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3,96

sur 768 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Jonathan Coe est incontestablement l'auteur qui sait le mieux diagnostiquer l'état de la nation britannique. Une nouvelle fois, il examine l'histoire du Royaume-Uni à travers les yeux d'une famille banale de la middle class, comme un besoin obsessionnel de proposer de nouvelles perspectives sur le passé et son rôle dans le façonnage du présent, de rappeler les mythes fondateurs à la fois personnels et nationaux, à l'intersection du public et du privé.

Nous suivons donc la famille Lamb – et ses nombreuses ramifications – de 1945 à 2021, autour de sept événements marquants qui font communion et donnent le sentiment d'appartenir à une nation commune : des discours mythiques ( de Churchill, du roi Georges V pour célébrer la victoire majuscule du 8 mai 1945 ), des épisodes liés à la famille royale ( couronnement d'Elisabeth II en 1953, mariage de Charles et Diana en 1981, mort de cette dernière en 1997 ) ou sportif ( sacre de l'équipe anglaise à la coupe du monde de 1966 ).

On sent bien les coutures du récit, mais le talent de conteur est là pour faire traverser le temps aux personnages. Même si c'est parfois frustrant de les voir vieillir en accéléré, l'auteur orchestre parfaitement son archipel de personnages pour radiographier une société anglaise qui s'effrite au fil des années. le casting est impeccable, concentré identitaire large spectre, avec la dynamique Mary comme coeur central : son mari taiseux qui se révèle xénophobe, leurs fils si différents, de Jack le nationaliste tory pro-Brexit à Martin libéral europhile convaincu ou Peter, le musicien qui découvre son homosexualité sur le tard, entre autres parmi la trentaine de personnages qui peuplent ce roman. Quatre générations dont les succès, les mésaventures et les divisions reflètent les changements post Deuxième guerre mondiale.

Le sens de la comédie de Jonathan Coe est également bien présent avec notamment un portrait croquignolet de « Boris » que l'on découvre avant sa nomination comme Premier ministre lorsqu'il était journaliste dans plusieurs grands quotidiens et brillait par ses articles corrosifs sur l'Union européenne. Les passages les plus drôles du roman sont justement liés à la question européenne avec en son coeur la Guerre du chocolat qui durant une trentaine d'années a opposé les lobbystes britanniques à la Commission européenne qui interdit l'importation de chocolat britannique ( Cadbury en tête ) en provenance du Royaume-Uni jusqu'en 2003, refusant de le considérer comme du chocolat à cause de son adjonction de matières grasses végétales. Les joutes de la commission européenne autour de la question de l'étiquetage donnent lieu à un compte-rendu aussi savoureux que cocasse.

Si l'ensemble manque un peu de mordant et d'intensité - peut-être un peu longuet aussi - on prend un grand plaisir à revisiter l'histoire anglaise à travers le portrait tendre de la famille de Mary. Sur la fin du roman, époque post Brexit, on sent la colère de l'auteur, mais une colère feutrée qui laisse entrevoir lassitude et tristesse. Les passages consacrés à Mary octogénaire confinée, privée de la visite de ses enfants et petits-enfants sont assez bouleversants. Notamment le chapitre intitulée « le sommet du crâne de ma mère » où le regard de son fils Peter s'attarde sur cette partie du corps – la webcaméra de sa mère étant mal orientée – qui révèle toute la décrépitude d'un corps vieillissant.

Le roman gagne alors en en profondeur et invite le lecteur dans une réflexion quasi proustienne sur le temps qui passe qu'il faut essayer de se réapproprier. Ce qui bouge, ce sont les choses les plus superficielles mais qui dans le temps présent sont prégnantes ( qui gouverne, qui trône, qui a gagné la coupe du monde de football ). Mais ce qui reste stable et constant, ce sont les petits moments d'intimité chargés de sentiments profonds, ancrés à jamais par la puissance des souvenirs capables d'arrêter le temps, le suspendre et de le retrouver.

Sans doute pas le meilleur Coe mais Royaume désuni est un roman plein de charme qu'on lit comme dans une bulle ouatée, avec beaucoup de plaisir.


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God save the chocolate !
Quoi de mieux qu'un roman politique pour s'échauffer avant un réveillon de Noel et préparer les débats de haut niveau qui s'annoncent entre le tonton facho, la belle soeur qui veut sauver le chapon non genré et l'ado à la pensée twitterisée. Autant d'idéologies portées après quelques bulles avec la délicatesse d'un goal argentin.
Jonathan &Coe nous avait déjà fait le coup avec brio dans « le Coeur de l'Angleterre », Brexit désoblige. L'auteur reprend un peu la même construction de son Légo historique. Il découpe son récit à partir de plusieurs évènements, du jour de la Victoire le 8 mai 45, en passant par le couronnement de la reine, avant un crochet par la finale de la coupe du Monde en 66, puis un détour par le mariage arrangé de Charles, pour faire le pont jusqu'aux funérailles de Lady Diana et finir masqué à l'aube de la pandémie.
Spécialiste des petites histoires dans la grande, l'auteur commente ces moments à priori fédérateurs à travers les destins de trois générations d'une famille aussi dysfonctionnelle que le pays, d'où le titre un peu lourdingue mais évocateur du roman. Chacun a ses idées, conservatrices, progressistes, je m'enfoutistes ou opportunistes, et aborde ces moments d'union nationale gonflé de ses convictions. Les liens du sang ne transfusent pas les mêmes idées.
En VO, le roman s'intitule Bournville, du nom d'une bourgade proche de Birmingham, racine de l'arbre généalogique de la family et siège d'une chocolaterie dont la renommée ne tient pas à sa teneur en cacao.
Jonathan Coe excelle toujours dans les dialogues qui sonnent justes, les non-dits assourdissants, les cessez-le-feu fragiles et les sarcasmes entre gens bien élevés.
A travers des personnages très bien construits qui grandissent, s'aiment, meurent mais ne changent pas trop d'avis, il glisse des blessures personnelles comme la perte de sa mère, privée du soutien de ses enfants à cause du Covid dans ses derniers instants ou de souvenirs d'enfance avec l'arrivée de la télévision dans les foyers. Il en profite aussi pour aborder l'ascension de Boris Johnson, l'épouvantail à euros.
Ce récit est une belle tranche d'histoire à hauteur d'homme et à quelques mois près, il n'aurait pas manqué d'ajouter un chapitre pour aborder le retentissement du décès de la Queen « Stabylo ».
Avec son ironie, il n'est pas étonnant que Jonathan Coe soit un des écrivains actuels anglais préféré des français. En tout cas, c'est le mien.
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Birmingham, 1945. L'Angleterre tourne la page de la guerre. Mary a dix ans. Elle ne le sait pas encore, mais toute une vie l'attend. Elle aimera, rêvera, travaillera, fondera une famille, évoluera avec les temps qui changent, mais elle restera Mary…

Jonathan Coe prend ce chemin de vie inspiré par sa mère pour fil conducteur pour raconter l'histoire de l'Angleterre. Plus précisément, il sonde l'identité anglaise avec une sorte de perplexité mêlée tour à tour de sarcasme et d'amusement. Cette finale rocambolesque contre l'Allemagne en 1966, les débordements d'émotion à la mort de Lady Di, la « guerre » ubuesque livrée dans les arènes européennes pour défendre le chocolat Cadbury : chaque épisode est savoureusement choisi et merveilleusement raconté.

Pourtant, il m'a manqué la tension d'un Testament à l'anglaise où l'on voit la catastrophe se profiler à l'horizon ou de l'autre série de Jonathan Coe ancrée à Birmingham (Bienvenue au club et les tomes qui suivent), où l'envie de tirer au clair la disparition d'une jeune femme m'avait fait tourner les pages. Ici, on a plutôt une succession de tableaux bien sentis, mais qui ne composent pas une véritable intrigue.

Je me serais presque prise à regretter la méchanceté qui affleurait dans les livres passés de l'auteur. Heureusement, on croise bien ici ou là un politicien néo-travailliste ou conservateur qui fait office de défouloir !

La chronique familiale est certes prenante. On rit, on pleure, on s'attache aux membres de la famille qu'on finit par avoir l'impression de connaître avec leurs qualités et leurs défauts, leurs caractères si différents. Leur détresse, face au brouillage des repères, à la fragmentation de la société, au monde qui se détraque, est poignante.

La chronique nationale m'a, quant à elle, troublée : ces crispations qui ressurgissent éternellement dans des variations pas si différentes, de la deuxième guerre mondiale au Brexit en passant par les sidérantes publicités pour l'Austin metro (« A British car to beat the world ! »), cette ignorance le vécu des Gallois ou des minorités raciales, ou même cette ferveur un peu ridicule pour James Bond ou les Windsor, soulignent la fragilité de ce qui fait tenir un pays ensemble. Comme tous les nationalismes, celui de l'Angleterre repose sur des fictions, des réflexes peu glorieux.

Mais pour moi, ce royaume désuni restera toujours celui d'une ribambelle d'écrivains sensationnels qui nous font rire, trembler ou réfléchir. le pays de Jonathan Coe.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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Avis à ses admirateurs et à ses détracteurs : "There'll always be an England", et Jonathan Coe en apporte la preuve.
Il raconte ici 75 ans de l'histoire du Royaume Uni, à travers quatre générations de la famille Lamb, établie près de Birmingham (le coeur de l'Angleterre !) et se développant autour de Mary, 11 ans lorsque la deuxième guerre mondiale prend fin. Au rythme des principaux événements qui marquent le pays et divisent ou réunissent la famille (couronnement de la Reine, mariage de Charles et Diana...), Jonathan Coe propose une chronique douce-amère d'une Albion partagée entre conservatisme et progressisme, et qui revendique toujours son insularité.

Il ne s'agit donc pas d'une gentille saga familiale autour d'une tasse d'Earl Grey : comme toujours chez Coe, c'est d'abord une analyse sociétale, où la politique est inhérente au récit. Ici, le socle de l'histoire est la chocolaterie Cadbury, ce qui lui permet d'évoquer la guerre du chocolat à l'échelle européenne (avec ou sans matières grasses ajoutées ?), puis l'éveil du sentiment de défiance vis-à-vis de l'Europe, et enfin le Brexit -et sans que tout cela soit ennuyeux un seul instant.
J'ai aimé aussi la façon dont l'auteur égratigne les Windsor ("Elle a dit que la famille royale n'était qu'un ramassis de parasites qui se gavent sur le cadavre putride d'un système social en faillite."), mais il réserve sa véritable animosité à l'encontre de Boris Johnson, et c'est vraiment jouissif à lire. Affligeant aussi (et finalement douloureux lorsqu'on lit la postface).
Enfin, les personnages ne sont pas particulièrement attachants, mais ils ont un caractère qui leur est propre et qui les rend plus authentiques. On croise aussi quelques personnages des romans précédents, et cela m'a plu, d'autant que c'est fait avec la subtilité qui caractérise Jonathan Coe. Et c'est avec grand plaisir que j'ai également retrouvé son style vif, chaleureux, plein d'humour, et sa narration si bien structurée, qui donnent l'impression au lecteur d'être respecté et considéré comme quelqu'un d'intelligent, tout en l'instruisant avec simplicité ; un vrai gentleman-writer !

J'ai donc passé un très bon moment avec cet auteur, qui dépeint mieux que personne son pays et ses concitoyens, avec la tendresse et le piquant de ceux qui ne peuvent pas s'empêcher d'aimer.
Rule, Britannia !
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Mes amies m'avaient conseillé de lire quelque chose de plus léger, je les ai écouté et je suis allée me promener en Angleterre durant 75 ans quand même...

Dans le royaume désuni de Jonathan Coe, nous suivrons Mary, ses enfants, petits enfants et en parallèle l'histoire de ce pays ainsi que les évènements les plus marquants.
Ils vivent à Bournville, banlieue de Birmingham.
Cette saga se déroule de 1945 l'Armistice à 2020 début du covid.

Nous assisterons à la guerre du chocolat, entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni, le couronnement de la reine, la coupe du monde de football, le mariage de Charles et Diana, le décès de Diana, le brexit, L'arrivée de la télé dans les foyers.
Tous ces événements vus et décortiqués par cette famille, grands et petits sont drôles, piquants, parsemés d'un peu d'ironie, vous donne un roman très agréable.
Différents sujets sont abordés, la relation parents-enfants, la musique, les enjeux politiques et beaucoup d'autres choses.

Une histoire très british en compagnie de cette famille anglaise. Je vous le recommande.


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Jonathan Coe a un talent fou , on le sait, pour entremêler l'histoire du Royaume- Uni, ou désuni, c'est selon, avec celle de ses personnages.

de 1945 à 2020, nous suivons l'évolution d'une famille de classe moyenne, implantée dans la banlieue de Birmingham, et travaillant au départ pour l'usine de chocolat Cadbury. Et, subtilement, chaque partie correspond aussi à un événement touchant la royauté, que ce soit l'avènement de la reine Elisabeth ou la mort de Lady Di.

Les membres de la famille Lamb ( ainsi que ses ramifications ) sont comme toujours fort attachants. Au départ, j'ai dû souvent consulter l'arbre généalogique présenté en préface, car les retours en arrière fréquents demandent beaucoup d'attention pour retenir qui est qui. le personnage que j'ai préféré est Mary, pour son charisme et son caractère entreprenant et curieux de tout. L'auteur nous confie à la fin qu'il s'est beaucoup inspiré de sa propre mère, ce qui nous la rend plus proche encore.

L'humour est bien sûr présent, notamment dans le décalage entre les paroles officielles prononcées à la télé et ce que disent ou pensent les protagonistes. La tendresse accordée par Jonathan Coe à chacun d'entre eux, à travers leurs failles, leurs échecs personnels, est perceptible.

J'ai quand même trouvé parfois le temps un peu long, mais c'est avec grand plaisir que j'ai suivi cette radiographie anglaise, acerbe et douce-amère.
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Comme à son habitude, Jonathan Coe décrypte son pays à travers les affres d'une famille. Cette fois ce sont les Lamb qui sont au coeur de l'Angleterre et que le romancier raconte, de bond en bond, d'événement fédérateur en événement fédérateur, de la victoire de 1945 aux funérailles de Diana. Il n'oublie pas pour autant les clivages d'aujourd'hui, du Brexit à la pandémie de 2020... (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/11/27/le-royaume-desuni-jonathan-coe/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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GOD SAVE THE QUEEN AND THE CHOCOLATE

On retrouve pas mal de choses dans ce petit roman ma foi bien sympathique.
Nous suivons la vie d'une famille anglaise sur plusieurs générations, du 8 mai 1945 jusqu'aux célébrations des 75 ans de la fin de la seconde guerre mondiale.
Chaque époque correspond à un jalon dans le règne d'Elisabeth II : son couronnement, Charles devient Prince de Galles, le Mariage de Charles et Diana, la mort de Diana,... vu par une famille anglaise.

On trouve, pêle-mêle, l'histoire du chocolat Cadbury et celle de la guerre du chocolat... qui explique pourquoi Cadbury n'est pas vendu chez nous.
On y rencontre un futur Premier ministre mal coiffé dans ses premières attributions de journalistes, tournant en dérision l'Union européenne.
On y retrouve la Covid 19 et ses dégâts (mais bon, j'aurais préféré ne pas le trouver là)
On y trouve aussi les tensions entre Gallois, Anglais, Irlandais, une évolution des moeurs concernant les homosexuels notamment, les évolutions technologiques,...

C'est pas mal, ca se laisse lire, sans vraiment trouver d'accroche.
Ca manque un peu d'humour et voire même de british touch (!)
Ca manque de punk, elle est trop propre sur elle cette famille.
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Jonathan Coe fait partie des rares écrivains contemporains dont les lecteurs fidèles savent qu'il ne les décevra pas, dans un cocktail miraculeusement équilibré entre ironie, tendresse, cruauté et humour. Par ailleurs, s'il est un conteur délicieux, il est aussi à sa manière sociologue et historien, implacable et suave narrateur de la "Britannitude." Dans le royaume désuni, il parcourt ainsi 75 ans d'histoire anglaise, en s'attardant sur plusieurs événements marquants, du 8 mai 1945 au Covid de 2020, en passant par le couronnement de la reine, la coupe du monde de football victorieuse de 1966 ou la mort de Diana. Soit autant de moments marquants de communion populaire mais vus aussi d'un oeil moqueur, à travers l'intimité d'une famille dont les membres évoluent au fil du temps. le personnage principal, Mary, enfant en 1945, est une femme ordinaire, qui s'inspire de la propre mère de Jonathan Coe, et qui représente un éléments de stabilité autant qu'un fil conducteur dans un livre qui parle d'une quantité de sujets, dont par exemple la croustillante guerre du chocolat entre l'Union Européenne et le Royaume-Uni, sans perdre un seul instant son inventivité et son écriture narquoise. le rapport des sujets britanniques à la royauté y prend une large place de même que, plus épisodiquement, les réminiscences de la seconde guerre mondiale, le libéralisme de Thatcher "et tout le tintouin", selon l'expression favorite de Mary. Quant à l'évolution des mentalités, la persistance de certains préjugés raciaux ou sexuels, ils sont pareillement abordés au fil d'une variété d'intrigues qui ne souffrent pas des ellipses temporelles entre chacun des chapitres. Bref, comme toujours avec Coe, c'est un régal, et une occasion renouvelée de s'intéresser à ces drôles de Britanniques, si éloignés et si proches de nous. Ne sont-ils pas ?
Lien : https://cinephile-m-etait-co..
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Comme des milliers de lecteurs sans doute, j'ai attribué à Jonathan Coe un rôle délicat : m'expliquer ce qui se passe dans son pays, rendre intelligible ce que mes yeux d'européenne et d'anglophile convaincue ne peuvent concevoir. La fracture entre le Royaume Uni et le reste du continent, les failles internes à cette nation.
Ca fait en effet quelques années que l'Angleterre idéale qui trône dans ma petite caboche est constamment repeinte et que je modifie son portrait à mesure que je réalise combien (oui, j'étais bien aveugle et ignorante) l'unité nationale du Royaume Uni recouvre un ensemble disparate d'intérêts, d'identités territoriales et d'histoires sanglantes.
Elle a pris quelques gnons et quelques rides, mon Angleterre fantasmée depuis que, grâce aux romans de Coe notamment, je réalise que la colonisation anglaise, avant de conquérir un empire par-delà les mers avaient eu de beaux jours sur les territoires jouxtant immédiatement l'Angleterre. Quoi qu'en veuillent les monarques et gouvernements successifs anglais, les populations d'Irlande, d'Ecosse, ou du pays de Galles n'ont pas senti unanimement cette union comme légitime ou indéfectible. Toujours grâce à Coe, je réalise que la fermeté parfois martiale avec laquelle la fable d'un récit national avait pu être tenue ne sait plus contenir aujourd'hui toutes les aspirations à faire sécession, à quelque échelle que ce soit.
C'est de cela que parle le Royaume désuni. Accrochant la narration sur sept événements de portée historique (8 mai 1945, sacre d'Elisabeth II, coupe du monde de football en 1966, etc.), Jonathan Coe déploie une galerie de personnages reliés par des liens familiaux. Ainsi, à travers ces moments de célébration qui promettent d'être fédérateurs, on prend la température du pays, on mesure les limites fluctuantes de sa solidité. Les trajectoires des protagonistes s'éclairent des enjeux du moment tout en même temps qu'elles sont brossées sur un fond en évolution constante.
Bournville, petite ville ouvrière blanche grâce au paternalisme de l'entreprise Cadbury en 1945, se métisse peu à peu et perd son statut d'enclave prospère. Pendant ce temps, Mary et Geoffrey mais aussi l'un de leur fils se sont exilés plus loin à la campagne, dans ce nouvel eldorado pour classes moyennes ayant réussi. A contrario, Martin, un autre des trois enfants de Mary, que l'adverbe « modérément » décrit le mieux, s'installe dans cet endroit désormais déclassé avec sa femme. Que cette dernière soit noire et devienne députée européenne vient décrire un autre devenir anglais possible, une autre trajectoire qui amènera les trois frères (le dernier est un grand musicien assumant tardivement son homosexualité) à ne plus exactement se comprendre.
Ces dissensions, on pourrait aussi en voir l'origine dans l'opposition des caractères de leurs parents, Geoffrey si conservateur et Mary moins réfléchie mais plus ouverte. Mais on pourrait remonter aussi à la génération précédente, trouver d'autres personnalités, d'autres actes justifiant les ruptures à venir et ainsi de suite. La vanité de cette entreprise montre que l'explication n'est pas à chercher du côté d'un fait coupable mais plutôt d'un ensemble de non-dits ou d'implicites longuement ressentis comme aussi injustes qu'indépassables. Que ces tabous aient été levés par la politique décomplexée de quelques arrivistes sans scrupule semble être la thèse que défend l'auteur. L'opportunisme dévastateur et sans vergogne d'un certain Boris est ainsi parfaitement mis en évidence.
Mais ce qui apparait également dans le roman, c'est la manière profondément intime dont la fracture vient diviser les familles, la façon dont une certaine politique est à la fois la conséquence d'émotions populaires mal digérées et la cause de dissensions domestiques. Dans un invraisemblable cercle vicieux, l'amertume privée alimente le ressentiment public et aucune vertu collective telles le courage, la solidarité, le respect de l'autre, l'optimisme ne semblent avoir de prise. L'époque est au repli individualiste tant dans les tempéraments que dans les politiques publiques. Jusqu'aux mesures de confinement qui viennent enfoncer le dernier clou sur le cercueil d'un vivre ensemble.
Alors il n'est pas très gai ce dernier Jonathan Coe et il comporte les quelques longueurs démonstratives qu'imposent ses choix formels. Mais il pose une explication subtile et jamais caricaturale sur ce dont on a encore peine à croire. Il rend palpable et incarné ce que les statistiques, les rapports et les indicateurs disent par ailleurs : le Royaume Uni va mal, son unité ne tient pas plus sur le plan territorial que sur le plan politique, les divisions sont partout et si elles sont instrumentalisées par de cyniques appétits, leur légitimité ne fait aucun doute. Reste à inventer un autre devenir. Reste à peindre un avenir fédérateur et riant. Alors monsieur Coe, s'il vous plait, faites de votre prochain roman un récit d'anticipation, mettez-vous à la science-fiction, on en a bien besoin !
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