La famille Lamb vit dans un petit écrin de chocolat anglais, Bournville, ainsi nommée pour faire chic. L'image de la marque Caadbury est en-deça de celle des chocolatiers européens, dont la composition moins grasse des produits donnera lieu bien plus tard dans le récit, à un épisode satirique délicieux. Bournville a été construite selon les principes moraux des fondateurs de l'usine. C'est le royaume de la carte postale ; lac pour bateaux miniatures, joueurs de cricket en chemise blanche. C'est un pays de Candy où Mary savoure tous les jours la quiétude des cris d'enfants qui jouent dans la cour d'école, tout en balayant les marches de la façade du pavillon cossu où coulent les jours de la famille Lamb.
Mary s'est mariée à Geoffrey, un peu par le hasard des années communes de lycée et de loisirs… Il est aussi peu dissert qu'elle est bondissante. Ils ont eu trois fils : Jack, entrepreneur aux tendances thatchériennes, Marin, le modéré, finalement cadre chez Cadbury et Peter, le musicien, mal à l'aise dans le mariage. Son homosexualité, il la découvrira après avoir suivi son premier amour à travers la foule des admirateurs de Lady di en larmes, agglutinés autour des grilles du palais royal, sacrée princesse du peuple, alors que la télévision fait tourner en boucle l'absence de la reine …
L'ensemble du roman est construit dans ce parallèle, vie publique, vie privée. Après un court prologue situé en 2020, dans l'atmosphère étrange qui précéda ce confinent que l'on a vu arriver dans une sorte de ouate éberluée que Coe restitue parfaitement, le roman effectue une marche arrière jusqu'au 7 mai 1945, jour du discours de
Churchill et des premières festivités de la paix à peine retrouvée. Mary a sept ans, son père ce jour là, se rend deux fois au pub, y entendra les paroles du premier ministre alors qu'elle et sa mère sont restées devant la radio dans le salon. Les deux ambiances rendent compte alors de l'euphorie et du recueillement national, c'est du romanesque délectable … Même si pour Mary, ce jour là, fut celui de la rencontre avec le jeune homme à la cravate jaune …
Chaque chapitre fonctionne ainsi : la retransmission d' un évènement national, patriotique, solennel, typiquement british et un épisode familial, plus ou moins chaotique ou consensuel qui se déroule autour de la boite devant laquelle les Lamb sont réunis : le couronnement de la reine et le choix de Mary, le couronnement de Charles en prince de Galles et une demande en mariage , et ce jusqu'à boucler la boucle temporelle jusqu'au 8 mai 2020, célébration de l'anniversaire du jour de la victoire, en plein confinement.
Devant les retransmissions, se jouent les tensions et les virages de la famille, comme autant de reflets des changements ou des obstacles qui secouent une société dont les fondements sont pointés par une ironie piquante et douce : le racisme de Geoffrey, la recherche du confort de Mary, les choix de carrière des fils, leurs amours, le monde qui va de traviole… Jusqu'à la filmographie des James Bond qui se délite et on finit par croiser
Boris Johnson en ses débuts de trublion anti européen. Coe distribue les cartes avec malice, croisant un personnage au Pays de Galles, on se doute bien qu'il n'est pas impossible qu'on le retrouve, tandis que d'autres amours se perdent de vue et que Mary, vieillissante, se dit que le jeune homme à la cravate jaune aurait pu être un autre choix. Mary, confinée, dont les fils découvrent le crane, fixe dans le cadre des appels en visio, en ces mois où nous découvrions nos proches par morceaux sur les écrans, ou l'inverse, selon la maitrise technologique de ceux qui tentaient l'aventure … ( Ma belle mère n'ayant jamais réussi à comprendre la fonction reverse, on se contemplait nous mêmes …. Finalement, on a préféré lorsqu'elle a commencé à filmer les placards de sa cuisine en tentant de toper mon beau père récalcitrant qui fuyait son portable ….).
Un brin nostalgique, Coe est une fois de plus, l'analyste étonnant d'une société qui s'effrite et dont les symboles révèlent qu'ils n'étaient peut-être que des fantasmes dont les gens ordinaires comme les Lambs furent les spectateurs. Caustique, sarcastique et tendre, du bon
Jonathan Coe.
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