Un été avec
Montaigne/
Antoine Compagnon
C'est à la radio sur France Inter que ces petits chapitres abordant
les Essais de
Montaigne ont été révélés au grand public. le défi était majeur de vouloir réduire ce monument de la littérature à quelques extraits, mais ce fut une réussite pour faire aborder ou découvrir ce grand nom de notre patrimoine littéraire. Regroupés dans ce petit livre, les 40 chapitres font passer un bon moment de lecture grâce aux explications très simples de l'auteur.
Un petit rappel de la vie de
Montaigne n'est pas inutile.
Michel Eyquem de Montaigne naquit dans le Périgord en 1533. Sa première langue fut le latin. Il étudia la philosophie à Bordeaux puis le droit à Toulouse. Sa rencontre avec
La Boétie en 1558 (mort en 1563) avec qui il se lia d'une grande amitié lui fit découvrir le stoïcisme. On a souvent dit que l'on devait
les Essais à
La Boétie, à sa présence puis à son absence. Il se maria en 1565. La rédaction des Essais commença en 1572 et la première édition eut lieu en 1580. Il devint maire de Bordeaux en 1581. Travaillant à une nouvelle édition complétée des Essais, il meurt en 1592.
La vie de
Montaigne fut très mouvementée : guerres, voyages (toujours à cheval), maladie (maladie de la pierre), vie politique. Mais en fait il ne fut un homme d'action qu'à ses moments perdus. Assez indolent de nature, il aimait avant tout sa vie intérieure. Et
les Essais nous peignent un être dans toute sa complexité, avec sa finesse d'esprit, son audace de pensée et son bon sens périgourdin. Esprit critique et sceptique (Que sais-je ?), avide de liberté (il n'y a pas de bien supérieur à la liberté) et de vérité, il fut un homme complet.
Montaigne ne voulut pas faire des Essais une leçon, un exemple :
les Essais sont en quelque sorte le journal d'un homme en quête de la sagesse avec sincérité et honnêteté. C'est un livre sans précédent dans la littérature. Au fil des chapitres, on découvre un parfait honnête homme, libéral, respectueux des idées, tolérant et indulgent, connaissant le doute, ne mettant aucun amour-propre dans la conversation, ne cherchant pas à avoir le dernier mot et condamnant la suffisance et la fatuité.
Les Essais sont aussi une préparation à la mort : « Philosopher, c'est apprendre à mourir ». Concernant le Nouveau Monde dont la découverte est encore récente,
Montaigne se présente en protecteur des autochtones et de leurs coutumes. Il fut l'un des premiers censeurs du colonialisme.
Les Essais se présentent aussi comme un autoportrait, une étude de soi sans complaisance pour atteindre la sagesse, reprenant à son compte le mot de Socrate : « Connais toi toi-même. » La sagesse, ce fut aussi pour
Montaigne de connaître ses limites : « il n'est pas donné à l'homme de connaître le fond des choses. » Disciple de Socrate, « il savait qu'il ne savait pas ». L'écriture pour
Montaigne était avant tout une distraction, un remède contre l'ennui, un secours contre la mélancolie. Épicurien,
Montaigne prônait le temps de vivre en suivant sa nature, la jouissance du moment présent sans se précipiter pour rien : « Festina lente » comme disait
Erasme ou « Carpe diem quam minimum credula postero » comme disait Horace.
Malgré une santé fragile,
Montaigne aima toujours voyager, à cheval de préférence que ce fût dans ses terres ou plus loin à Paris, Rouen, en Suisse, en Allemagne et jusqu'à Rome pour faire connaître
les Essais à Sa Sainteté le Pape. Remarquer les choses nouvelles et inconnues fut pour lui la meilleure école pour façonner sa vie, le voyage proposant la diversité de tant d'autres vies. Il avait toujours présent à l'esprit qu'
Aristote pensait en marchant et enseignait en déambulant. Et quant à choisir la façon de mourir, ce serait de préférence à cheval plutôt que dans un lit !
Montaigne parla le latin avant de savoir le français. Mais il écrivit en français car c'était la langue du peuple. Toujours à l'écoute des autres, il disait que « la parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute. » Homme politique et homme engagé, il fut maire de Bordeaux à plusieurs reprises. Il avait pour devise de ne pas confondre sa personne avec sa charge.
Dans le domaine de l'éducation,
Montaigne fut un adepte de « la tête bien faite » plutôt « que bien pleine », les compétences passant avant les connaissances, sans pour cela négliger ces dernières.
Quoiqu'il mourût en chrétien,
Montaigne fut souvent considéré comme le précurseur des libertins et des libres penseurs annonçant les Lumières. Il montra cependant un attachement indéfectible à l'Église, rejetant toutefois toutes les superstitions et les miracles.
Dans un tout autre domaine,
Montaigne s'étonnait et ne trouvait pas de véritable justification à cette pudeur qui touche aux choses du sexe. En amour, il était pour la lenteur, la séduction et la galanterie.
Dans l'édition posthume des Essais de 1595,
Montaigne rend un vibrant hommage à
Marie de Gournay, sa fille d'alliance comme il disait. C'est en effet cette jeune personne qui mit au point cette édition de l'
oeuvre, si bien que l'on a parfois douté de l'authenticité de certains passages. Il faut bien dire que ce commerce entre un homme d'âge mûr et une très jeune femme de plus de trente ans sa cadette a intrigué. Solitaire depuis la mort de la Boétie en 1563, il prit sous son aile cette fine lettrée, férue de grec, de latin et de culture classique, qui découvrit
les Essais à l'âge de 18 ans. S'étant rencontrés en 1588 à Paris, ils correspondirent jusqu'à la mort de
Montaigne. C'est l'épouse de l'écrivain qui chargea Marie de Gournay de préparer l'édition posthume des essais.
Montaigne eut six enfants avec sa femme dont seule une fille, Léonor survécut.
En conclusion, un petit livre de 170 pages permettant de (re)faire connaissance avec
Montaigne avant de se plonger dans l'intégrale des Essais, les années d'étude de français sur le XVIe siècle de notre adolescence étant bien loin !