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Critique de Lenocherdeslivres


L'île de Silicium, en Chine, est devenue un vaste centre de traitement des déchets. Mais rien de moderne, de propre, de sain. Ici, on travaille de manière artisanale. Et économique. C'est bien connu, « les vies humaines étaient tellement moins chères que les machines. ». Donc on accepte la pollution monstrueuse de l'environnement et les accidents et les maladies mortelles des ouvriers. Mais la proposition d'une compagnie américaine va bouleverser les équilibres.

Et c'est parti pour des tractations mettant, officiellement du moins, le bien-être des ouvriers de l'ile au centre des préoccupations. Dans cette merveilleuse société, les grandes entreprises se parent de soucis environnementaux et écologiques pour justifier leurs achats, leurs grands travaux. Une bonne dose de green washing comme on dit encore de nos jours. C'est ce que propose le représentant de la Wealth Recycle Co., Ltd, Scott Brandle, aidé de son interprète Dang Kai-zong, originaire de l'ile. Il va devoir lancer des tractations avec les représentants des trois familles influentes de l'île. Mais chacun campe sur ses positions, ne voulant pas perdre une miette de ses avantages. Même si cela semble empêcher de nets progrès dans le mode de vie de leurs concitoyens.
L'irruption d'une jeune femme, Xiaomi, va bouleverser les discussions. Cette ouvrière se trouve au centre d'un jeu de pouvoir qui était équilibré, mais va voir les forces en puissance lancer leurs troupes dans une bataille qui finira de façon grandiose, façon film catastrophe, avec combats d'une rare violence et éléments déchaînés (rien de moins qu'un typhon, excusez du peu). Autrement dit, on ne s'ennuie pas dans ce roman. Enfin si, parfois, un peu, quand Chen Qiufan se montre un peu trop didactique. On sent bien que ce roman est pour lui, outre l'occasion de distraire ses lecteurs, le moyen de faire passer un message. À propos de la pollution, de l'état du monde. Et donc, parfois, il se laisse un peu trop aller à décrire des situations pénibles de manière artificielle. le récit fait une petite pause pour laisser la place aux commentaires. Rien de bien désagréable, mais une volonté, louable, de trop bien faire.

Malgré ces réserves, L'île de Silicium est une grande claque pour ceux qui parviennent à laisser de côté, dans un recoin de leur conscience, le revers de notre société moderne : le recyclage des déchets électroniques et autres, laissé à ces pays moins développés, que nous considérons comme nos poubelles. Ici, les ouvriers et leurs familles baignent dans la pollution : l'air, la terre et l'eau sont viciés à un point inimaginable. On voit des enfants jouer au milieu d'objets meurtriers, tremper leurs pieds dans de l'eau aux reflets irisés par les composants mortels. On comprend que ces personnes n'ont d'autre choix que de risquer de raccourcir leur existence pour avoir le droit d'en avoir une. Glaçant et, hélas, miroir d'une réalité sordide. Comme le fait remarquer Gwennaël Gaffric (traducteur talentueux et infatigable de récits asiatiques, comme L'Équateur d'Einstein de Liu Cixin et la suite de ses nouvelles, Les migrants du temps que je vais bientôt lire ; ou le moins connu mais remarquable Perles de Chi Ta-wei) dans une note de fin de roman, l'auteur s'est fortement inspiré de lieux réels pour décrire son île et la ville principale du roman.

Dans L'ile de Silicium, les prothèses sont à la portée de tous (cela m'a fortement rappelé câblé de Walter Jon Williams.). Enfin, pas toutes les prothèses pour tous. Encore une fois, la meilleure et la plus efficace des technologies est réservée aux plus riches, dans les pays les plus « développés », quoi que cela veuille dire. Les plus défavorisés se voient contraints d'utiliser les rebuts des pays riches ou, pire, ces copies aux effets parfois délétères. Car on trouve des prothèses pour tout et se placer ça dans le corps est une sacrée prise de risque. Un bon produit, un produit sain, améliore considérablement votre organisme : un oeil est capable de voir au loin, mais aussi de calculer la hauteur supportable par votre organisme d'un saut depuis, un pont par exemple ; des bras peuvent vous donner une force surhumaine, une précision incroyable. Bref, le rêve (ou le cauchemar) du cyberpunk ou du transhumanisme : améliorer l'humain. Mais dans ce roman, on en découvre surtout le côté sombre. Entre l'utilisation criminelle qu'en font certains, voire monstrueuse (un personnage, complètement fou, agresse ses victimes en les torturant de façon encore plus atroce et douloureuse grâce à des prothèses) et les virus qui passent dans le corps de ceux qui utilisent des prothèses de piètre qualité, je ne suis pas particulièrement pressé de tester cette technologie.
D'autant qu'avec cette avancée de la science, vient un autre thème classique du cyberpunk : la puissance des grandes sociétés. Leur domination du monde, au détriment des états. Comme dans les Neuromancien ou Comte Zéro de William Gibson, ou dans le récent Chien 51 de Laurent Gaudé, les pays ne sont pas assez forts pour résister aux pressions financières des grosses structures. Chez Laurent Gaudé, la Grèce est vendue et démembrée. Chez Chen Qiufan, la « désintégration de l'Union européenne en était le parfait exemple, comme l'illustrait le drapeau rouge à cinq étoiles qui flottait sur les plages d'Ibiza, après son rachat par un consortium chinois. » Un bel avenir en vérité !

La maison d'édition Rivages revient donc officiellement à l'imaginaire avec le lancement de sa nouvelle collection Rivages/Imaginaire, dirigée par Valentin Baillehache. Vingt après la disparition de Rivages/Fantasy qui avait publié, entre autres, la série des Eymerich de Valerio Evangelisti (qu'il faudra que je relise, d'ailleurs). D'après Livres Hebdo, elle devrait proposer trois titres par an. Pour 2023, ce seront « des romans de l'américain Brian Evenson, du canadien Thomas Wharton et de la sud-coréenne Kim Bo-Young, star de la SF dans son pays. » Cela donne envie. Rappelons tout de même que cette maison d'édition continuait à proposer, hors collection, des ouvrages d'imaginaire, comme, récemment, Bangkok déluge de Pitchaya Sudbanthad dont j'avais bien apprécié la lecture. Mais aussi, dans sa collection Rivages/Noir, des titres comme La transparence selon Irina de Benjamin Fogel, un thriller futuriste marquant, ou le sanglant et angoissant Un bon Indien est un Indien mort, de Stephen Graham Jones.

Pour ouvrir sa nouvelle collection, la maison d'édition Rivages aurait pu tomber sur un pire roman. L'ile de Silicium offre un regard violent et lucide sur un côté honteux de notre monde à travers un récit prenant, malgré quelques sautes de rythme. Les personnages, perdus entre leurs désirs et les changements qui les assaillent, sont régulièrement tordus et essorés par les évènements. Ils possèdent une belle charge d'émotions et nous entraînent avec eux, haletants, dans ce tourbillon, jusqu'au dénouement.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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