Cet ouvrage comprend deux parties qui retracent les grands évènements des années 1940: "Le pain noir" et "La renaissance".
Ce qui donne une vraie valeur à cette sorte de journal ce sont les témoignages des anonymes. On nous offre des parcelles de vie touchantes et passionnantes. de plus, les articles sont divers et, historiquement, prenants.
Bien sûr, tous les articles ne sont pas intéressants de la même façon. S'ajoute à cela l'impression que certains évènements ont été embellis par les auteurs des articles. Il y a une tendance à mettre en avant la résistance et le "courage" des Français face à l'occupant, évinçant un peu le fait qu'il n'y avait pas d'un côté les "gentils" Français et de l'autre les "méchants" Allemands. Même si cette impression reste assez ambiguë.
Mis à part cela, c'est un très bon document.
Commenter  J’apprécie         10
Il s'appelait Fridolin. Jusqu'à sa mort, dans une paix depuis longtemps revenue, grand-père élèverait un cochon par an. Et tous répondraient au doux nom de Fridolin. Je dis "répondraient" avec raison. Car Fridolin répondait en grognant aux appels de grand-père qui le brossait, le cajolait, le gavait de topinambours et d'épluchures de fruits sans trop songer, qu'en l'engraissant ainsi, il le conduisait plus rapidement à l'inéluctable.
Et venait le moment où Fridolin exposait trop ostensiblement ses jambons et sa couenne. Quand l'exécuteur des hautes oeuvres arrivait du village avec son grand couteau, grand-père taquinait une dernière fois Fridolin en l'assurant qu'il ne sentirait rien et, courageusement, il s'enfuyait à bicyclette vers le bistrot du bourg en prétextant une course urgente.
Moi, avec mes petites pattes, je m'en tenais à ma cachette en priant le dieu des cochons. Mais il n'y avait pas de miracle. Quand grand-père revenait, Fridolin était entièrement démonté.
[p31]
Après l'armistice, la France fait ses comptes. La "drôle de guerre" a fait 92 000 morts, 250 000 blessés et près de deux millions de prisonniers. Ceux-là, où sont-ils ? Ils ont laissé des femmes, des enfants, des parents qui font le siège de la Croix-Rouge et des organismes officiels pour obtenir des nouvelles, avoir la preuve qu'ils sont vivants.
Prisonniers mais vivants. Alors, on respire puisqu'ils vont bientôt revenir...
C'est ce qu'on pense aussi, à l'intérieur des barbelés. Le Maréchal l'a affirmé et les geôliers allemands, eux-mêmes le croient. S'ils savaient les pauvres, qu'ils en ont pour cinq ans...
[p21]
Dans le parc qui borde le fleuve, on aperçoit de temps en temps Madame Simon. Les mauvaises langues prétendent qu'elle veut être là où il se passe quelque chose. Et à Vichy, les occasions de s'étonner ne manquent pas. Toutes les ambassades, par exemple, à l'exception de celle d'Irlande, accueillent les Allemands qui, eux, tentent de séduire les sympathisants du gaullisme ! On plaisante le général de Londres sous les lambris. On trouve sa voix détestable. Une sorte de "plainte glacée et souveraine dont il corrige brusquement l'ennui par de courts éclats étudiés".
[p18]
Les croque-morts pratiquent l'humour noir en ces temps sombres. Variante sur le même thème: à Cholet, dans un café, un homme affirme bien haut: "Moi, je n'ai pas peur de le dire. Je préfère cent fois travailler pour les Allemands que pour les Français." Cela jette évidemment un froid et un client dont le sang n'a fait qu'un tour rappelle le beau parleur à un peu plus de vertu patriotique. "Et pourquoi, rétorque celui-ci, je suis l'entrepreneur des Pompes funèbres." Résistance par l'ironie ou la farce. Résistance tout court...
[p25]
"Les hommes sont chaque jour plus humains". Cette petite phrase de Charles de Gaulle est teintée d'amertume. Le général n'ignore pas que l'unanimité de circonstance, face à l'envahisseur, laissera très vite la place aux divergences politiques, aux ambitions, aux querelles.
[p14-deuxième partie]