Emmanuel Chastellière, co-fondateur du site Elbakin.net et traducteur, s'étaient lancé dans l'écriture en 2016 avec un premier roman fantastique raté,
le Village.
Délaissant par la suite le fantastique pur et dur pour le steampunk et la science-fiction, l'écrivain français changeait également de format en s'essayant cette fois à l'exercice fort complexe de la nouvelle avec
Célestopol, son second ouvrage initialement publié par les défuntes Éditions de l'Instant en 2017.
Depuis, ce fix-up de nouvelles a connu un destin surprenant après la banqueroute de son premier éditeur. Réédité dans l'excellente collection Libretto,
Célestopol se retrouve de nouveau sur les tables des librairies pour donner une seconde chance à un univers alléchant et intriguant, celui d'une gigantesque cité lunaire aux influences slaves assumées.
Dobro Pozhalovat'…sur la Lune !
Célestopol, contrairement au précédent ouvrage d'Emmanuel, n'est pas un roman mais un fix-up de nouvelles, c'est-à-dire un ensemble de quinze histoires courtes se déroulant toutes dans le même univers et dressant un portrait impressionniste d'une Cité Lunaire fantasmée construit dans les années 1900 par l'Empire Russe.
Cette immense cité devient donc, de facto, le principal personnage de
Célestopol en mixant les villes de Saint-Petersbourg et de Venise tout en remplaçant l'Eau par le Sélénium, ressource principale de ce bout de roche pas si stérile que ça au final.
Emmanuel Chastellière croque donc petit à petit cet univers à consonance slave (rappelons que la ville est sous la domination de l'Empire Russe) tout en dressant de façon plus générale un portrait de son uchronie personnelle.
En effet, cet hommage à
Jules Vernes et Bioshock en passant par le roman russe et le roman-pulp se veut aussi, et surtout, une uchronie où la Russie domine le monde, où Napoléon IV règne sur l'Amérique et où le Siam et l'Empire Chinois se tirent la bourre. Par petites touches discrètes, l'auteur nous plonge dans une histoire alternative du XXième siècle et imagine un monde bouleversé à la fois par l'automate et le sélénium.
Le résultat forme un background idéal pour la Cité Lunaire qui se dévoile durant quinze histoires et forme un lieu fantasmé et irréel du plus bel effet.
Vive le Duc !
Pourtant, au fil de ces nouvelles,
Emmanuel Chastellière va surtout ébaucher le portrait d'un homme, le Duc Nikolaï, visionnaire, dictateur, esthète, rêveur et grand illusionniste. Au fil du temps, le lecteur apprend à connaître directement (ou indirectement) le maître de
Célestopol tout en l'accompagnant dans ses rêves de grandeurs et de pouvoirs. de sa régate à la révolution de L'Oiseau de Feu en passant par ses démêlés avec un jardinier véreux, Nikolaï devient l'autre personnage principal de
Célestopol pour en incarner toutes les contradictions.
Dans l'ombre du Duc, un duo de héros pulp qu'affectionne tout particulièrement l'auteur : Wojtek, un homme dont l'esprit a été transféré dans le corps de l'ours qui l'a tué, et Arnrún, une islandaise rebelle et fine gâchette s'il en est. Ici, Emmanuel rend hommage aux héros-pulps de la SF (et du western) tout en dévoilant la facette mystique/fantastique de
Célestopol qui ne manque ni de surprises…ni de fantômes !
Car si l'ouvrage se veut avant tout steampunk et uchronique, le français n'hésite jamais à brasser les genres, abattant les barrières entre fantastique, horreur, thriller et policier. Une prise de risque payante qui offre à
Célestopol une diversité thématiques réjouissante.
Mécanique grippée
Bien sûr, tout n'est pas parfait dans
Célestopol. Si
Emmanuel Chastellière a fait de gros progrès sur le plan du style et de la fluidité, il lui reste encore quelques problèmes d'écriture à résoudre notamment au niveau des dialogues trop souvent mécaniques ou fonctionnels pour leur propre bien. de même, et malgré son goût évident pour les fins abruptes, l'auteur français conclut parfois de façon bien trop précipitée ses histoires. On citera notamment la fin de la Douceur du foyer, avec un épilogue de quelques lignes pour conclure une histoire qui avait pourtant un tout autre potentiel. Ces menus défauts sont cependant cette fois contrebalancés par la réussite évidente de certaines nouvelles comme Les Lumières de la ville ou le Boudoir des âmes qui mettent d'ailleurs toutes deux en scène des automates, autre grand atout dans la manche de
Célestopol. L'idée très simple (mais payante) de faire des machines une main d'oeuvre pour la Cité Lunaire amène
Emmanuel Chastellière sur les terres de l'esclavage et de la liberté, offrant de magnifiques moments à l'ouvrage et produisant certains des plus beaux personnages de l'auteur.
Mieux encore, cela offre une vision différente de celles des personnages humains rencontrés et permet de relativiser l'exploit technique représenté par la Cité devant le sacrifice qu'elle a demandé pour naître…et survivre.
Finalement, c'est véritablement dans l'ajout de ces créatures froides que le récit trouve le plus de chaleur.
Le travail paye, et celui d'
Emmanuel Chastellière sur
Célestopol en est la preuve évidente. Avec ce recueil où les genres entrent en collision, l'écrivain français nous offre une balade dépaysante et enivrante sur la plus proche compagne de la Planète Bleue. Et malgré ses défauts, le lecteur en ressort charmé, prêt à retourner sur la Lune pour un nouveau voyage plein de rouages, de sélénium et de manipulations politiques.
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