« Vous vous étonnez que ma toile soit noire. Cependant, la nature sans le soleil, est noire et obscure ; je fais comme la lumière, j’éclaire les points saillants et le tableau est fait… Le couteau est mon meilleur instrument. Faites donc avec un pinceau des rochers comme cela, que le temps et la pluie ont rouillés par de grandes vines de haut en bas ! »
« Cherche si dans le tableau que tu veux faire il y a une teinte encore plus foncée que celle-là, indiques-en la place et plaque cette teinte avec ton couteau et la brosse. Elle n’indiquera probablement aucun détail dans son obscurité. Ensuite attaque par gradations les nuances les moins intenses, en t’essayant à les mettre en leur place, puis les demi-teintes. Enfin, tu n’auras plus qu’à faire luire les clairs… »
Il y a chez Courbet le propos délibéré de dénoncer l’inégalité sociale et c’est ce que soulignera P.-J. Proudhon, compatriote et ami et qui prétend le connaître mieux qu’il ne se connaît lui-même.
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Le socialisme de Proudhon s’inscrit dans la tradition démocratique individualiste. C’est un socialisme de « petit bourgeois balloté constamment entre le capital et le travail ». Proudhon attend la libération du prolétariat non pas d’une révolution mais de son organisation en quelque sorte autarcique au sein du régime existant, par l’autonomie des associations ouvrières de production, le mutuellisme, le crédit gratuit.
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Courbet, demeurant sur ses positions proudhoniennes initiales, conservera jusqu’au bout son vain espoir de réformer pacifiquement l’ordre social par l’autonomie des groupes et leur libre fédération.
De ses séjours dans sa ville natale il ramène des impressions assez savoureuses sur la vie d’un petit chef-lieu de canton sous le Second Empire :
« A Ornans, c’est comme partout, il y a un conseil municipal qu’on nomme comme on peut. Quant au maire c’est Monsieur le préfet qui se charge de ce soin, il n’a pas la main plus heureuse ; mais comme c’est pour dévoyer les élections, intimider les électeurs et dénaturer le suffrage universel il atteint son but. »
Il n’est pas nécessaire en effet d’être un aigle pour administrer Ornans. Il suffit de
« laisser les choses comme on les a trouvées en les amoindrissant quand on peut, empêcher l’éducation laïque, donner une subvention aux frères ignorantins, de telle sorte que la population se maintienne dans la béatitude du crétinisme ».
Tout artiste doit être son propre maître. L’art est tout individuel ; c’est la résultante de l’inspiration personnelle à l’artiste et de ses propres études. L’art est contemporain ; aucune époque ne peut être comprise et reproduite que par ses propres artistes. La peinture est un art concret, la représentation des choses réelles et existantes. Le beau donné par la nature est supérieur à toutes les conventions de l’artiste ; son expression est en raison directe de la puissance de perception acquise par l’artiste. Il ne peut pas y avoir d’écoles, il n’y a que des peintres. Les écoles ne servent qu’à rechercher les procédés analytiques de l’art et ne sauraient conduire isolément à une synthèse.
« Passant, arrête-toi. C’est Courbet que voicy,
Courbet dont le front pur attend le diadème
Et ne t’estonne pas s’il te regarde ainsy !
Courbet te regardant, se regarde luy-même. »
écrit le chansonnier Gustave Mathieu, et Edmond About, détaillant le tableau, observe malicieusement : « Ni le maître (Bruyas) ni le valet ne dessinent leur ombre sur le sol ; il n’y a d’ombre que pour Monsieur Courbet : lui seul peut arrêter les rayons du soleil. »