Et soudain l'énergie est là, elle déferle en moi !
Comment ? Je resterais là les bras ballants alors qu'elle est mourante ?
Je laisserais filer au profit de la mort celle qui occupe mes journées et mes rêves ?
Il n'en n'est pas question !
Je t'emmerde destin, fatalité ou qui que tu sois !
Je t'emmerde et je ne te laisserai pas faire !
L'artère est touchée ? Qu'à cela ne tienne : je repose la tête de Claire sur le sol, enlève le pan de chemise gorgé de sang ne protégeant plus grand chose de sa plaie béante et plonge sans plus d'hésitation ma main dans sa blessure.
Un sursaut.
Le temps s'arrête l'espace d'un instant.
Puis la voilà qui hurle.
Un cri sorti d'outre-tombe.
Un cri déchirant mes tympans et mon âme.
Je sens toute sa souffrance, toute son angoisse.
La voilà qui m'empoigne, elle a les larmes aux yeux, elle ouvre et referme sa bouche incapable d'émettre un autre son que ce râle infâme et sans pitié.
Elle me regarde et me lance un regard empli d’incompréhension et de peine alors que je cherche l'artère en enfonçant ma main plus profondément encore.
Elle jette sa tête en arrière et se met à baver.
Son cri ne parvient plus à franchir la barrière de sa gorge.
Elle ne cherche même plus à exsuder sa souffrance, elle est la souffrance !
Je vois dans son regard l'attente de la mort non comme un mal mais comme une délivrance.
Voix de plus en plus forte.
Timbre chargé d'émotion.
-Mais aujourd'hui, pour la dernière fois, je vous regarde en tant que capitaine et vous demande, vous supplie même d'accéder à ma requête : nous devons tenir ! Nous devons repousser l'ennemi encore et encore ! Nous devons mourir pour notre patrie, pour notre drapeau et ses valeurs !
Il crie presque :
-Hommes de la légion étrangère, mes amis, ce fut une réelle joie de combattre à vos côtés et ce sera un véritable honneur de mourir dans vos bras ! Relevons-nous et sus à la racaille !
Silence.
Même la clarté lumineuse du soleil semble en hésitation devant un tel discours.
Nous réalisons peu à peu quel grand homme est notre capitaine.
Le silence est brisé : rugissement montant de dizaines de gorges, fracas des armes frappant les dalles, vacarme des vies qui s'embrasent prêtes à se consumer !
La parole est maintenant devenue inutile.
Nous ne sommes plus qu'un seul et même organe.
Nous chargeons droit sur l'ennemi.
Nous fracassons les crânes et perforons les poumons.