Pour des raisons mystérieuses,
Marvel Comics décide de publier une minisérie en 4 épisodes en 2010 d'un héros très obscur : Dominic Fortune. Pour mon plus grand plaisir,
Howard Chaykin écrit, dessine et encre cette histoire.
En 1936, Dominic Fortune (David Fortunov de son vrai nom) finit son service de mercenaire dans la guerre entre le Paraguay et la Bolivie et il se demande bien ce qu'il va faire ensuite. Il est engagé pour servir de garde du corps à 3 acteurs hollywoodiens qui sont des fêtards invétérés. Sa mission l'amène à les accompagner de Los Angeles à New York (en pleine dépression) jusqu'aux jeux olympiques de Berlin. Très rapidement, il se rend compte que des tueurs suivent chacun de leurs pas et que leur cible n'est autre que lui-même. Dominic Fortune fait appel à différentes connaissances pour essayer de dénicher des indices sur ce qui se trame autour de ces acteurs, d'une jolie blonde dénommée Delatriz Bettancourt et de Malcom Upshaw, un homme d'affaires antisémite lié aux nazis.
Howard Chaykin est de retour aux affaires et il est dans une forme éblouissante. Ça fait longtemps que je suis cet auteur et que je me régale de ces histoires que ce soit quand il ramène Lamont Cranston dans le présent (The Shadow: Blood and Justice), ou quand il se lance dans un thriller très noir et très sexe (
Black Kiss), ou quand il se moque des superhéros (Power And Glory), ou quand il réinvente le roman d'anticipation (American Flagg: v. 1), ou quand il met en scène des robots affublés de costumes des années 1930 City of Tomorrow).
Cette histoire de Dominic Fortune (personnage créé en 1975 par Chaykin) est un concentré de ce qu'il fait de mieux. L'histoire mêle une conspiration contre le gouvernement américain, à la véritable montée du nazisme et du fascisme. le héros rappelle les grandes heures d'Eroll Flynn, tout en intégrant habilement son héritage juif au coeur de l'intrigue. Les femmes sont pulpeuses à souhait, particulièrement dessalées et très manipulatrices. Les 3 acteurs sont de vrais débauchés avec des consommations d'alcool qui mettent en évidence leur inclinaison pour l'autodestruction. Les aventures sexuelles du héros sont relevées sans être graphiques, sans tomber dans la pornographie mais en réussissant à choquer ou à amuser du fait leur exagération (Dominic se laisse divertir par 3 naines en dessous chics). Et l'action n'est ni gratuite (si un peu quand même pour 2 ou 3 scènes), ni facile ou téléphonée. À ce titre les 2 dernières séquences sont magistrales dans l'horrible grotesque et dans la violence physique.
Les illustrations brillent par leur précision et leur force de caractère. le dessin des visages peut ne pas plaire à tout le monde. La mise en page reste un modèle d'efficacité comme toujours. Les détails historiques sont parfaits comme d'habitude et restituent admirablement bien l'ambiance de l'époque. Chaykin a travaillé de près avec le metteur en couleurs (Edgar Delgado pour 3 épisodes, Jesus Aburto pour le dernier) pour que les illustrations soient conçues comme une fusion complémentaire entre les dessins et les couleurs.
Ce tome est complété par une autre aventure de Dominic Fortune également parue en 2009 et publiée sur le site internet de Marvel. Elle est écrite par
Dean Motter et dessinée par
Greg Scott. Cette histoire présente 2 défauts. Tout d'abord la linéarité de la narration la rend très fade par rapport au récit de Chaykin.
Dean Motter a beau réaliser un solide travail pour tricoter son intrigue, les séquences se suivent de manière laborieuse et plan-plan. Deuxième souci,
Dean Motter intègre Dominic Fortune dans un récit mettant en scène le père de Victor von Doom, le père de T'Challa et un tout jeune Red Skul. Or en découvrant ce récit, le lecteur sait déjà que ce resserrement de la continuité est obsolète avant même d'être paru. Les dessins sont plutôt d'un bon niveau, mais leur manque de personnalité ressort cruellement par comparaison avec ceux de Chaykin. Il s'agit donc d'une histoire bien construite mais qui ne présente aucun intérêt.
Le tome se poursuit avec la réédition du numéro 2 de Marvel Preview (1975) où apparaissait pour la première fois le personnage (scénario et dessins en noir et blanc de Chaykin). Ça permet au lecteur de mesurer les progrès fait par l'artiste en 35 ans, sinon aucun intérêt. Et il se termine avec un autre épisode de 1980 (Marvel Premiere numéro 56) très bon enfant, très simpliste, pas intéressant non plus.
Je mets 5 étoiles pour la minisérie de 2009 d'
Howard Chaykin (sa qualité est comparable à la minisérie de Blackhawk qu'il avait réalisé pour DC comics) et je peste intérieurement contre Marvel qui augmente la pagination de ses recueils avec du remplissage dépourvu d'intérêt, pour mieux augmenter le prix de ses ouvrages.