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4,29

sur 1712 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
" Qu'est-ce que vous vous voulez savoir ?... Ma jeunesse ? Mais ça n'intéresse personne... ça a si peu d'importance. Ce n'est rien, ma jeunesse, ça n'existe plus... Vous feriez mieux de demander à d'autres... ça leur ferait plaisir de parler d'eux... Ils ont une carrière à faire, ils y croient... l'Académie... Moi, aujourd'hui on ne m'aime pas... Et puis c'est triste, ma jeunesse... Vos lecteurs, ils veulent des choses gaies, le monde est bien assez moche comme ça... Alors, inventez, c'est pas moi qui vous contredirai... "
(Entretien avec Claude Bonnefoy, 1961).

Louis Ferdinand Céline était un salaud qui se savait salaud et en rajoutait une couche.
Mais il a d'abord laissé cet incipit de « Mort à crédit » :
« Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.
Hier à huit heures Madame Bérange, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas, surtout !… Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et puis voilà… Et puis tant pis.
Je n'ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde. Je vais leur écrire qu'elle est morte Madame Bérange à ceux qui l'ont connue. Où sont-ils ? »
Une histoire ? : Oui, oui, il y a une histoire. Souvenirs d'enfance et de jeunesse dans un délire fiévreux. « Alors, j'ai bien vu revenir les mille et mille petits canots au-dessus de la rive gauche…ils avaient chacun dedans un petit mort ratatiné dessous sa voile... Et son histoire…ses petits mensonges pour prendre le vent. »
Et pourtant il y a l'oncle Édouard.
Des Personnages ? : À foison, ça en pleut dans tous les coins, décrits, faut voir … ! Des secondaires et des principaux, mélangés. le Ferdinand, bien sûr, celui qui nous parle .Des Ratés et inadaptés, émouvants, tragiques autant que ridicules ; figures géniales : enfin… ce ne sont pas les personnages mais la façon de les décrire. Des « tètes » à la « frères Joël et Ethan Coen » mais en moins caricaturales, plus tragiques, plus agitées, plus…
Mais tendresse aussi de Céline pour ses personnages. La grand-mère Caroline qui meurt: « elle a voulu me dire quelque chose,……travaille bien mon petit Ferdinand, qu'elle a chuchoté…j'avais pas peur d'elle. On se comprenait au fond des choses. Apres tout, c'est vrai, en somme, j'ai bien travaillé…ça regarde personne »
Et il y a l'oncle Edouard et son tricycle mono cylindre
Un style ? : La « fameuse musique » de Céline. Descriptions collectives hallucinées. L'argot y devient
une création littéraire musicale et lyrique, qui passe outre toutes les règles grammaticales.
Et le correcteur orthographique de « Word » ne veut pas !!!
Les points d'exclamations scandent les fureurs et des horreurs.
Et pourtant, il y a l'oncle Edouard qui est toujours là quand il faut.

Pour quelles raisons pourrait-on ne pas aimer ce livre ?
Pour les mêmes raisons qu'il peut nous époustoufler.
C'est du genre bavard bien sûr, parce que même dans les descriptions, on entend le Ferdinand qui parle.
Essayez, vous verrez. Si vous « ne rentrez pas dedans » ce n'est pas grave.
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J'avais adoré Voyage au bout de la nuit, livre lu il y a presque 10 ans. Mort à crédit trônait dans ma bibliothèque depuis ce moment. Commencé plusieurs fois sans grand entrain je me suis dit qu'il était temps de le lire en entier.
J'ai mis du temps à m'adapter au style et à la syntaxe. On passe souvent du coq à l'âne. Mais une fois dans le récit on s'y fait et la lecture devient plaisir.
Si vous avez aimé le Voyage il est fort probable que vous aimerez la Mort si vous vous donnez la peine de le lire.
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Le narrateur évoque ses jeunes années. L'auteur cherche sa voie, tout au long de son périple ,et raconte des situations extravagantes, ubuesques parfois, empreintes de théatralité, sur fond de misère humaine. Grande richesse de mots et de savoureuses métaphores.

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Louis Ferdinand Destouches (1894-1961), dit Louis-Ferdinand Céline, connu sous son nom de plume généralement abrégé : en Céline, est un écrivain et médecin français. Il est notamment célèbre pour son roman Voyage au bout de la nuit (1932) récompensé par le prix Renaudot. Considéré, à l'instar de Faulkner et de Joyce, comme l'un des plus grands novateurs de la littérature du XXe siècle, Céline introduit un style elliptique personnel et très travaillé qui emprunte à l'argot et tend à s'approcher du langage parlé. Céline est hélas, aussi connu pour son antisémitisme avec des pamphlets virulents dès 1937 et sous l'Occupation durant la Seconde Guerre mondiale il est proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi.
Mort à crédit second roman de Louis-Ferdinand Céline paru en 1936 est un texte autobiographique mais très largement bricolé et arrangé. le roman se découpe en trois parties pour le lecteur :
Acte 1, Ferdinand est médecin dans la banlieue parisienne dans un dispensaire, suite à diverses péripéties, ses problèmes de sommeil et de bourdonnements d'oreilles, il est pris d'hallucinations et d'un délire très célinien par son écriture qui explose, en venant à revivre ses souvenirs d'enfance, et le roman de débuter. Nous sommes au début du XXème siècle, avant la Grande guerre, Ferdinand végète entre ses parents commerçants à qui il en fait voir de toutes les couleurs, ratant tout, rejeté de tous, dégouttant et répugnant, menant ses géniteurs à la ruine pour son éducation. Cette partie est très dure et très triste.
Acte 2, le gamin est expédié en Angleterre sur les conseils de l'oncle Edouard (seul personnage ayant un minimum d'affection pour le gamin dans le roman) pour parfaire son éducation et s'initier à l'anglais, déjà devenue la langue qui vous pose un commercial, ce qui devrait lui ouvrir les portes du marché du travail à son retour. Cette partie m'a beaucoup amusé avec entre autres une grandiose scène burlesque de vomi.
Acte 3, Ferdinand revenu en France (sans rien n'avoir appris de l'anglais) s'évertue mollement à trouver un boulot au grand désespoir de ses parents, il en viendra à se battre avec son père (dur, dur !) et c'est encore l'oncle Edouard qui l'aide. Finalement il trouve un job auprès d'un « savant » farfelu, aux idées saugrenues, et après de multiples échecs, embarque sa femme et Ferdinand dans une aventure encore plus extravagante, créant un phalanstère à la campagne, pensionnat pour gamins (en escroquant les parents) et technique moderne autant que foireuse de culture des pommes de terre ! Un final dramatique pour le « savant » et Ferdinand se retrouve à la rue, ne pouvant que retourner chez son oncle qui une fois de plus se propose de l'héberger et l'aider, mais Ferdinand désire s'engager dans l'armée… sujet d'un prochain roman.
Le roman est trop long pour mon goût mais à part ça, quelle claque ! On dira tout ce qu'on voudra de l'écrivain (je ne parle que de littérature ici) mais ce mec à inventé une autre langue ! Rappelez-vous que nous sommes en 1936 ! Pour paraphraser une célèbre réplique des Tontons flingueurs, Céline, la langue française « Aux quatre coins d'Paris qu'on va la retrouver, éparpillée par petits bouts façon puzzle... Moi quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite... j'disperse... et j'ventile...", certains passages sont ahurissants, une gouaille extravagante faite de démesure et d'exubérance, argot et néologismes (« Il a fallu que je m'onguente ») ; le récit drope, cavale à tout berzingue, le lecteur peine à suivre, submergé, doit faire des pauses, se demandant même parfois si ce qu'il lit est écrit en français ?
Bien entendu il y a du sexe, de la scatologie et diverses horreurs, on enrage devant ce Ferdinand qui tue à petit feu ses parents et dont la règle de vie semble être « Je retournerais plus charogne qu'avant ! Je les ferais chier encore d'avantage ! ». Au début du roman, Ferdinand adulte, est médecin mais aussi écrivain en devenir et travaille sur « La Volonté du Roi Krogold », nous en livrant de larges extraits, un bouquin qui n'est paru qu'en cette année 2023 !
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Comme la critique et la société françaises trouvèrent en Voyage au bout de la nuit, publié en 1932, une dénonciation éloquente de l'absurdité triviale de la guerre en un style inédit dont la verve familière et pittoresque correspondait aux moeurs victorieuses, pacifistes et aspirant au désabusement des violences ; comme Céline raconta alors, même de façon romancée, une partie de ses faits d'armes, induisant une forme « d'héroïsme ordinaire » de ceux qui, n'ayant pourtant guère pris d'initiative et qui furent incapable d'anticiper la réalité d'un champ de bataille, eurent cependant motif à se fonder les protagonistes d'un récit d'au moins quatre cents pages ; comme la France entière, ainsi que c'est de coutume après un conflit, voulait se fabriquer une sagesse et un salut, du moins sous la forme d'une bonne conscience, en laissant admettre, à travers les oeuvres qu'elle plébiscitait, qu'elle avait tiré les leçons de « l'horreur » et de « l'inhumain » (le Français au juste ne s'édifie de rien, ni de faits, ni d'événements, ni d'aucun traumatisme, sa vie mentale se fonde sur des préconceptions que les faits, auxquels il réagit en conformité, n'ont pour intérêt que de vérifier (les guerres mondiales à ce titre et comme je l'ai expliqué dans mon article « La Complaisance précède l'Inexpérience » n'ont toujours été pour l'homme ordinaire qu'un prétexte à asseoir ses « convictions »)) –, Voyage au bout de la nuit fut donc primé, obtint le Renaudot et manqua de peu le Goncourt (c'est Les loups qui recevra le Goncourt, Les loups de… de Guy Mazeline : le Renaudot une fois encore sera lot de consolation parce que ces jurys s'entendent pour qu'aucun éditeur ne soit en reste.) On érigea soudain Céline en chantre des désillusions provoquées par la guerre, atteignant une portée universelle en un message révélant, forme et fond, la corruption morale qu'elle engendre ; il devint, ce splendide amateur d'argots étrangement fluides et colorés, le peuple, tout le peuple français victime des violences dont il ne peut rien, dont il faut qu'il ne puisse rien, et qui le transcendent sauvagement comme quelque châtiment divin, ce peuple contraint « malgré lui » de s'adapter aux perfidies insolentes, aux vilenies écrasantes et surhumaines, d'un monde exerçant sur l'individu une pression hors de mesure, tendant à déformer ses bons esprits chaleureux de pure candeur, ce peuple français par défaut si juste, si héritier de la conception Rousseauiste de l'honnête homme perverti par les aléas de la société (comme le Français a fantasmé, par profit personnelle, sur cette mièvrerie !). On remarqua évidemment l'originalité dont Céline abîmait le hiératisme classique du phrasé, construisant la savante bouillie interrompue et exclamative qui le caractérise, l'enchevêtrement vigoureux et mâle, interjectif et populacier, de la parole simple et blasée, style et mentalité sans « rehausse », dont la littérarité soignée se situe dans la sélection de cadences contraires aux affectations et aux préciosités jusqu'alors de l'écrit, et qui, je trouve, n'est pas sans évoquer par exemple l'intention des Camus ses successeurs estimant en gros que le style ne doit pas être une parure pour masquer des idées roguement normales, comme dans L'étranger. On imputa cette forme abaissée à un choix de tournures propres à rendre l'évocation des combats et des actions les plus absurdes et exténués ; la critique sans nul doute s'épancha sur toutes ces raisons, trouvant une représentation et un interprète à ses volontés d'estime-de-soi – qu'on voie comme la littérature « nationale », toutes oeuvres censées caractériser un pays et un peuple, sont faillies, bardées de figures imposées, noyées d'imageries et de préjugés, et ne disent rien en vérité des nations qu'elles sont supposées représenter, sinon leur penchant unanime à se situer et à se voir au-delà de ce qu'elles valent – ; et l'on dut voir simultanément à l'occasion de cette parution : un héros, un récit national, une morale respectée, un style y contribuant ; toutes les conditions étaient remplies pour la célébration patriote. C'est ce qu'il faut en effet, ce gros prisme banal et superficiel, pour susciter l'engouement des foules ainsi que des observateurs aspirant surtout, pour plaire, pour la « réclame » à ne pas les contredire – c'était un malentendu bien sûr, on ne savait déjà plus la Critique en 32 – ; on voua donc à Céline le respect et l'admiration, la Patrie reconnaissante, Panthéon d'estime, héraut du Peuple, et l'auteur, là-dessus eut la naïveté de croire que c'était pour son oeuvre et son oeuvre uniquement, pour sa littérarité, qu'ainsi on le récompensait.
Or, 1936 crée soudain un trouble dans tout ce petit ordre propret de certitudes. Céline, dans Mort à crédit où il dépeint son enfance-désastre, révèle, avec une brusquerie de paradigme qu'il ignore, que ce n'est point la guerre qui a forgé son style si marqué et idiosyncratique, cette accumulation de dégradations formelles quoique agencées avec exactitude, mais la bassesse de la société française, de la société normale dont celle du lecteur, à travers notamment ses parents minables, tristement représentatifs de la misère banale, et l'injustice d'une mentalité au moins parisienne, sinon largement française, hypocrite, sinistre, annihilant la puissance, confite dans les préjugés et les excuses de ses insuccès, et où les apparences sont toujours des leurres faciles dégoûtants, constituant la totalité du rapport à l'éthique : une morale consistant à se conformer, à faire « ce qu'il faut » c'est-à-dire ce qu'on a antérieurement institué comme le bien contre le mal. Et voici Céline devenu non seulement un homme qui déteste son père et sa mère, qui ose les ridiculiser dans leurs « souffrances », qui ne les plaint que pour les agonir – et ça « ne se fait pas » – mais qui nourrit foncièrement de la haine pour tout ce qui l'a déformé, s'est moqué de lui, l'a trompé, et qui promène partout et depuis longtemps un esprit de paresse et de duperie en réaction au souci qu'on transposa en lui d'un respect de l'image du « bon garçon » et du « bon fils » (être poli, être propre, être bien intentionné, réussir dans des études ineptes, obéir sagement à des autorités abusives, en somme : bien « représenter »). On découvre, au lieu d'une graine de soldat rigoureux et vaillant, un enfant de maison de correction, auteur d'atteintes de toutes sortes, escroqueries, abus sexuels, violences, sans le commencement normal d'un idéal. Céline n'est pas un héros, découvre-t-on, c'est le contraire, un anti-héros confessé et caractérisé, un être inquiétant, sans solidarité, pas du tout « populaire » comme on croyait, un homme vile qui conspue le citoyen simple ; on le réprouve, il manque soudain de compassion, car sans doute nombre de Français se reconnaissent-ils dans les malheurs affectés qu'il humilie, dans le goût de la plainte et de la rumeur, et sa manière d'écrire, aperçoit-on, n'est point la conséquence d'un traumatisme ni l'effet dirigé de la peinture d'un drame exceptionnel comme la première guerre mondiale mais l'enracinement d'une « perversité », d'une distance « inhumaine » au regard de la cohésion des concitoyens. On ne doit pas décrire la société française avec la brutalité dont on reproche la guerre ; il ne faut pas que le citoyen intérieur soit mis au niveau des abjections nécessairement issues de l'extérieur : ce n'est pas « national », pas « patriotique », on réfuse la gloire à une couleur si antithétique à valorier le Contemporain. On commence à comprendre que le Renaudot, si « consolation » fut-il, a été une erreur d'appréciation qu'il vaudrait mieux occulter pour ne pas s'en sentir le déshonneur, pour ne point même devoir s'en justifier la faute. C'est qu'on n'a certes pas jugé Voyage pour ce qu'il était mais pour ce qu'on voulut y voir – naufrage critique élémentaire : le contresens – ; on ne l'a pas lu, on ne l'a pas élu, on l'a « délu », c'était délire. Les critiques expriment alors leurs réserves curieuses, inattendues, incohérentes, sur Mort à crédit, eux qui avaient tant loué Voyage, et les écrivains, lâches, embarrassés, surtout désireux de complaire, se taisent ou ne parlent qu'à demi, dissimulent manifestement une gêne, pusillanimité et velléité toutes significatives : les auteurs depuis au moins trente ans déjà n'ont art ni caractère, et, dépendant des éditeurs qui les rançonnent, se contentent de vendre. Céline lui-même, interdit, désemparé, cherchant un « crédit » justement, ne sait pas ce qu'il se passe, ne comprend pas où son oeuvre a failli. Quatre ans pour réaliser un ouvrage au style proche du premier qui a tant plu, perfectionné même, parachevé dans cette verve unique, sur le premier qu'on représenta une sorte de gloire nationale, ce dernier, là, comporte davantage d'innovation et de personnalité, il est l'approfondissement de cette forme si particulièrement travaillée et désenchantée et qui suscita tant d'engouement, c'est quasiment une oeuvre sur commande qu'il a fournie à la France… et le silence, obstiné, sourd, sans justifications ou bien aux prétextes si malhonnêtes, malgré, certes, un certain succès d'estime ! L'auteur s'interroge, désorienté, en proie à un certain vertige moral face à l'ingratitude, parce qu'il est longtemps impensable pour un génie de penser qu'il existe une unanimité pour s'attacher à des valeurs superficielles. Et je crois qu'il a saisi peu à peu, qu'il a su à qui il avait à faire, qu'il a deviné au moins en partie le malentendu qui l'avait initialement fait couronner.
Chez lui, la réalité humaine est désespérante, toujours entachée de vices de toutes sortes, de compromissions, d'étalages de vertus – il savait cela : pourquoi en avoir excepté le monde des livres ? – ; c'est l'aire au pseudo-soi. Les plaintes même qu'on entend sont des abaissements et des prétextes, des mensonges, des arrangements, des travestissements, les gens sont fichus, impardonnables, incorrigibles, et ils méritent la grossièreté qu'on leur rend – que Mort à crédit leur rend. Cette orientation appliquée à la guerre c'est-à-dire à une chose générale et facile à départir de soi était vue comme un « humanisme débordant » et une « lucidité éloquente », mais retournée contre le Français, c'est un « pessimisme râleur » et un « déversement de rancune », la preuve, c'est que Céline est un enfant, déjà, qui « n'aimait pas ses parents » ! On l'admirait au ton juste qu'il avait su trouver pour parler de la guerre, mais on lui en veut alors de la justesse qu'il emploie pour parler de ses Contemporains : il était méchant pour la guerre et c'était bien, il est méchant pour le Français et c'est mal. Il n'avait pas d'affection à la guerre, cela s'entend et c'est même « moral » (tout à coup, le Français le plus naguère patriote se découvre une aversion pour la bataille ; passons), mais qu'il n'avait pas d'affection en-dehors de la guerre, et, pire, qu'il n'en avait déjà pas avant la guerre au point qu'on ait cru que c'était la guerre qui avait servi à façonner ce langage si terrible et si noir, c'est impardonnable, une cruauté animale, une férocité contre nature, d'autant plus pénible que sa révélation signale la lacune de jugement des foule et qu'on transforme avec opportunisme en blâme comme si Céline était à l'origine d'une ruse ou d'une duplicité. Il ne faudrait dire la vérité dure, et crue, et désobligeante, que sur les choses, jamais sur les êtres ou, à la rigueur, sur les êtres « ennemis ».
Les imbéciles prétendront qu'on a pressenti chez Céline l'antisémite, qu'un nihilisme est patent chez cet observateur pour qui l'homme présent ne respecte nulle valeur et ne dispose que d'un idéal vain d'apparat, qui fit en somme la remarque indirecte que toutes les vertus sont prétendues plutôt qu'effectives, et ce sont de ces imbéciles à tiroirs vides que Céline dénonce, de ces opportunistes qui croient toujours, avec l'instinct ou l'intuition, avoir eu raison jusqu'en leurs torts, parce qu'il leur est important de posséder sans réflexion le « sentiment inné du bien » et qu'il faut que ce « soupçon juste », inscrit en eux, l'ait emporté sur leur absence d'arguments. Or, seulement cinq passages très courts de Mort à crédit évoquent les Juifs sur plus de six cents pages, trois avec assez de neutralité pour ne faire environ que désigner des commerçants, deux pour montrer combien ridicule et fallacieux était son père de s'en prendre notamment à eux à la moindre déconvenue ; qu'on mesure bien posément qui ces extraits accusent, on verra qu'il ne s'agit pas déjà de conspuer quelconque minorité : « Il se voyait persécuté par un carnaval de monstres… Il déconnait à pleine bourre… Il en avait pour tous les goûts… Des juifs… des intrigants… les Arrivistes… Et puis surtout des Francs-Maçons… Je ne sais pas ce qu'ils venaient faire par là… Il traquait partout des dadas… » (page 158) « Mon père, il se causait tout seul. Il s'en allait au monologue. Il vitupérait, il arrêtait pas… Tout le bataclan des maléfices… le Destin… Les Juifs… La Poisse… L'Exposition… La Providence… les Francs-Maçons… » (page 196) – ce n'est tout de même pas encore un éloge des Juifs, certes, mais c'est indéniablement, ainsi exprimé, à leur défense : on discernera généralement que tout ce que croit et pense ce père consiste pour le fils en simulacres et en idioties. Par ailleurs, si Céline, avec sa gouaille railleuse et vérace, avait souhaité exprimer de l'antisémitisme, je ne vois pas ici ce qui l'aurait retenu, il n'était pas des ces âmes délicates et pudiques à s'empêcher par décence d'en parler puisque par exemple toutes ses visions de femmes, d'hommes et d'enfants sont entachées de vices et d'accusations au moins en actes (il n'y a peut-être que deux ou trois personnages « à sauver » dans ce roman). Bagatelles pour un massacre est pourtant bien de 1937, cependant il faut plutôt tâcher de comprendre comment un auteur qui n'était pas antisémite jusqu'en 1936 l'a pu devenir avec tant d'acharnement en si peu de temps – c'est sur cette observation que je tiens indéniable qu'on doit cesser de révoquer d'autorité le talent de Céline, ou alors il faut estimer par exemple qu'un auteur, parce qu'il est devenu sénile vers la fin de sa vie, a toujours écrit une littérature de déficient mental ; or, c'est certainement, cet antisémitisme postérieur, ce que j'avais expliqué dans mon article « Comme la foule ignare rend misanthrope et choquant », à savoir un mécanisme psychologique né du ressentiment lié à une injustice, une réaction au mépris inattendu et collectif et un rejet de toute morale après la brutale et ingrate solitude où il fut contraint et résigné, un goût acide de déplaire à des foules devenues, au jugement constant et distancié de l'artiste méjugé, si déplaisantes et si viles, de se distinguer, soi, par leur propre déplaisir signe de fadeur et d'inconsistance. Contre l'excès d'une criante turpitude on réplique quelquefois par une turpitude excessivement contraire ; j'ai encore, moi aussi, la méfiance de considérer que toute idée populaire et répandue est, par défaut, probablement fausse.
Vraiment, à focaliser sur le mal moral que Céline a pu exprimer par la suite et qui n'est pas réfutable – c'était un répertoire de préjugés exacerbés d'une prose faite exprès pour l'excès, et presque, dirais-je, un exercice de style plutôt qu'une conviction ou qu'une volonté d'action (Péguy écrira justement que les antisémites ne connaissent pas les Juifs : ce ne sont pas les Juifs que les antisémites combattent en général, c'est une idée, un concept de nature morale, derrière laquelle ils enferment les Juifs et que les Juifs ne représentent pas réellement mais en imagerie), on phagocyte le mal qu'il avait initialement reçu des moeurs de son pays et qui se renouvela à l'occasion de cette sortie littéraire, toute l'horreur intolérable de son milieu familial, les colères infâmantes de son père, la médiocrité de sa mère éclopée, les trahisons médiocres, répétées, graves et même pas audacieuses dont on affligea son parcours par pur profit, le lot d'invectives poisseuses, tacites ou hurlées, qui le rendirent amer et l'abîmèrent dans une humeur enfermée, fataliste, de bon-à-rien accusé, intériorisé et irrémédiable. C'est surtout la société française des apparences, politesses intéressées, idéalismes faux, bonnes consciences, hiérarchies d'autorité, crasse intellectuelle, rancunes rentrées, mauvais coups à prétextes, draperies de dignité feinte, et surtout crainte si omniprésente de la rumeur et des postures avantageuses, tout ce long fatras incalculable des atours d'ignorants pour se donner au moins la forme d'une faculté à s'inscrire dans des conventions sociales, l'impression d'une intelligence à s'assimiler à un ensemble de règles données même irréfléchies, atours superficiels qui finissent pourtant par paraître des insignes de l'esprit et de l'éthique, qui se solda par un état d'esprit objectivement dur et négatif, par un « pessimisme » que justifia ses environnements et leurs actions, et par une appréhension logique et statistique que tout lui advenait nécessairement avec mesquinerie et petitesse. Ce bain répugnant, morne, puant de naphtaline décorative et de bile retenue, souilla essentiellement Céline en sa jeunesse et malgré la réitération des tentatives, franchissant à force le bénéfice-du-doute, s'installant en système social, jusqu'au point de détresse psychiatrique qu'on lit dans le récit, notamment jusqu'à l'aphasie et l'aboulie : pendant une année si l'on en croit l'auteur (il y a eu quelques « arrangements » dans l'autobiographie, pas beaucoup à ce que j'ai lu, rien que des inversions chronologiques et des altérations de noms propres), Céline, vers quinze ans lors de son internat en Angleterre, refusa de prononcer un mot, pas un seul ou presque et même en Français, tant le dégoût l'avait saisi au bilan de toute la fausseté que sert continuellement la parole, comme un immense mépris de ce qu'en l'incitant à parler on voulait le ranger dans le monde scabreux de ces haïssables « honnêtes gens » qu'il avait sans conteste décelés atroces et nauséabonds ; et quand après un énième échec auprès d'un maître arnaqueur qui se suicide, son bon oncle chez qui il s'est réfugié lui demande ce qu'il veut faire, alors ce qui lui vient, comme une obsession désespérée, c'est de s'engager, dit-il en pleurant quand même, c'est l'armée au mépris de son existence inutile, c'est ne plus voir toute cette « civilité » répugnante dont il sait qu'il n'y a rien à tirer, il lui paraît q
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Voyage au bout de l'enfance...

Préquel de "Voyage au bout de la nuit", ce roman traite de l'enfance affreuse de Louis-Ferdinand Céline au sein de sa pitoyable famille de petits bourgeois plus que médiocres. La médiocrité, associée à la vilenie des comportements, est partout présente dans cet échantillon parisien d'une classe moyenne difficilement émergeante. La veulerie morale semble avoir gangrénée cette société des années trente où notre petit Céline semble bien empêtré et en mal de se faire une place...!
Une famille désargentée, où un père petit employé d'assurance est malmené et du coup malmène les siens; où une mère, tenant boutiques à articles à bourgeois se démène à en perdre la santé...
Transbahuté de petits boulots en turbins foireux parmi les requins d'un capitalisme encore sauvage...
Envoyé en séjour "linguistique "dans une Angleterre à la société tout aussi décadente... Puis placé auprès d'un inventeur loufoque, le menant d'aventures rocambolesques à la faillite totale...
Quelle enfance aux tournures infernales !
Le tout porté par un langage des plus expressifs, tout aussi infâme que l'enfer décrit...!
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Meilleur que le voyage, mieux écrit, moins exacerbé sur le malheur, moins putride. Engagé dans la dénonciation d' une jeunesse toujours à la merci de la dépravation et du vice de ses aînés. Ce roman met très bien en perspective le fait qu' au début du 20ème la nouvelle génération servait déjà de variable d' ajustement face à la mauvaise volonté et à l' incompétence des génération précédente. Un siècle après la situation est très actuelle. Un roman citadin écrit par un citadin qui passe près de la nature, et de sa nature, sans le voir car accaparé par les diverses forces maléfiques auxquelles il voue serment de façon fébrile et subconsciente. Un ou deux sursauts plus tard et l' affaire sera définitivement pliée. le roman dénonce ainsi l' arrivé du cosmopolitisme décadent, la difficulté d' investir le terroir et l' action culturelle géographique transgénérationnelle, la pression sociale modélisante du cadre urbain, l' exploitation des masses contre leurs intérêt légitime, l' instrumentalisation de la science à des fins perverses etc... 4/5 car on peut (bien) vivre sans avoir lu ce roman.
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Le texte raconte globalement des évènements de l'enfance puis l'adolescence d'un Ferdinand peu adaptable à la vie dans sa réalité, dans tout ce qu'elle peut avoir de contraignant (éducation, travail et pauvreté) au grand dam de parents survivant dans un quartier Parisien délabré , rattrapant à la sueur de leur front les innombrables sottises et échecs cumulés de leur enfant et échouant, tout comme leurs contemporains, à s'adapter au progrès technique fort à cette période. Néanmoins, l'auteur laisse parler son talent et se concentre dans la description chargée de noirceur de l'entourage et du quotidien de ce jeune Ferdinand : des personnages farfelus qu'il va rencontrer , de ses échecs , des combats qu'il va mener pour vivre une vie à sa façon, du lot d'obstacles auxquels il va se frotter et des maigres victoires et aides qu'il va recevoir. Au final, un roman assez aigre et cynique qui m'a paru long
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J'ai moins aimé Mort à crédit que le Voyage, (Mais 4 étoiles quand même) et je me disais : "C'est bizarre, j'ai l'impression qu'il s'est caricaturé lui-même (Céline)(en parlant du style), mais caricaturé en cédant à la facilité, c'est à dire en supprimant toute poésie et profondeur qu'il y avait dans "Voyage au bout de la nuit". Un exemple, parmi 1000 autres, la phrase, dans le voyage : "C'était comme une plaie triste la rue qui n'en finissait plus, avec nous au fond, nous autres, d'un bord à l'autre, d'une peine à l'autre, vers le bout qu'on ne voit jamais, le bout de toutes les rues du monde." de la pure poésie, certes rude, ouvrière, les muscles fatigués et les yeux cernés, les poches vides aussi, mais dans une même phrase injecter ce mélange de concret et d'abstrait pour exprimer l'improbable destinée de tout être, avec cette perspective du vide et cet écrasement, chapeau bas ! Dans Mort à crédit, Céline ne semble pas être allé au bout de lui-même et aurait tranché sa belle phrase en plusieurs morceaux séparés de points de suspension...
Quant au Voyage, pour ma part, bien sûr j'ai plus aimé certaines parties que d'autres, mais toutes les péripéties et personnages plus ou moins lamentables de la partie "banlieue" valent aussi leur pesant d'or, malgré quelques longueurs. Mais c'est normal, quand le génie s'exprime, ça déborde forcément de partout.
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Première édition française :

1936

Temps de lecture :

un peu moins de 13 h 00 pour un lecteur moyen (300 m/m)

Un mot sur l'auteur :

Difficile de résumer qui est Céline en quelques mots. Auteur français né en 1894 et mort en 1961. Il est certainement l'un des auteurs les plus influents (et controversés) du XXème siècle. J'y reviendrai dans ma conclusion...

Synopsis :



Que faut-il en retenir ?

Ceux qui connaissent Céline savent à quel point il détestait Proust, l'auteur le plus influent juste avant lui. Céline reprochait à Proust de n'évoquer que la vie de la « haute », tous ces bourgeois, avec leurs problèmes de riches. Céline voulait parler de la vie de ceux d'en bas.
Pourquoi je parle de Proust ? Car étonnement, la structure de « mort à crédit » m'a fait penser à « du côté de chez Swan ».
Ferdinand est adulte, il est médecin dans sa banlieue, dans son quotidien merdeux. Il est, à peu de chose près, là où on l'a laissé à la fin du « voyage... », sauf qu'on ne l'appelle plus Bardamu, juste Ferdinand.
Il est alors « projeté » dans son enfance, où l'on va le suivre dans ses pérégrinations. Pour Proust, la machine à voyager dans le temps à la forme d'une madeleine. Pour Céline, c'est une grosse fièvre.
Nous voilà alors dans la prime enfance épouvantable, crasseuse, violente du petit Ferdinand. Il s'agit d'une autofiction, mais bien des traits de l'enfance de Céline transpirent dans ce récit.
Si le « voyage » était nihiliste, « mort à crédit » bascule dans l'épouvante de la cruauté humaine. le récit est violent, illustré par bien des anecdotes. Et puis, d'un point de vue stylistique, puisque Céline c'est avant tout ce style inimitable, il enfonce le clou du « voyage ». Les phrases sont de plus en plus courtes, comme parlées staccato. Les scènes de sexes sont très explicites (on est en 1936!) et Céline montre une certaine appétence pour le « vomi » et le « scato ». C'est une plongée profonde dans la pauvreté du début du XXeme siècle, sans chichi et sans flafla.


Pour conclure :

C'est quand même, à mon sens, un peu en dessous du « voyage... », bien que cela reste du très grand art.
Mais je dois confesser que je ressens toujours le même malaise quand il s'agit de Céline.
J'ai lu, dans ma vie, un nombre assez important de livres. Très important même. Mais je m'étais toujours refusé de lire Céline, du fait de son histoire.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu en France, des gens qui ont montré une certaine complaisance pour le nazisme. Ces gens, on les désigne sous le doux vocable de « collabos ». Céline n'était pas de ceux-là. Il était bien pire. Céline a été un fervent partisan du nazisme. Il se dit même qu'il aurait été un agent important de ce régime.
Céline était un antisémite. Pas un petit qui marmonne dans sa barbe quelques blagues racistes, non, lui c'était un véritable activiste, un pamphlétaire.
Il a fui avec les nazis lors du débarquement. Il a été condamné et « embastillé » au Danemark.
Céline c'est ça aussi.
Et donc, j'avais toujours refusé la lecture de cet homme ignoble.
C'est en lisant Kerouac, que j'aime beaucoup, que je me suis rapproché de Céline. Céline était, pour Kerouac, le plus grand auteur de tous les temps.
Alors que j'avais une discussion avec un ami prof de français, maintenant retraité, sur les auteurs de la « beat génération », celui-ci a fini par me convaincre de sauter le pas et d'ouvrir « le voyage au bout de la nuit ». J'avais 38 ans…
J'en ai maintenant 43 et je relis « le voyage... » au moins deux fois par an, tant ce roman a été une révélation pour moi. Un style unique et inimitable et une vision très sombre de ce que l'humain est capable.
Mais, comme je l'ai dit plus haut, je ressens toujours le même malaise. Et je crains qu'à l'avenir, Céline, l'auteur, ne soit crucifié pour les agissements de Céline le pamphlétaire. Je pense que cela serait dommage et dommageable.
Peut-on écouter la musique de Bertrand Cantat, alors qu'il a tué sa femme à coups de poing ? Doit-on brûler ses disques ? Peut-on regarder un film de Polanski alors qu'il a drogué puis violé une fillette de 14 ans ? Immoler ses bobines ?
L'artiste est-il dissociable de l'homme ?
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