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Après avoir suivi les tristes premières amours de Solal, Albert Cohen nous ramène en Céphalonie pour suivre le quotidien de Mangeclous, Saltiel, Salomon, Mattathias et Michaël, ces cinq juifs de nationalité française aux caractères si particuliers. « Si je ne mentais pas, que me resterait-il ? » (p. 161) Au fil des pages, il sera question d'un chèque de trois cent mille drachmes, d'un message codé, de la possibilité d'un trésor, d'une lionne en liberté, d'un voyage vers Genève en passant par Marseille, d'un hideux marin se croyant bourreau des coeurs, d'un Juif emprisonné pour sa religion, de la Société des Nations et d'un gouvernement israélien. Avec les Valeureux, on parle d'amour comme on parle de pets, jugeant le premier à l'aune des seconds, la poésie des choses triviales n'ayant aucun secret pour ces cinq hommes aux manies étranges et ridicules.

« Dieu est grand, dit Mangeclous. Et moi aussi. » (p. 250) Tout à la fois grandiose et grotesque, Mangeclous est une caricature d'égocentrique, d'affamé et de radin. « Je suis victime du dévouement à ma cause personnelle et privée. » (p. 347) Lui et ses compères font montre d'un formidable orgueil et avancent dans le monde comme si chacun devait les connaître et les reconnaître. Sous couverts d'obscurs et lointains hauts faits, lesquels sont largement sujets à caution, les Valeureux portent le nom de Solal comme un oriflamme devant leur ouvrir toutes les portes. « Je suis un inconnu, moi ? Mais ne sais-tu pas qu'un livre tout entier appelé « Solal » a été écrit sur moi avec mon propre nom et que l'écrivain de ce livre est un Cohen dont le prénom étrange est Albert. » (p. 298) Pour faire valoir leurs prétendus droits et privilèges, ils usent et abusent de démonstrations et de récits logorrhéiques : ces avalanches de mots, ces cataclysmes verbaux se déploient dans un langage richement ampoulé et ridiculement fiorituré, l'invention lexicale n'étant pas la dernière des habitudes de nos cinq étonnants compères.

Agaçants, mais attachants, les Valeureux traînent avec eux une mélancolie identitaire et cultuelle : un bon juif est un juif triste, bourrelé de remords et de chagrin. Mais Mangeclous et sa clique savent effacer leur peine devant un buffet ou la promesse d'un profit. Puisque tout est toujours question d'argent ou de tractation, la générosité pourrait sembler impossible. Pourtant, les cinq cousins céphaloniens ont des trésors de bonté et d'abnégation dissimulés sous des dehors crasseux et retords. Et quand il est question de leur religion, même l'auteur y va de bon coeur dans la moquerie. « Allons, allons, c'est pas sérieux comme religion. Vous n'avez pas de Bonne Mère, pas de saints, rien du tout. Rien qu'un bon Dieu là, tout seul. C'est pas sérieux, voyons ! Et puis tu t'imagines que ça me fait plaisir que tu vas rôtir pour l'éternité. » (p. 229)

Sous la plume d'Albert Cohen, le portrait du juif est poussé à un tel extrême qu'il est impossible d'y croire, comme si, au moment de l'écriture, dans un contexte d'antisémitisme grandissant, l'auteur avait voulu tordre le nez aux clichés sur les juifs en les faisant s'écrouler sous leur propre incongruité. Et finalement, en lisant Mangeclous, on se dit que, non, ce n'est pas possible, les juifs ne sont pas comme ça et il ne faut pas les diaboliser. « Les Israélites de Céphalonie forment une espèce à part. Il serait injuste de généraliser. » (p. 102) Mangeclous est un monument comique, écrit avec une verve quasi épique et le texte est si truculent qu'il est à hurler de rire, sans se retenir, comme le ferait le héros éponyme, toute honte bue, gorge déployée et bravache, comme un immense pied de nez fait aux vilains pensants et étroits d'esprit.
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Les Valeureux sont ces personnages folkloriques, des doux dingues, que Cohen met en avant dans deux romans de la tétralogie Solal: "Mangeclous" et "Les Valeureux".
Ce sont ces marginaux qu'Albert Cohen va utiliser pour nous faire passer sur la ligne de crête difficile de l'humour en littérature.
Entre deux gags, émerge parfois la mémoire des pogroms et le malheur d'être juif (selon les mots du personnage Jérémie) à une époque, les années 1933-36, où la montée de l'antisémitisme provoque des violences en Lituanie et surtout en Allemagne avec Hitler au pouvoir.

Parmi ces personnages se détache celui qui se soustrait à tout savoir vivre, notamment quand il s'agit de nourriture: Mangeclous.

Grotesque, rabelaisien, emphatique, mythomane, pétomane reconnu et j'en passe, ce protagoniste, secondaire dans "Belle de jour" a, malgré ses défauts, toute la sympathie de son auteur qui en fait un personnage de premier plan dans ce roman à son nom.

Le livre est donc, à son image, jubilatoire, désordonné, souvent disgracieux, parfois mélancolique, souvent drôle mais souffre parfois de quelques longueurs, pour ne pas dire lourdeurs. Comme un repas trop riche, Son auteur aime insister sur certains traits de ses nombreux personnages: la pingrerie, la naïveté, le ridicule, la bêtise jusqu'à peut-être lasser.

Après ces hypothétiques lassitudes, vous reprendrez sûrement la lecture un peu plus tard car le final est grandiose.
En passant par Marseille, ils retrouveront Scipion, ami de longue date de la troupe, la caricature du bonimenteur du Vieux Port.
D'étranges circonstances vont amener toute cette troupe à Genève, au siège de la SDN, pour le clou du spectacle: la rencontre avec les hauts fonctionnaires de cette noble institution, très critiquée au passage pour son inefficacité. Le ton d'Albert Cohen, jusqu'ici bienveillant, deviendra soudain plus corrosif.
Dès lors, ce livre sera peut-être le plus drôle que vous n'aurez jamais lu mais cela se mérite, un peu.
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O Albert des Cohen, ô évocateur inspiré, ô pétrisseur de personnages inoubliables, ô incorrigible misogyne et phantasmeur de surhomme, ô riquiquineur de vilains bourgeois et magnificateur de petites gens, ô sublimeur de judéité, ô énormificateur des travers de ton temps,
Grâces te soient rendues de m'avoir mis de nouveau la tête à l'envers avec les tribulations du gargantuesque Mangeclous et son irrésistible bande de pieds nickelés magnifiques, Salomon le si tendre, Mathattias l'avide avare et le noblement tordu Saltiel!
Quel bonheur de lecture que cette langue si riche, ces outrances de postures dans lesquelles on a plaisir à se vautrer, cette évocation métaphorique d'une époque délétère, à la veille d'un cataclysme qui emportera tant de Mangeclous d'Europe, ces facéties si drôles et cette amitié si riche!
Quelle surprise également de retrouver l'inoubliable Solal des Solal, qui trône au panthéon de mes personnages littéraires, et de découvrir, à la fin du roman, le commencement de la scène inaugurale de Belle du Seigneur qui le suivra trente ans plus tard!
Et l'envie, maintenant, de relire la trilogie dans le bon ordre pour raviver le plaisir.

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Un mystérieux chèque et nos valeureux abandonnent la communauté juive de Céphalonie pour Genève, patrie de la Société des Nations où le beau sous-secrétaire Solal est amoureux des juifs et de la belle Ariane.

Comment mieux illustrer ce délicieux humour juif que par le verbiage de Mangeclous avec son haut de forme de quasi-avocat non diplômé, son pragmatisme cupide, perfide et mensonger, expoitant sans vergogne ses amis et cousins, Salomon jeune crédule, l'obséquieux oncle Saltiel, le martial janissaire Michaël et Mattathias.

Avec du recul j'essaye de comprendre ce que cache cet auteur désabusé qu'est Albert Cohen, le pourquoi de tous ces sarcasmes, sur les juifs sur la société des nations.

Fallait oser la réécriture, un brin scatologique (j'ai trop rigolé, honte à moi!), des amours d'Anna et du prince Wronsky concluant par l'éloge du mariage.
'L'amour c'est l'habitude et non jeux de théâtre. Les amours poétiques païennes genre Anna Karénine ce sont des mensonges où il faut parader, ne pas faire certaines choses, se cacher, jouer un rôle, lutter contre l'habitude. le saint amour, c'est le mariage, c'est de rentrer à la maison et tu la vois. Et si tu as un souci, elle te prend la main et te parle et te donne du courage.'

Un beau passage également, l'émerveillement de Mangeclous redescendant des montagnes.
'Et soudain, dans une foudroyante illumination, tournoyante et craquante, Mangeclous comprit que Dieu aimait chaque être en particulier et d'un amour absolu, qu'il aimait spécialement cet oiseau et spécialement le ridicule homme de rien nommé Mangeclous et son plus infime insecte et chaque reptile et même cette petite pierre pointue. Il ôta son chapeau haut de forme.
— Gloire à Dieu, dit-il gravement.'
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Il y a quelque chose de torrentiel dans le roman d'Albert Cohen, une phrase qui ne veut rien céder à la suivante, une loufoquerie surdimensionnée, une ironie macérée dans le vitriol. le lecteur commence par écarquiller les yeux – ai-je bien lu ? – puis se laisse emporter par le récit aussi débridé que farceur, avant de percevoir la craie noire qui en dessine le patron.
L'épopée des Valeureux commence sur l'île de Céphalonie, se poursuit à Marseille et s'achève à Genève. Qui sont ces Valeureux, tous des Solal de la branche cadette, cousins réunis par une affection chahutée par l'excès de leurs caractères ? Saltiel, le plus âgé sans être forcément le plus avisé, Mangeclous l'ogre tuberculeux, aussi insatiable à table que dans le verbe, Matthathias l'avare, Michaël Le combattant qui plaît aux dames et le petit Salomon au coeur gonflé d'amour pour toutes les créatures vivantes. le narrateur nous met en garde, ces Valeureux du ghetto sont des traîne-savates, des moins-que-rien, des imposteurs souvent, mais sans eux leur communauté n'aurait plus la folie qui soigne les catastrophes.
Un chèque de trois cent mille drachmes adressé à Saltiel décide de l'embarquement de la petite troupe pour Marseille et de leur voyage jusqu'à Genève où travaille à la Société des Nations leur parent, le beau Solal,. En route, se joignent à eux Scipion le Marseillais et Jérémie, le juif errant et apatride.
Derrière la farce pointent les préoccupations de l'époque, la militarisation de l'Allemagne, Hitler qu'il faudrait amadouer à coups de raisonnements perspicaces, la décomposition de la Société des Nations, l'impuissance d'une diplomatie bureaucratique peuplée d'imbéciles et de fats… La virtuosité du style, la truculence des personnages, l'énormité des situations soulignent toute la fantaisie d'Albert Cohen, la puissance évocatrice de son écriture, mais aussi l'absurdité qui gouverne les destinées humaines et s'enracine dans le mépris de l'Autre.
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Voici un roman foisonnant, généreux, truculent, à conseiller à tout amoureux de la lecture. Car on prend beaucoup de plaisir à suivre les pérégrinations des Valeureux, une bande d'amis de Céphalonie partis en voyage dans Genève la bien-pensante. C'est drôle, c'est chaleureux, c'est surprenant. On est bien loin de tous les romans actuels, lisses et plats, qui se lisent rapidement et sont aussitôt oubliés.

Reste la fin qui m'a laissée perplexe. L'auteur abandonne les Valeureux, pour passer à des petits bourgeois suisses. On y retrouve subrepticement Solal, mais sans réel continuité avec le début du roman … Je me suis même demandé si l'exemplaire que j'avais emprunté à la bibliothèque n'avait pas été mal assemblé, et les cent dernières pages auraient été échangées avec les cent derniers pages d'un autre roman d'Albert Cohen. Apparemment, non, c'est la bonne fin … En dépit de cela, j'ai hâte de découvrir « Belle du Seigneur » …
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Second volet de la trilogie d'Albert Cohen sur les aventures de Mangeclous. Histoire truculente pleine d'humanité , de ces personnages filous et naïfs, d'un pan de l'Histoire racontée avec humour et parfois mélancolie.
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Un héros comme Mangeclous atteint à l'épique.Il y a du souffle de Rabelais et c'est comme dans Rabelais,on accepte tout .Mangeclous est un grand héros comique d'une drolerie extraordinaire.Ce roman acquiert une portée générale par son humanité,son grand rire,sa verve populaire.
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Oui ce livre est admirable. D'abord il l'est pour sa verve immense, le comique et la dérision sont portés à des sommets. La référence à Rabelais n'est pas galvaudée. Ensuite, cette truculence est mise au service d'une connaissance de l'humanité fine et plein de nuances. La caricature atteint des sommets, la poésie est là, l'amour de la Méditerranée, des mots, des langues... Les Valeureux sont souvent agaçants mais on donnerait beaucoup pour passer un moment avec eux. Les pauvres membres de la famille Deume et consorts endossent le rôle de symboles de l'étroitesse. Les scènes se déroulant à la Société des Nations sont des anthologies de ce que le fonctionnariat peut infliger et provoquer à tout être humain s'y frottant (je le sais je suis fonctionnaire...).
J'ai pourtant parfois eu des pincements au coeur car la limite entre cette joyeuse irrévérence et une misanthropie assortie de misogynie affleure comme une ombre occultée par le panache de la plume de l'auteur.
C'est en résumé un grand livre, à lire, de mon point de vue, avec le filtre de l'indulgence pour les femmes et les faibles que n'a pas utilisé Mr Cohen.

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Le premier roman d'Albert Cohen, que j'ai lu. Comme tous ses livres, il s'agit d'un chef d'oeuvre. Plus leger que Solal, et surtout Belle du Seigneur, Mangeclous, constitue tout ce qu'on est en droit d'attendre d'un livre. c'est drole, que dis je, parfois, à se plier par terre!, c'est emouvant, genereux. On aime tous les heros de ce roman. On voudrait que ce livre ne se termine jamais. Et le style de l'ecrivain, qui rappelons le , etait un diplomate, et ecrivain à ses heures perdues. Un style inimitable, magnifique, brillantissime. INDISPENSABLE!!!
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