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sur 172 notes
P. Djèlí Clark a l'audace d'affranchir le genre fantasy de ses horizons et cadres habituels, loin de son décor médiéval familier. Pourquoi ne pas choisir comme héroïne une jeune femme noire en Georgie sudiste en 1922 ? le Ku Klux Klan est en marche à Macon et dans cette foule humaine encapuchonnée se cachent de vrais monstres nommés Ku Kluxes menant bataille en leur nom. le film La Naissance d'une nation ( 1915, D.W.Griffith ) a attisé les haines, renforçant leur pouvoir et insufflant assez de haine pour convoquer l'assaut apocalyptique de la Grande Cyclope. Maryse et son bataillon de choc entièrement féminin sont prêts à mener le combat.

Le procédé consistant à rendre concret littéralement une situation historique épouvantable, à tordre et mêler la violence raciale à l'horreur surnaturelle n'est pas nouveau. Récemment il y a eu Lovecraft Country ( de Matt Ruff, également sur la thématique du Klan et de la ségrégation ), le film Get out ( de Jordan Peele, sur le racisme contemporain ) ou encore Notre part de nuit ( de Mariana Enriquez, sur la torture durant la dictature argentine de Videla ). Ce qui est très impressionnant avec ce roman, c'est comment il réussit en seulement 160 pages à créer un univers totalement abouti et crédible qui vous embarque totalement.

La maitrise de l'auteur est assez fascinante, convoquant un wagon de références tout azimut, sans que le cocktail ne soit indigeste ou artificiel. La synthèse est au contraire extrêmement brillante et développe une alchimie très originale. Les créatures infernales du Klan évoquent très nettement l'horrifique lovecraftien avec notamment l'entité monstrueuse de la Grande cyclope très cthulhuesque, tout en rappelant le body horror des films de Cronemberg ou Guillermo del Toro. La culture gullah-geechee ( culture très à part des Afro-Américains des plaines de Georgie ayant conservé un mysticisme, une gastronomie, une langue créole et une médecine aux forts traits africains ) infuse tout le récit, tout comme le folklore des anciens esclaves avec les ring shouts ( rituel religieux pratiqué en cercle, dans un mouvement et un rythme qui s'accélèrent jusqu'à l'épuisement ). Et puis, il y a cette incroyable épée de Maryse, qui, contrairement à la Stormbringer d'Elric le Nécromancien ( Michael Moorcock ) boit les âmes de ses adversaires pour lui redonner vigueur, utilise la force des esprits des anciens esclaves en colère, capable de surgir du néant au creux de sa paume impatiente.

La lecture est revigorante, survitaminée aux scènes d'action et aux sensations fortes tout en proposant une réflexion pertinente sur l'histoire des Etats-Unis et les failles de son présent. J'ai adoré suivre les badass gouailleuses chasseuses de monstres Maryse, Salie et Chef, bras armés de Nana Jean, experte en potion root magic, vieille âme entourée de haints ( esprits ) prenant la forme de trois tantines ( trois Parques ? ) et chef de la résistance au Klan. Cette adhésion est renforcée par un formidable travail sur l'écriture, P. Djèlí Clark recourant au créole gullah de façon très immersive. le travail de traduction de Mathilde Montier est remarquable pour rendre ce langage dialectal accessible tout en respectant son authenticité, ses couleurs et son rythme.

Excitant et brillant !
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N'étant pas du tout fan du genre fantasy, il faut de solides arguments pour parvenir à m'en faire lire un. Prix Nebula du meilleur roman court 2020, prix Locus du meilleur roman court 2021 et finaliste du prix Hugo 2021, « Ring Shout » avait de quoi titiller ma curiosité, surtout qu'il mettait en scènes trois jeunes femmes noires bien décidées à botter le cul du Ku Klux Klan.

« Ring Shout » se déroule en effet en 1922, au moment où les rangs du Ku Klux Klan ne cessent de grossir suite à la sortie du film « Naissance d'une Nation », produit et réalisé par D. W. Griffith en 1915. A Macon, en Géorgie, un petit groupe de résistants mené par Nana Jean, une vieille Gullah, compte cependant leur donner du fil à retordre. Planquées sur un toit, Maryse, Sadie et Chef ont d'ailleurs décidé de tendre un piège à trois de ces monstres qui participent à un défilé du Ku Klux Klan …

J'ai beaucoup aimé le point de départ de ce roman, qui consiste à restituer toute la monstruosité du Ku Klux Klan en transposant cette réalité historique nauséabonde des années 20 dans un univers mêlant fantasy, science-fiction et horreur. Les klanistes ne sont en effet pas seulement constitués de fidèles éblouis par cette idéologie extrémiste, mais comptent parmi eux également quelques véritables monstres nommés Ku Kluxes, des créatures diaboliques et surnaturelles se nourrissant de haine. Ce procédé permettant de donner vie à la monstruosité du Ku Klux Klan fonctionne à merveille !

J'ai également beaucoup aimé le côté très féministe de ce récit porté par des femmes. de Nana Jean, qui fait office de chef de la résistance, à l'irrésistible trio de chasseuses de démons, composé de Sadie, fine gâchette munie de sa Winchester, Chef, l'experte en explosifs, et Maryse Boudreaux, la narratrice pourvue d'une épée magique, les héroïnes de P. Djèlí Clark réduisent leurs homologues masculins de l'époque à des rôles de figurants.

Je dois également souligner le fait que P. Djèlí Clark parvient à créer un univers totalement abouti et parfaitement cohérant en seulement 160 pages, tout en insufflant beaucoup de rythme grâce à de nombreuses scènes d'action. J'ai même adhéré à la plupart des codes du genre fantasy que l'auteur transpose avec brio dans cette Amérique des années 20, allant de l'élue vouée à vaincre le Mal à cette épée magique qui se nourrie de la souffrance et de la colère des âmes des anciens esclaves noirs. J'ai par contre plus de mal avec les « facilités » inhérente au genre, qui consiste à sortir plusieurs lapins blancs du chapeau de l'auteur afin de multiplier les rebondissements. Si les monstres Ku Klux passaient encore, j'ai eu plus de mal à digérer la Grande Cyclope et les Docteurs de la Nuit qui s'invitent à la bataille finale… Faut y aller à petites doses avec moi !

Finalement, malgré le travail de traduction aussi délicat qu'exemplaire de Mathilde Montier, j'ai tout de même eu du mal avec les passages recourant à ce dialecte gullah, issu de cette communauté afro-américaine de Géorgie. Si la réalité et le langage partent en sucette en même temps, je me retrouve totalement perdu !

Bref, n'étant pas du tout adepte du genre, ce roman est tout de même parvenu à me divertir et à me tenir en haleine de la première à la dernière page. S'il ne me laissera pas un souvenir impérissable, je retiendrai tout même le message principal qu'il véhicule : il n'est jamais bon de nourrir la haine !
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Je suis tombé sur ce titre à l'occasion de l'une de mes veilles sur Babelio, quelques billets enthousiastes et le fait qu'il avait obtenu les prix Locus et Nebula m'ont décidé à tenter l'expérience d'autant que ce livre était disponible à ma bibliothèque numérique.
L'idée de départ était plutôt intéressante, combiner littérature fantasy et vingtième siècle dans une uchronie revisitant le sud de l'Amérique et un contexte de ségrégation avec un Klu Klux Klan dominateur et redoutable car dirigé par de puissants sorciers.
P. Djèlí Clark va opter pour une narration particulière, essentiellement exprimée en "patois" plus ou moins digeste, parfois à la limite de la compréhension (Nana Jean) et inconfortable le plus souvent, voire pénible à la longue. L'auteur heureusement nous propose une introduction explicative bienvenue sur cet aspect, ce qui m'aura incité à l'indulgence.
Bon, je ne vais pas tourner autour du pot, j'ai été globalement déçu. le contexte est à peine développé de même que la psychologie des personnages, on rentre vite dans l'action pour ne plus en sortir ou presque, c'est trash et gore, on ne fait pas dans la finesse.
Côté scénario c'est faible, plutôt confus et le plus souvent outrancier, les combats et confrontations s'enchaînent sans souci de crédibilité jusqu'à un final délirant.
Heureusement il s'agit d'un format court, une novella de 144 pages au format numérique.
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Difficile de trouver mes mots pour cette sorte "d'uchronie fantastique"(?)
Une guerrière équipée d'une épée magique, des monstres haineux. Tout semble croire que nous sommes dans un banal roman fantastique manichéen...

En 1915, la sortie du film Naissance d'une Nation, réveille (ou attise) la haine des suprémacistes blancs. Un groupe de résistants, mené par Maryse, décide de chasser ses membres du Ku klux klan qui seront, au sens propre, d'abominables monstres.

Très fréquemment, on transpose tout un univers pour dénoncer une vérité, un problème, pour faire passer un message. Mais c'est tellement discret, qu'il faut généralement faire une analyse du sujet pour révéler le message implicite. Ici, l'auteur ira chercher des éléments du registre du fantastique, qu'il transposera dans la réalité. Wouah quel pari! Mais l'un dans l'autre, l'horreur de la haine, ne prendra pas sa source dans l'imaginaire. L'horreur est réelle.
Roman très original. Certains passages assez éprouvants.
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Pour son troisième ouvrage traduit en français chez L'Atalante, nul doute que l'américain P. Djèlí Clark va faire parler de lui. Après les djinns, c'est à d'autres créatures bien plus malfaisantes que s'intéresse l'auteur dans Ring Shout, prix Nebula et Locus 2021. Grâce une traduction remarquable signée Mathilde Montier, remontons le temps pour prendre le mal à la racine en découvrant que le Ku Klux Klan est encore plus terrible qu'on ne le pensait !

Une histoire américaine
Nous sommes en 1922 dans la petite ville américaine de Macon en Géorgie. Sur un toit, une embuscade se prépare en marge d'un défilé du Ku Klux Klan. Maryse, Sadie et Chef ont décidé de tendre un piège au klanistes…en laissant un carcasse de chien bien en évidence dans la ruelle d'en face !
Alors qu'ils approchent du cadavre, les trois silhouettes révèlent leur vraie nature de Ku Kluxes, des monstres échappés de l'Enfer qui n'ont qu'un but : tuer les Noirs et consommer le reste.
Dans Ring Shout, P. Djèlí Clark a une idée géniale : prendre la monstruosité du Ku Klux Klan et son idéologie raciste au pied de la lettre. Pour cela, l'américain imagine que les klanistes ont ouvert la porte à des entités surnaturelles qui se nourrissent de la haine et qui les font muter au-delà de tout espoir de rédemption. Grâce au film de propagande raciste « Naissance d'une Nation », le Klan et ses démons gagnent du terrain.
Mais en face, la résistance s'organise autour de Nana Jean et des siens, regroupant les Noirs qui veulent rendre les coups et qui savent la vraie nature de la menace qui pèse sur leur pays et sur le monde.
C'est au cours de cette novella de 170 pages que P. Djèlí Clark va se servir de cette idée de départ pour analyser les racines du mal qui ronge l'Amérique raciste tout en observant la chose par le prisme des opprimés en prenant Maryse, une jeune Noire américaine dont la famille a été sauvagement tuée par le Klan alors qu'elle n'avait que dix-huit ans, comme narratrice.
Un choix qui n'a rien d'anodin et qui va, finalement, transcender le récit final.

Melting-pot de genres
Pourtant, avant de revenir sur l'idéologie exploitée par Ring Shout, arrêtons-nous d'abord sur son univers. P. Djèlí Clark offre au lecteur une fantasy inattendue qui reprend tous les codes du genre pour les transposer dans l'Amérique des années 20. de l'élue au terrible champion ennemi, de la bataille rangée finale à la débauche de pouvoirs magiques, de l'épée sacrée aux haints (version Gullah-geechee des esprits, fantômes et autres démons), tout y est même la langue inventée (ou presque) avec le gullah-geeche, dialecte issu d'une communauté afro-américaine particulière de Géorgie et de Caroline du Sud.
En moins de 200 pages, l'américain transporte le lecteur dans un univers complet au potentiel en suspens à l'issue de l'histoire. Mieux encore, P. Djèlí Clark se fiche bien des barrières et va allègrement brasser les genres.
Le lecteur attentif repérera ainsi des allusions à des univers parallèles (voire même un multivers), à du voyage temporel et, bien évidemment à de l'horreur en veux tu en voilà !
Car si cette fantasy foisonnante enchante, elle terrifie aussi par la ménagerie qu'elle apporte avec elle, du terrifiant Ku Klux aux Docteurs de la Nuit cousins de jeu de Pinhead en passant par les Tantines, sorcières inhumaines et intemporelles aux traits malaisants. P. Djèlí Clark injecte du body-horror dans sa fantasy, la saupoudre de science-fiction et tout ça dans un seul et unique but : capturer l'horreur du réel.

Menace universelle
Revenons maintenant sur le propos même de Ring Shout, à savoir la réflexion autour du racisme en Amérique et, plus précisément, les raisons de l'existence du Klan. L'américain, même s'il utilise le prisme du fantastique, n'oublie jamais de préciser l'origine humaine des klanistes qui servent de chair à possédés pour les démons de l'autre côté. Et si leur éradication et le caractère impitoyable de la vengeance qui s'abat sur eux ne font aucun doute quant à leur légitimité, P. Djèlí Clark s'interroge pourtant à travers les yeux de ses héroïnes. Des héroïnes magnifiques qui ont souffert : Maryse et sa famille massacrée, Cordelia “Chef” Lawrence ancienne Harlem Hellfighters qui souffre encore de la Grande Guerre ou encore Sadie et son grand-père assassiné.
En axant son récit sur des femmes, P. Djèlí Clark montrent leur courage et leur ténacité qui n'a rien à envier à leurs homologues masculins de l'époque.
Il permet aussi, et surtout, de se plonger dans les sentiments et les émotions de son héroïne, Maryse, la fameuse « élue » de la prophétie…mais de quel camp ? En imaginant que les démons se nourrissent de la Haine et que celle-ci fascine un tas d'êtres surnaturels, l'américain met également en garde : même si les raisons semblent justes, la Haine mène au précipice, et cela peu importe votre couleur de peau. Maryse doit donc combattre sur deux fronts pour aider les siens, ce qui rend Ring Shout d'autant plus nuancé et intéressant, montrant bien qu'une vengeance aveugle vous transforme en monstre à votre tour, même avec les meilleures intentions du monde.
Comme le dit si bien le Proverbe : « L'Enfer est pavé de bonnes intentions…»

Fantasy brillante et enragée, Ring Shout retrouve pourtant toute sa nuance quand il parle de la haine et de ce qu'elle fait aux hommes.
P. Djèlí Clark impressionne par sa maitrise absolue des genres et des parts d'ombres de l'Histoire américaine, transformant ce qui aurait pu être une banale fantasy horrifique de plus en un récit intense, émouvant et intelligent.
Lien : https://justaword.fr/ring-sh..
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Un roman bien particulier, qui mêle une époque historique et des éléments fantastiques. le tout avec une langue dont je n'ai pas l'habitude puisque c'est de l'anglais vernaculaire afro-américain mai aussi parfois du créole gullahgeechee. du coup c'est bien dépaysant ! C'est en 1925 que Maryse a été choisie pour lutter contre les Ku Klux, des monstres alliés au Ku Klux Klan, qui se ne connaissent que la haine contre les noirs. Pour elle c'est avant tout une affaire de vengeance, mais il semblerait qu'elle soit aussi une cible de choix pour ses adversaires.
C'est un roman assez court mais efficace, on entre directement dans le récit et on comprend vite les enjeux. le racisme est le coeur du sujet ,mais pas seulement (mais je préfère ne pas trop en dire), les personnages sont travaillés et attachants. C'est prenant et intéressant !
Challenge Mauvais genres 2024
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La fantasy a ses codes et dans ce court roman, l'auteur s'en affranchi, les bouscule, afin de nous offrir de a fantasy qui en est sans vraiment en être…

Années 20, Géorgie, sud des États-Unis, le KKK et une bande de gonzesses qui leur tiennent tête…

Où est le côté fantasy, se demande-t-on en commençant la lecture ?

Rassurez-vous, il est bien présent, avec les Ku Kluxes et je ne vous dirai rien de plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de frémir.

Je vous laisse aller voir sous les cagoules et les taies d'oreillers ce qui se cache. Non, revenez, bande d'inconscients ! C'est trop dangereux !

De la fantasy qui se passe dans notre Monde, au temps de la ségrégation raciale, avec des KKK, ce n'est pas banal et c'est ce qui m'a attiré vers ce roman, en plus de son auteur, dont j'ai déjà lu deux novellas et aimé.

L'auteur arrive, en 170 pages, à créer un univers réaliste, auquel on adhère sans problème, à donner de l'épaisseur à ses personnages et à nous offrir un récit abouti, avec un début, un développement et une fin.

C'est de manière très habile aussi qu'il mélange le côté fantasy (et ses codes), le fantastique, les Multivers avec des faits historiques, de la violence raciale, de la résistance et des films existants (Naissance d'une nation).

Si on se laisse emporter par le récit et ses personnages, on s'y croirait totalement. C'est ce qui m'est arrivé… J'ai été emportée par le récit et ces filles badass qui n'ont pas leur langue en poche. Girl power !

Comme dans "Les Tambours du dieu noir", certains personnages parlent un phrasé indigène, issu de la culture Gullah et qui doit se lire phonétiquement afin d'être compris. Un beau travail de la part de la traductrice qui n'a pas dû avoir si facile que ça.

Une très bonne novella fantasy qui, tout en respectant certains codes, s'affranchi des autres en nous proposant un univers réaliste, dans l'Amérique des années 20.

Sous le couvert de chasse aux monstres du KKK, c'est une partie de l'Histoire de l'Amérique que l'auteur nous conte et il le fait brillamment. Ne se contentant de pondre une histoire horrifique pour ficher la trouille à ses lecteurs, l'auteur lui a insufflé de la profondeur, de l'épaisseur, du réalisme et de belles réflexions.

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Alors que les États-Unis se débattent toujours avec les relents de l'esclavage et de la guerre de Sécession, alors que les affaires mettant en scène victimes noires et policiers blancs fleurissent toujours dans les journaux, Phenderson Djèlí Clark revient sur la période terrible où le Klan (le Ku Klux Klan) faisait régner la terreur dans certaines parties du pays. Mais à la sauce Cthulhu, puisque les Klanistes se transforment en monstres pleins de haine et de violence. Face à eux, quelques combattants, et, surtout, quelques combattantes se dressent.

Bienvenue aux État-Unis. À Macon, Géorgie (un état du sud-est américain). En 1922. le Ku Klux Klan y a ses habitudes, il s'y sent à l'aise. Pas comme la population noire, qui fait le gros dos. Même si elle n'est plus esclave, elle sait que les vieilles habitudes perdurent et que leur existence ne tient souvent qu'à un fil. Mais tous ne se laissent pas faire. En particulier un trio de jeunes femmes qui n'ont pas la langue dans la poche et n'hésitent pas à mettre leur vie en jeu au profit des autres. Chef (c'est le surnom de l'une d'entre elles), d'ailleurs, n'en est pas à son coup d'essai puisqu'elle était engagée dans la guerre, en Europe. Elle sait l'horreur, elle sait la violence, elle sait le sang qui coule. Sadie, la plus jeune, la plus difficile à raisonner, prête à la bagarre au moindre regard de travers. Et il y en a, des regards de travers. Et enfin, la narratrice, jeune femme énergique, engagée dans un combat qui la dépasse. Car elle ne se bat pas pour elle seule. Elle est guidée par trois haints (des esprits, en quelque sorte, qui l'entrainent dans leur monde pour communiquer avec elle). Et elle possède une arme magique qui, à l'inverse de la Stormbringer inventée par Michael Moorcock, n'avale pas les âmes des victimes, mais utilise la force d'âmes mêlées à la traite des êtres humains.

Et elle en a bien besoin, de cette arme. Car en face, les ennemis sont nombreux, quasi innombrables. Et sans hésitation dans leur lutte contre les Noirs. Les Blancs qui s'en viennent écouter les inepties racistes des membres du Ku Klux Klan se transforment peu à peu en monstres. Notre monde, en effet, est un terrain de bataille. Ou, peut-être plutôt, un terrain de chasse. Et les humains ne sont que des pions utilisés par des êtres atroces et cruels tout droit issus de l'imaginaire lovecraftien. Certaines créatures sont dignes de peupler nos cauchemars. Maryse, la jeune « chevalière » (je me permets ce terme, car l'auteur parle, dans sa préface, à propos de ce récit, de fantasy), est capable de les voir car elle est, en quelque sorte, l'élue, choisie par des entités pour protéger les humains contre la convoitise d'autres entités avides de la haine exsudée par les racistes en tous genres. Elle va avoir fort à faire, car les protagonistes sont nombreux, plus qu'il ne paraît au premier abord. Et des conflits d'intérêt apparaissent, d'un côté ou de l'autre, compliquant la donne.

Pour un récit de SF, Ring Shout est terriblement ancré dans l'histoire. On se croirait plongé dans les États-Unis du début du XXe siècle : les décors transpirent de réalisme, les faits historiques consolident le tableau, les personnages collent à leur époque. L'auteur utilise, par exemple, le film Naissance d'une nation de D.W. Griffith et qui date de 1915. Cette oeuvre proposait une vision pour le moins contestable de l'Amérique du Nord, vision sudiste et raciste, avec des Noirs plus proches de sauvages sans foi ni loi que d'êtres civilisés. Phenderson Djèlí Clark lui réserve un sort bien mérité à mon avis.
Autre point qui nous fait voyager sous ces contrées lointaines : l'auteur a utilisé certains mots, voire certaines phrases, issus de dialectes locaux, dont l'anglais vernaculaire afro-américain. Halte là, me direz-vous. Qu'est-ce que cela peut bien me faire, puisque je vais lire une traduction française de ce texte ? Eh bien, vous répondrai-je, la traductrice, Mathilde Montier, qui a dû s'arracher les cheveux un certain nombre de fois, a fait un travail magistral (avec l'aide de l'auteur qui a validé ses choix) : le rendu est impressionnant. On a l'impression d'entendre parler ces personnages. Même si une ou deux fois, il m'est arrivé de gratter la tête pour comprendre en détail une phrase, je n'ai éprouvé aucune gêne à la bonne compréhension de l'histoire. Au contraire, j'y ai gagné l'impression de la vivre. J'avais ressenti le même phénomène à la lecture de la novella Les tambours du dieu noir, publiée en début d'année par L'Atalante. Certains personnages utilisaient alors des mots typiques de la Nouvelle-Orléans. Et le texte en gagnait en profondeur. Ici également, l'immersion est complète : par la vue et l'ouïe nous sommes transportés dans l'histoire. L'odorat et le goût ne sont pas en reste, même si dans une moindre part. Bienvenue à Macon !

Les trois précédents récits de Phenderson Djèlí Clark publiés en France par l'Atalante (dans deux ouvrages : Les tambours du dieu noir et le mystère du tramway hanté) étaient clairement des novellas. Ici, on approche les deux cents pages (170, en fait). C'est donc plutôt un court roman. Et il en possède les caractéristiques, car l'auteur prend le temps de détailler les personnages principaux, mais d'autres aussi. Ce ne sont pas que des silhouettes croisées. On a le loisir des les découvrir, de les comprendre dans leur complexité, de s'attacher à eux, ce qui est plus difficile dans les textes plus courts où l'auteur se doit d'aller à l'essentiel. Surtout quand, comme Phenderson Djèlí Clark, il bâtit des récits aux multiples péripéties. Car on n'a pas le temps de s'ennuyer à la lecture de Ring Shout. La scène d'ouverture finit rapidement dans le sang. Les évènements se succèdent, avec plus ou moins d'ampleur. Phenderson Djèlí Clark nous gratifie de scènes d'action rapides mais intenses et n'hésite pas à mouiller la chemise. Tout comme il n'hésite pas à montrer l'horreur dans toute sa force, évoquant des images particulièrement marquantes. Ça transpire et ça saigne, à Macon.

Décidément, pour l'instant, c'est un sans faute pour Phenderson Djèlí Clark : trois ouvrages publiés en France, trois réussites cette année. J'attends donc avec impatience la publication du Maitre des djinns l'année prochaine pour prolonger ce bon moment (même si l'univers est totalement différent de celui de Ring Shout). À propos de Ring Shout finalement, un seul conseil : sautez dessus !

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Après les excellents « Tambours du dieu noir » (suivi de « L'étrange affaire du djinn du Caire ») et « Le mystère du tramway hanté », Phenderson Djeli Clark nous offre avec « Ring shout » une novella très réussie dans laquelle on retrouve tous les ingrédients qui font le charme de cet auteur que les éditions l'Atalante ont décidément été fort inspirées de traduire. Après la Nouvelle-Orléans et le Caire, direction le sud des États-Unis en 1922, quelques années seulement après la sortie du film « Naissance d'une nation » de D. W. Griffith. Véritable succès au cinéma, l'oeuvre promeut une sorte de roman national américain idéalisé et fait ouvertement l'apologie de la suprématie blanche, au point qu'elle participera à un regain de vigueur du Ku Klux Klan à cette période. Les populations noires sont évidemment les premières victimes de cette résurgence et des actes de terrorisme perpétrés en toute impunité par les membres du clan. Ce que très peu parmi eux savent, en revanche, c'est qu'un petit nombre de ces suprémacistes ne sont pas des humains ordinaires mais des créatures de toute évidence non terrestres et qui se nourrissent de la haine et de la colère que traînent dans leur sillage ces illuminés. Maryse, elle, est parfaitement au fait de la double nature de ces « Ku Kluxes » qu'elle combat sans relâche depuis le massacre de sa famille. Armée d'une épée magique et entourée de deux autres redoutables guerrières, l'une vétérante de la Première Guerre mondiale, l'autre véritable pro de la gachette, la jeune femme traque inlassablement ces monstres qui semblent toujours plus nombreux. Et la situation n'est pas prête de s'améliorer avec l'annonce de la sortie d'un second volet à « Naissance d'une nation », film visiblement destiné à servir de couverture à l'arrivée d'une nouvelle entité encore plus terrible que celles que Maryse à jusque là du affronter.

Longue d'un peu moins de deux cent pages, la novella de P. Djeli Clark se dévore et ravit tant par la qualité de son écriture et de sa réflexion que par le soin apporté aux personnages, mais aussi par l'équilibre que l'auteur a su préserver entre une ambiance presque crépusculaire et un humour irrésistible. Comme dans « Les tambours du dieu noir », l'auteur met en avant des personnages afro-américains dont la culture et les pratiques spirituelles s'inspirent de celles des esclaves originaires d'Afrique de l'Ouest et apportées aux États-Unis lors de la traite. La culture gullah-geechee (qui concerne des Afro-Américains vivant sur les côtes de Caroline du Sud) est particulièrement mise en avant, que ce soit à travers la mise en scène de ces « ring shout », une pratique rituelle particulièrement populaire à base de danse et de chants, mais aussi grâce à des extraits d'entretiens avec d'anciens esclaves témoignant du caractère émancipateur et contestataire de ces rituels. Comme dans « Les tambours du dieu noir », on retrouve aussi un gros travail réalisé sur la langue puisque le texte est écrit, dans sa version originale, majoritairement en anglais vernaculaire afro-américain, avec quelques passages en créole afro-américain gullah-geechee. La diversité de ces langages est admirablement rendue par la traduction et, si certains passages sont peut-être un peu plus ardus à déchiffrer, l'auteur souligne non sans humour dans son avant-propos que « pour des amateurs et amatrices de littérature de l'imaginaire, habitués à côtoyer des langues fictives telles que l'elfique ou le klingon, une once de dialecte afro-américain et de créole ne devrait pas poser de problème. » Bien que plutôt osé, le pari de P. Djeli Clark est donc un franc succès et confère au récit un charme supplémentaire tout en renforçant l'immersion du lecteur dans cette Amérique profondément dérangeante.

Parmi les nombreux éléments qui constituent la « marque de fabrique » de l'auteur figure la place prépondérante accordée aux femmes, et cette novella ne fait pas exception. Djeli Clark nous offre un trio d'héroïnes marquantes et qui dégagent énormément de force, et ce en dépit (ou sans doute plutôt à cause) des épreuves traumatisantes qu'elles ont pu subir dès leur plus jeune âge (les tranchées, le massacre d'une famille…). L'alchimie qui règne entre ces trois protagonistes est indéniable et communicative, si bien qu'on s'attache immédiatement à ces guerrières des temps modernes dont on admire la combativité mais pour lesquelles on ne peut s'empêcher de trembler. Les monstres auxquels nos héroïnes ont affaire sont quant à eux convaincants, qu'il s'agisse des « simples » suprémacistes ou de ces créatures venues d'ailleurs. Les références à Lovecraft et ses Grands Anciens sont évidentes et utilisées astucieusement pour instaurer un climat d'horreur de plus en plus oppressant. On pense aussi, un peu, à China Mieville et à ses créatures toutes plus perturbantes les unes que les autres tant les descriptions fournies ici des Docteurs de la Nuit ou encore des Ku Kluxes sont effrayantes. L'auteur n'hésite également pas à mettre en scène de façon assez trash des déformations ou tortures corporelles, autant de scènes qui participent elles aussi à renforcer cette atmosphère étouffante mais qui peuvent mettre très mal à l'aise. En dépit de cette noirceur incontestable et de la tension permanente qui met à rude épreuve les nerfs du lecteur, on se prend aussi à rire franchement à la lecture de certains dialogues remarquablement bien écrits et qui dédramatisent temporairement la situation. le personnage de Sadie est sans doute le plus drôle de tous, avec son franc-parler et son mélange de cynisme et de candeur qui donne lieu à des échanges mémorables avec ses camarades tour à tour attendries ou atterrées.

Avec « Ring shout » P. Djeli Clark continue de s'affirmer comme une voix incontournable des littératures de l'imaginaire outre-atlantique. de part ses thématiques, leur traitement résolument politique, le travail réalisé sur la langue et surtout la qualité de ses personnage, ses novellas méritent incontestablement le détour. A noter que les éditions l'Atalante ont annoncé la parution ce mois-ci du premier roman de l'auteur se situant de le même univers que ses affaires égyptiennes : « Maître des djinns ».
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Historien et romancier américain, P. Djèli Clark s'est illustré en écrivant des romans ou novellas de science-fiction, de fantasy et d'horreur. Parmi ses nouvelles, on peut déjà signaler L'étrange affaire du djinn du Caire, ainsi que le mystère du tramway hanté.

Côté romans, il est l'auteur des Tambours du dieu noir, puis de Ring Shout : Cantique Rituel. Ce dernier lui vaut d'ailleurs pléthore de récompenses : le prix Nebula du meilleur roman court 2020, le prix Locus du meilleur roman court 2021 et le prix British Fantasy du meilleur roman court 2021. Enfin, il est même en lice pour le prix Hugo 2021. Or, autant de distinctions forcent le respect et ne peut qu'attirer l'attention.

Depuis la sortie du film, Naissance d'une Nation, les rangs du Ku Klux Klan ne font que grossir de blancs en mal de suprématie qui persécutent impitoyablement les gens de couleur. A Mâcon, en 1922, un groupuscule de ces zélotes sectaires vont croiser la route d'une certaine Maryse Boudreaux, un peu sorcière sur les bords, accompagnée d'une poignée de femmes résistantes qui se sont données pour mission de traquer cette engeance maléfique pour les mettre hors d'état de nuire. A ce jeu, ces pourfendeuses, amatrices d'explosifs et pros de la gâchette se débrouillent plutôt pas mal et ça tombe bien car quelque chose de pas net s'en vient mais seront-elles réellement capables de l'arrêter ?

Ring Shout : Cantique Rituel s'adosse à un cadre historique uchronique faisant référence à la renaissance du Klan qui fait suite à la projection du film de D.W. Griffith, Naissance d'une Nation. Un film controversé dès sa sortie pour son discours raciste et son apologie au Ku Klux Klan. En effet, ici l'auteur s'est beaucoup intéressé à la psychologie de ses membres en faisant d'eux des monstres au sens littéral du terme. Aussi, ces Ku Klux nous apparaissent entre ces lignes comme des créatures diaboliques et surnaturelles qui déchiquettent et démembrent leurs victimes. Néanmoins, tous les adeptes ne sont pas encore tous des êtres transformés, certains sont simplement hypnotisés par cette idéologie extrémiste et terroriste. Ils incarnent donc le mal que doivent combattre Maryse et ses amies.

Avec Ring Shout : Cantique Rituel, P. Djèli Clark propose une fantasy envoûtante qui renverse le postulat originel du genre dans ses codes classiques en proposant un récit où le merveilleux tutoie l'horreur. En mettant en lumière cette société secrète prônant la suprématie blanche, il porte le regard sur les heures sombres qui ont marqué l'histoire des Etats-Unis d'Amérique après la guerre de Sécession sans perdre de vue ses résurgences sur l'Amérique actuelle. En sa qualité de chercheur, ses études sur l'esclavage et l'émancipation ont clairement nourri ce texte. Il replace au centre de sa réflexion des thématiques importantes traitant aussi bien des persécutions des minorités, du désir de libération des peuples ou de la défense de l'égalité entre les hommes. L'amour de la vie se dispute à la haine d'autrui dans ce livre.

Avec Ring Shout : Cantique Rituel, P. Djèli Clark signe un roman bouleversant qui dégage une puissante sagesse. Il puise dans les rituels pratiqués par les esclaves pour conjurer la pesanteur de leur condition pour donner à son texte une vraie poésie. Aussi, les chants deviennent la magie pour repousser la noirceur du mal dans les limbes de l'oubli.

En quelques mots, Ring Shout : Cantique Rituel nous happe dans un conte fabuleux qui résonne d'une vérité toujours d'actualité. C'est un texte troublant, un coup de coeur littéraire et émotionnel pour lequel on ne souhaite que le meilleur... Suite sur Fantasy à la Carte.



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