[...]L'univers d'Arcadia se divise en deux : Ternemonde, que l'on pourrait associer à notre monde mais touchant à sa fin et caractérisé par le fait que les gens ne rêvent plus, et Arcadia, le monde des rêves, comparable à celui des Aventures d'
Alice au pays des merveilles de
Lewis Carroll, auteur de l'époque victorienne, ce qui n'est bien sûr pas un détail laissé au hasard.
Dans l'univers des rêves cohabitent des figures de l'art victorien, des divinités, les légendes arthuriennes, et plus généralement le Londres du XIXème siècle accompagné de son folklore.
De quête du Graal, il ne sera toutefois pas ici question. C'est le conflit entre les chevaliers de la table ronde et Mordred qui importe pour cet ouvrage. Ce sont toutefois les personnages en tant que symboles celtes plutôt qu'en légendes que nous serons amenés à côtoyer ici. le monde des rêves suit en quelque sorte le schéma arthurien incarné par les personnages rêvés d'une époque : à savoir les peintres et poètes victoriens.
Rapidement nous sommes pris dans l'enchevêtrement d'univers et de motifs de cet ouvrage. Au cours des pages, nous ne suivons pas un personnage singulier et il n'y a pas, au sens propre, de véritable protagoniste. Arcadia prend la forme d'un roman choral, où nous sommes amenés à côtoyer plusieurs points de vue à travers plusieurs personnages et dans plusieurs dimensions (ça fait beaucoup de plusieurs). Pour accentuer l'effet « chorale », on pourrait qualifier le rôle des individus que nous rencontrons de « symboliques » : les événements sont mis en oeuvre de façon à ce que l'agissement des personnages s'ordonne mécaniquement à la façon d'objets célestes mouvant autour de leur orbite.
L'ensemble de la lecture est une entrevue avec une bulle onirique. Certains personnages vont rencontrer ce monde des rêves presque au même titre que nous (#mise en abyme). Ce livre est une harmonie de singularité qui se lit comme un ensemble.
[...] Ce roman est le récit d'une rencontre entre un univers rêvé et notre monde désenchanté.
Fabrice Colin parvient à faire de son roman le miroir de la relation lecteur-livre dans nos sociétés modernes. On comprend d'ailleurs que les personnages d'Arcadia sont les alter-ego des personnages contemporains, ces dernier étant leur pendant steampunk.
[...] Si ma mémoire est bonne, ce roman était présenté dans une sélection Steampunk.
Je n'ai lu aucun des « grands classiques » du genre, et suis plutôt profane dans le domaine, mais pour moi plusieurs points permettent de situer l'ouvrage de
Fabrice Colin dans l'esthétique steampunk (ceci reste ouvert à débat bien entendu).
[...] le clin d'oeil du monde des rêves est loin d'être anachronique,
Lewis Caroll faisant pleinement partie des auteurs victoriens. de plus, le monde des rêves permet de mettre en perspective le rôle assigné à chacun des personnages.
[...] Si, au premier abord, j'ai pu être déroutée par la présence des légendes arthuriennes dans un univers de vapeur, c'est pourtant sa compagnie qui confirme le style. Ces mythes ont parfaitement leur place dans la culture steampunk, d'une part parce que dans les ouvrages fondateurs du genre il était question de légendes arthuriennes et d'autre part parce que dans l'art victorien la présence des légendes arthuriennes est très forte. En effet, c'est à cette époque qu'on trouve un regain d'intérêt pour l'époque médiévale.
Le mélange des genres est parfaitement mené et conduit à la création d'un véritable univers de rêves et de vapeur. Plus que du simple steampunk, on a ici affaire à de la dreampunk parfaitement gérée.
Cela dit, Arcadia c'est avant tout l'histoire de
la fin du monde où les personnages n'ont qu'un rôle préétabli à jouer. Ce roman est la mélodie délicate d'une fin de monde victorienne.
On peut parler de vraie symphonie littéraire : comme dans une symphonie, chacun a un rôle défini, l'histoire est décomposée en actes qui mènent à un dénouement connu de tous ou presque. Comme dans une symphonie, c'est l'ensemble qui compte et c'est le chemin de chaque individualité qui permet de tenir la totalité. Comme dans une symphonie, c'est un mélange d'arts, on savoure le chemin plus que la fin, ce qui est intéressant c'est la lecture des pages en
elles-mêmes et non l'histoire.
On savoure chaque chapitre de l'oeuvre à l'écriture soignée et ciselée. Depuis le début du roman, la fin est annoncée. On sait que nous sommes dans un récit de fin du monde, sauf que comme le soulignent les personnages eux mêmes, la fin n'est pas un grand fracas, mais quelque chose que l'on attend et que l'on contemple.
[...] Arcadia est donc une symphonie culturelle autour du victorien. le livre est lui-même écrit dans ce sens et se finit avec l'oeuvre des planètes, inspiré de
Virginia Woolf, pourtant grande absente des protagonistes.
So What ?
Cet ouvrage est surprenant. Je peux, sans mentir, dire que j'en ai apprécié la lecture. Sans saisir l'ensemble des subtilités et des enjeux de l'univers, il est plaisant d'être bercé dans cette bulle onirique. Pourtant, dans un premier temps, j'étais un peu déroutée de ne pas comprendre les règles et la structure de l'univers. Mais j'ai finalement réalisé que le chemin de cet ouvrage est dans le plaisir de la lecture lui-même. Il ne faut pas attendre d'Arcadia un récit épique mais une écriture contemplative où tout semble savamment dosé.
Le plaisir est ici dans l'égarement.
Pour ma part, j'ai été complètement perdue dans le système de l'univers, et ce n'est pas plus mal. J'y ai (re)trouvé le plaisir de lire un texte et pas un scénario. L'écriture de qualité m'a vraiment amenée à être une lectrice contemplative des aventures de ce monde. A ce titre, l'ouvrage remplit le rôle que lui a donné l'auteur dans la préface, c'est-à-dire « donner à voir ».
Si, comme moi, avant de commencer l'ouvrage vous ne connaissez rien à l'art victorien, je vous conseille de lire le « dramatis personae » en premier lieu et de vous y référer de temps en temps. Si cela permet de situer, cela peut cependant contenir quelques informations sur l'intrigue, encore que, comme je l'écrivais plus haut, le plaisir de la lecture n'est pas dans la découverte de nouv
elles péripéties, aussi je ne pense pas que le « spoil » puisse agir ici.
Si vous aimez les dorures (ouais, ouais c'est un argument, ok?) et que vous voulez vous plonger tête la première dans le fog londonien, Arcadia est un bijou charmant quoique un peu grossier, dont vous ressortirez pourvus d'un nouveau regard sur l'art victorien. Laissez-vous bercer par les ambiances, oubliez les romans qui vous portent par leurs péripéties et prenez le temps, c'est l'essentiel !
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