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sur 1071 notes
Quand je pense à Isabelle Carré me vient immédiatement à l'esprit les dernières minutes du film de Zabou Breitman "Se souvenir des belles choses". L'héroïne, incarnée par l'actrice, parle et de sa bouche ne sortent plus que des sons incompréhensibles. La maladie, en plus de la mémoire, lui a aussi volé les mots. Cette scène me poursuit depuis longtemps, moi qui aime les mots parfois au delà du raisonnable. Dans la dernière partie de son roman "autobiographique", Isabelle Carré dit avoir l'habitude d'être cataloguée "discrète et lumineuse" par de nombreux journalistes. Ce n'est pas l'idée que je me faisais d'elle, tant les fêlures apparaissent dans son jeu d'actrice.

J'avais quelques réticences avant d'ouvrir ce livre. Je crains toujours d'en apprendre trop sur la personne qui se dévoile. Livrer une part d'intime n'est pas pour moi un acte anodin, à une époque où certains écrivains y trouvent leur fonds de commerce. Elevée dans le culte (ou le carcan) de la pudeur, je déteste les récits autobiographiques quand ils tournent au déballage et aux règlements de compte. Rien de tout cela dans les rêveurs, où l'actrice s'expose tout en gardant, comme par magie, une part d'ombre. le texte n'est pas linéaire, suit une toute autre logique que la chronologie. Il ressemble davantage à une exploration du passé, à une mise au jour de certains souvenirs, dans une tentative pour comprendre à un instant T, celui de l'écriture du roman, la somme des événements qui ont créé la femme qu'elle est devenue.

La première page nous montre une enfant dans la rue. Sa mère, avance en poussant la poussette de son petit frère, et tient négligemment la main de sa fille. Un passant dénoue ce lien et s'empare de la fillette sans que sa mère le remarque. Il s'agit d'un rêve, reflétant bien l'angoisse de la narratrice d'être abandonnée, de ne pas exister suffisamment pour que sa disparition inquiète. Ce besoin d'être "reconnue" par sa mère, d'être certaine de son affection à défaut de son amour transparaît tout le long du livre. Elle voudrait une maman présente, ancrée dans leur présent, pas un être de fuite, toujours plongée dans un aileurs interdit aux enfants. Isabelle Carré interroge ce lien qui ne s'est pas créé, l'explique par les circonstances de la naissance de son frère aîné. Sa mère, issue d'une famille aristocratique qui se raccroche à sa splendeur passée, a été "bannie" du château quand elle s'est retrouvée enceinte. Cachée dans un minuscule appartement jusqu'à la naissance de l'enfant, elle rencontre un jeune homme, d'origine modeste qui va l'accepter telle qu'elle est, portant le fruit d'un autre amour. Leur mariage, celui de la carpe et du lapin va pourtant donner le change pendant de nombreuses années. Couple bohème, ils élèvent leurs trois enfants avec beaucoup de fantaisie, sans leur donner de cadres structurants, ou simplement rassurants. Il viendra un moment où cette étonnante union volera en éclats, lorsque le père d'Isabelle Carré assumera ouvertement son homosexualité. Très tôt, la narratrice intériorise les malaises sous-jacents, la fragilité de leur famille et la peur devient une compagne familière. Trop perméable aux fluctuations des relations entre ses parents, elle essaie de s'évader de cet univers anxiogène et choisit par deux un échappatoire terrible : une tentative de suicide. Heureusement, elle échappe à la mort, mais il lui faudra attendre l'âge adulte pour savoir qu'on ne guérit pas de ses parents. le seul moyen de se prémunir de leur "nocivité" est d'accepter de détacher sa vie de la leur. Les aimer toujours, mais en se protégeant.

Isabelle Carré va "réparer" sa vie cabossée en lui substituant des vies rêvées, celles de toutes les héroïnes incarnées au théâtre ou au cinéma. Jouer des rôles lui permet de s'évader, de quitter le monde sans adopter de moyens extrêmes. Dans la dernière partie du roman, celle que j'ai adoré, l'actrice montre de quelle manière elle tient éloignés ses démons. Armée de sa pudeur, de sa sensibilité, de sa lumière intérieure, elle avance dans l'existence. Toujours sur un fil, perpétuelle équilibriste, elle se sert, je crois, des personnages qu'elle incarne pour à la fois raviver et cicatricer les blessures d'enfance, qui en sont venues à constituer son être.

Nous avons presque le même âge et j'ai retrouvé en lisant ses souvenirs une partie des miens. Certains passages m'ont bouleversée, tant ils expriment des sentiments proches de ceux que j'ai éprouvés. Ce livre, porteur d'espoir, nous montre que les rêveurs, comme les phénix, renaissent de leurs cendres. Merci de me l'avoir rappelé.

Un immense coup de coeur

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Il faut dire que pendant toute la lecture j'ai eu dans ma tête le visage et le doux sourire d'Isabelle Carré. Maintenant je sais que ce sourire et cet aspect lisse taisent bien des drames et des questionnements. Elle appartient à une famille peu conventionnelle où les fêlures des mères se répercutent sur le devenir des enfants, où les parents sont plus occupés à se chercher qu'au bien-être de leurs enfants. Et pourtant il y a beaucoup d'amour dans cette famille et la fratrie semble très unie. Mais pour les enfants de cette famille déjantée il est difficile de se construire et le rêve c'est la normalité
Isabelle Carré se raconte sans jamais se plaindre, ne juge pas seulement constate avec une grande sensibilité cachée derrière son humour. Pour ce qui est du style j'ai été perturbée par le passage du « il, elle, les enfants… » au « je ». On passe aussi d'une époque à l'autre sans bien en comprendre la raison, il n'y a pas de chronologie, c'est un peu fouillis.
J'ai dévoré ce livre mi-mémoire mi-roman mais je me demande si j'aurais aussi bien adhéré à ce récit si l'auteur avait été un total inconnu.

Lien : https://ffloladilettante.wor..
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Son passage a La Grande Librairie (c'est vrai qu'elle est lumineuse!) m'avait donné envie de lire son livre.. et je ne regrette pas. Son roman est donc semble-t-il très autobiographique, et on ne s'attend pas à découvrir qu'une jeune femme qui semble si douce, et lumineuse donc, ait pu vivre une enfance, une adolescence dans une famille si particulière. Même si cela participe sans aucun doute à sa construction. Plus que des faits énoncés pas forcément chronologiquement, Isabelle Carré nous transmet des émotions, des ressentis, des moments, beaux, tendres, difficiles ou déroutants. Parfois quelques facilités dans le style mais rien qui n'empêche d'apprécier ce premier livre.
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La comédienne née en 1971 raconte son enfance et son adolescence entre une mère issue de bonne famille et un père graphiste, employé chez Cardin, qui découvre son homosexualité en pleine débâcle de couple. A 3 ans, elle passe par la fenêtre, persuadée qu'elle peut voler. A 15 ans, elle quitte le foyer maternel pour s'installer seule dans un appartement financé par son père. Elle s'essaie à la danse, tente d'assouplir son coup de pied avec de barbares bottes en plâtre, y renonce et comprend, lors du spectacle auquel elle participe au Palais des Glaces que les lumières de la scène et la légèreté des ballerines ne sont pas pour elle. A sa sortie de l'hôpital, après sa tentative de suicide, elle découvre le théâtre, et l'envie de vivre.

Avec une plume sensible, Isabelle Carré raconte ses souvenirs, au fil capricieux de sa mémoire, de ses blessures ou de ses enthousiasmes. Les sensations priment, ce sont elles qui mènent le récit, qui s'agisse de l'odeur d'un parfum, de l'inquiétude qui la prend aux soirs solitaires dans son appartement, de son choc quand elle voit "Mauvais sang" de Carax ou de son enthousiasme à danser sur Police ou Oberkampf à l'Hôpital des enfants malades… Ce récit correspond à l'image que l'actrice donne d'elle-même, à la fois forte et fragile, d'un passé qui lui a donné la grâce lumineuse qu'on lui voit dans le film de Zabou Breitmann, "Se souvenir des belles choses".

Roman lu dans le cadre du Prix des Lectrices de Elle

Lien : http://www.usine-a-paroles.f..
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Une fille-mère et un bisexuel comme parents , même dans les années 70, voilà qui n'était pas courant. Famille hors-normes donc pour des enfants qui ne rêvent que de normalité, mais qui, bon an , mal an vont devoir s'accommoder d'une drôle de famille où l'amour et l'art sont très présents.
La douleur, la dépression, deux tentatives de suicide mais la vie qui malgré tout reprend le dessus et une écriture très touchante font de ce premier roman, à tendance autobiographique, une entrée en littérature plutôt réussie.
Isabelle Carré,dont le sourire lumineux joue beaucoup dans le formidable capital sympathie dont elle bénéficie, révèle à demi-mots ses failles mais montre aussi que les enfants d'homosexuels ne vont ni moins bien ni mieux que ceux d'hétéros. Un très bon moment de lecture.
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C'est l'histoire d'une jeune femme trop vite devenue mère, qui n'aurait pas dû garder l'enfant, et qui s'est retrouvée isolée de toute sa famille, seule dans une grande ville. L'histoire d'une mère qui n'aura jamais reçu d'amour, d'attention, qui aura toujours dû faire selon les apparences, sauver la face, qui s'est un jour retrouvée suspendue à la fenêtre pour avoir simplement voulu se rapprocher de sa propre mère. C'est l'histoire de la mère d'Isabelle, cette femme toujours un peu lointaine, rêveuse, inadaptée, qui par la suite vieillira trop vite, faute d'avoir existé pleinement.

Isabelle est la deuxième enfant d'une fratrie de trois, dont un seul finalement aura été vraiment voulu, décidé. Sa mère a fini par se marier avec celui qui l'a acceptée, encore jeune, avec son premier bébé, et grâce à ses travaux de designer, la petite famille a pu vivre dans un certain luxe, un grand appartement hétéroclite, qui hurle son envie d'exister, de se faire voir. L'art est très présent dans ce foyer, ce qui conduira par la suite chacun à trouver sa propre créativité.

Malheureusement, le bonheur ici est toujours enchaîné aux apparences, mais celles-ci sont comme un mur qui s'effrite, un masque qui tombe, un voile qui se soulève. La mère, vidée de toute vie, devient peu à peu fantomatique, guère plus qu'une ombre qui se traîne. le père finit par craquer et annoncer son homosexualité, et part pour aller vivre avec un autre homme, ainsi qu'une jeune femme, qui fera figure de grande soeur pour Isabelle. Après cela, les enfants déchirés peinent à se relever, à prendre parti, et l'émancipation de la jeune fille sera beaucoup trop hâtive, la forçant à devenir adulte quand ses seuls modèles peinent tant à l'être.

Roman thérapeutique, résultat de nombreux journaux intimes qui auront servi de défouloir lorsque les apparences et le sourire sont de mise, malgré un grand mal-être constant, une sensation de décalage total et une folle envie d'être aimée, Les rêveurs laisse un goût aigre-doux, un parfum d'enfance mêlé au linge sale de la généalogie, qui pourrit dans un coin et salit tout sur son passage, faute d'avoir pu être correctement entretenu. Ce que l'on retient ici surtout, c'est tout ce qu'une jeune fille ou une femme peut subir comme pression, et ne doit jamais montrer, exprimer, tout ce qui la ronge au plus profond sans espoir de sortie, mais aussi la difficulté - pour les hommes comme pour les femmes - d'assumer et d'avouer son homosexualité, notamment avec l'arrivée du sida. Il y a à la fois une grande tendresse et une violence contenue, beaucoup d'amertume qui se cache dans les recoins, et une envie d'envol viscérale (vous comprendrez mieux, donc, pourquoi le théâtre aura été si vital à l'autrice), mais également une espèce de nostalgie pour ces années, dans laquelle certains se reconnaîtront d'office - avec, pour couronner le tout, une playlist de circonstance est donnée à la fin du livre.
Lien : http://lecombatoculaire.blog..
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Sur la couverture, il est écrit roman, mais la part autobiographique est très importante. J'ai lu ce livre comme on écouterait une conversation derrière une porte, sans vouloir faire savoir qu'on écoute pour ne pas gêner la personne qui livre ses secrets intimes.
La chronologie n'est pas toujours respectée mais cela donne encore plus l'impression d'une conversation.
Un très beau roman, où l'auteur livre ses blessures sans tomber dans le larmoyant. Chacun pourra, peut-être, y retrouver un petit peu de son histoire. le lecteur prend la mesure de l'importance de l'histoire de nos parents, nos grand-parents, sur la notre et celle de nos enfants.
Une belle lecture.
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Habituellement je n'apprécie pas les romans autobiographies ou autobiographies romancées des peoples. Mais j'ai trouvé Les rêveurs particulièrement touchant et les personnages très émouvants.
Isabelle Carré nous révèle ici une part de son intimité avec beaucoup de grâce de sensibilité.
C'est un très bel hommage aux siens avec beaucoup d'amour et de tendresse. Et peu importe la part de vérité et de fabulation dans le récit.
Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ma propre famille et mon enfance pendant ces mêmes années.
Une belle découverte
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C'est l'histoire d'une famille que l'on regarde tantôt de l'intérieur, tantôt d'en haut. Isabelle Carré se mettant dans la peau parfois de ses parents, ou d'un narrateur omniscient, avant de redevenir elle-même. Narration intéressante, parfois un peu fouillis, que j'ai trouvé très bien exploité dans l'ensemble et qui apporte du relief au récit. J'ai été touchée par l'histoire de cette petite fille, sa sensibilité, sa pudeur, et les pages concernant le théâtre sont d'une grande finesse.
Un très beau roman, lumineux et tendre, malgré les petites maladresses (à mon sens) de construction.
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Même si le livre est très beau et nous réserve des moments de grâce et de sensibilité, je n'ai pas été totalement convaincu. Tout d'abord, c'est un premier roman. Ensuite, est-ce que je n'attends pas trop de quelqu'un qui est avant tout "estampillée" actrice. Toujours est-il qu'il reste de ce livre un sentiment que chaque mot a été soigneusement choisi et donc, un moment agréable de lecture.
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