispose plus d'aucune ressource. Bien secondé par les dessins, Cantwell insère des références à l'univers partagé Marvel, les utilisant avec une réelle élégance, et un bel à propos. le lecteur souri en voyant passer Spider-Man devant la fenêtre d'un appartement où discutent deux personnages. Il sourit de nouveau en voyant arriver HERBIE, le robot utilisé par les Fantastic Four, doté une intelligence artificielle à la personnalité un peu particulière. Il constate que le scénariste connaît bien son affaire et est au fait de la continuité, que ce soit avec la présence de Victorious (Zora Vukovic), l'antagonisme entre la Latvérie et le Symkarnia, ou encore les pouvoirs de Blue Marvel (Adam Brashear). Pour autant, Cantwell n'en abuse pas, ne noie pas son récit dans les références. Il entremêle donc plusieurs composantes dont une mystérieuse sur une vie alternative de Doom, et sait ménager des surprises de taille (un personnage abattu par une balle qui lui traverse le crâne). Il ne cherche pas à révolutionner le personnage, mais à raconter une bonne histoire, et ça fonctionne bien.
Alors qu'il peut estimer que le personnage de Doom est daté et difficile à écrire, le lecteur se rend vite compte que Cantwell s'en sort très bien avec une histoire originale et consistante, intrigante, bien ancrée dans l'univers partagé Marvel mais sans en devenir absconse, respectant le caractère de Doom, sans le caricaturer ou le railler. Il bénéficie de la solide narration visuelle de
Salvador Larroca fortement impliqué, que ce soit pour les personnages ou pour les environnements, avec des dessins bien nourris par la mise en couleurs.