Peu de personnes parlent de ce cancer particulier, comme s'il était tabou.
L'auteure nous présente son expérience de la maladie, son ressenti, ses angoisses et ses espoirs ; elle nous les fait vivre.
C'est un livre fort, à lire absolument pour commencer à comprendre.
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Ce matin, 18 octobre 2019, je viens d’apprendre ce que je sais déjà : j’ai un cancer. Du pancréas, localement avancé, je ne le savais pas. Je ne sais pas où est cet organe, ni même à quoi il sert. (…)
J’ai perdu cinq kilos en deux mois.
On a beau essayer de se dire qu’on se trompe, qu’on est en bonne santé, qu’on fait attention à tout ce qu’on mange, que notre mode de vie est sain. Quand la confirmation tombe, quand le mot CANCER est lâché, la vie bascule, et là, j’entraîne René dans cette chute. Ce K – je ne peux pas écrire ce mot – est inopérable. La masse tumorale est enroulée autour de l’artère mésentérique. L’artère est vitale, la masse est imbriquée, on ne sait pas opérer à cet endroit. Le pancréas est un organe profond, difficile à atteindre. C’est aussi un organe vital. La chirurgie est impossible, alors ce qui est prévu pour moi est de la chimiothérapie. De la chimie qui va couler en moi (…)
Au moment où j’écris ces lignes, 18 octobre 2019, j’ai le sentiment inexplicable que cela arrive à quelqu’un d’autre. C’est une autre personne que moi qui va se coucher ce soir. Je pleure tellement depuis ce matin, j’ai le visage tellement bouffi qu’il suffit que j’aille à la salle de bains me voir dans la glace pour être sûre que c’est pourtant bien moi. Tout se bouscule, je n’ai pas deux idées cohérentes.
Une personne au visage tout bouffi qui s’écroule dans le sommeil et qui à chaque réveil de la nuit va désormais se répéter « j’ai un K ».
Cinquième cure faite vendredi 3. Les aliments froids difficiles à avaler qui font mal à la gorge, des contractures aux doigts, et ces larmes qui piquent quand je pleure. Les liquides transparents de la CH qui sont là pour soigner et me guérir. Dans la rue, alors que René est venu me chercher pour rentrer à la maison à pied à l’issue de cette CH, j’ai l’impression qu’il pleut, mais ne vois pas le trottoir mouillé. Non, il ne pleut pas : c’est l’oxaliplatine, les sels de platine, qui viennent de passer et infusent encore dans mon corps, qui procurent gêne à avaler, fourmillements aux mains et aux pieds, et pour la première fois aujourd’hui picotements sur le nez et les joues, qui me donnent cette sensation de pluie sur le visage.
e te retrouve, cher cahier, après 15 jours out sans écrire. Bien besoin de me libérer, de raconter ce que j’ai vécu. Car oui, je l’ai eue ma DPC.
Aujourd’hui, ça va à peu près. Mais je suis tellement fatiguée, sans la moindre force et sans énergie. Avec un bon mal de dos aux lombaires à force d’être alitée et au moins 4-5 kg de moins. Je n’ose pas me peser mais me vois dans la glace de la chambre à la maison, vide et décharnée, avec une ceinture abdominale et des bas de contention.
Je suis rentrée à la maison lundi dernier, 27 juillet, après dix jours d’hôpital. L’intervention a duré sept heures, suivie de deux jours en soins intensifs.
Cette nuit du 2 octobre, rêve horrible, je mange du « cr-be » et je trouve ça bon. Je ne peux pas écrire ce mot en entier. J’ai tellement peur (…). Aujourd’hui encore j’ai ce handicap : la phobie des crustacés et des « c-rbes » en particulier. Ce rêve de la nuit du 2 octobre ne peut être anodin, il est prémonitoire. Je SAIS, je SENS que j’ai quelque chose. Que c’est un cancer.