Ce que Charles-Emilienne Potomak ignorait- et qu’elle ignora d’ailleurs jusqu’à son dernier souffle -, c’était que les livres, une fois la nuit venue, se mettaient à vivre de leur vie propre. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, c’était pourtant très exactement ce miracle qui se répétait quotidiennement dans cet appartement de l’Île Saint-Louis – mais aussi au sein de toutes les bibliothèques, médiathèques, librairies et autres étagères où des romans prenaient leur place. Dès que le soleil s’éteignait, entre chien et loup, du nord comme au sud et du levant jusqu’au couchant, les personnages s’ébrouaient entre leurs pages. Puis, ils risquaient un regard discret à l’extérieur. Lorsque la voie leur semblait libre, alors, ils quittaient leurs volumes et, en toute décontraction, allaient se dégourdir les jambes et deviser de choses et d’autres avec leurs voisins.
Une nuit, alors que rien ne présageait la tragédie qui allait s’ensuivre et que la critique dormait à poings fermés, ce petit peuple de la fiction décida de se révolter.
(dans la nouvelle de Jean-Paul Delfino La vie cachée des livres)
Sur l’instant, et dans un ordre qui restait encore à établir, les millions de personnages composant les dizaines de milliers de romans qui dormaient dans les bibliothèques, entreraient dans le crâne de la critique. Compte tenu de la taille de chacun, ils pénétreraient sans encombre par l’oreille gauche de la dormeuse, raconteraient leur histoire en une fraction de seconde. Puis, ils ressortiraient par le pavillon droit, une fois leur besogne accomplie.
(dans la nouvelle de Jean-Paul Delfino La vie cachée des livres)
Femmes, enfants, hommes, vieillards, monstres mythologiques, créatures de l’espace, insectes horrifiques dont Gégoire Samsa n’était que le plus célèbre, animaux à poils, à plumes, à écailles, à sang chaud comme à sang froid : tout ce que les écrivains avaient pu créer comme personnages nécessaires à leurs fictions agirent sur la harpie à la façon d’une décharge électrique.
(dans la nouvelle de Jean-Paul Delfino La vie cachée des livres)