Debout dans son pré. immobile, les pointes du fichu bougeant au vent chaud, le tronc sans cou, le tablier, les petites bottes vissées aux jambes, Marie Blanc a une silhouette russe d'extrême Est, elle vit à la fin du quinzième siècle, se gardant des pillards et des collecteurs d'impôts; et elle vit il y a trente mille ans à l'entrée de sa grotte, le poing crispé sur son caillou ou sa cueillette.
Autrefois on sculptait les nains de jardin dans le bois pas brûlé de l'hiver. Aujourd'hui on les fabrique en ciment. Moule à nains. Ciment à nains. On y perd la trogne artisanale et glorieuse en profondeur des petits crétins à bonnet.
[...] j'ai compris très tôt que si je veux vivre en paix avec moi, je dois être en paix avec les autres qui m'en oublieront plus sûrement. Me laisseront à mes vagabondages.
Retenu, Roud, c'était le drame , et comme paralysé par l'impossibilité (ou la crainte) d'agir, de prendre une décision, de se mettre en avant, d'intervenir. Une pudeur protestante d'en faire trop. Une hésitation paysanne à trancher. Et quelque chose aussi de son ironie qui se moque de Gustave Roud lui-même: comme s'il prenait plaisir à se représenter, dans son propos le plus familier et dans ses lettres, en perpétuel empêché d'écrire ou de se décider.
J'ai écrit sur Un petit bourgeois, je l'ai relu, relu encore, là j'ai compris moi aussi, grâce à cet utile Nourissier, que l'on pouvait faire de soi le seul sujet de ses livres. A l'époque c'était une tentation étrange, on était en plein Nouveau Roman, dépersonnalisation de l'écriture, mort à la psychologie, la cafetière sur la table comme personnage du récit. On tirait la langue dans ce désert en attendant des jours meilleurs.
Payot - Marque Page - Jacques Chessex - Le dernier crâne de M. de Sade