Dès ses origines,
François Villon fut une énigme. Ses parents, les conditions de sa naissance, la date, bien-sûr, et même son nom sont des éléments sur lesquels les historiens s'interrogent toujours. La principale source pour connaître
François Villon sont ses poèmes : car sa vie l'inspira, lui pauvre hère, clerc défroqué, qui écrivit durant une petite vingtaine d'années avant de disparaître et de Paris et des sources écrites, et même de l'histoire de la littérature, après avoir été condamné à l'exil pour une rixe dont il n'aurait pas été responsable. le reste, c'est-à-dire ce qui va former le récit fictionnel, s'obtient par des choix.
Jean Teulé, qui écrivit le roman originel, fit les siens et
Luigi Critone, dans son adaptation en bande-dessinée les suivit. Il ressort de cette biographie, dont il ne faut pas oublier qu'elle est romancée (mais cela n'est-il pas déjà, en soi, rendre hommage à Villon ?), les contours d'une vie qui passa dans le 15ème siècle comme un météore : comme un objet lumineux qui impressionne et laisse une place dans les mémoires.
La vie de
François Villon est donc, au sens littéral, un roman, et lui fut un poète. Son père qui fut pendu et sa mère qui fut enterrée vivante augurèrent une vie faite de tracas, de crimes, de rebellions. Ces événements durent insuffler au jeune François un gout prononcé pour la vie dont il fallait jouir à chaque instant, n'en déplaisait aux détenteurs de l'autorité religieuse, morale et politique qui furent souvent les ennemis de Villon et, à de rares occasions, ses amis. Il faudra tout de même signaler que ce fut une autorité religieuse, le chanoine Guillaume de Villon, qui s'occupa de Villon comme un père, dont d'ailleurs le poète reprit le nom, et qui le tira de bien des affaires délicates. Si Villon ressentait vis-à- vis de son bienfaiteur une gratitude probablement immense, celle-ci ne l'empêcha pas de mener sa vie comme il l'entendait. On voit ainsi Villon s'égayer entre les bras de jolies dames ou de prostituées, boire des hypocras en assistant à des exécutions de condamnés ou provoquer ouvertement un sergent de ville comme un étudiant de mai 68.
Comme tout artiste de son époque, Villon eut besoin de mécènes. Il tenta d'intégrer la cour du roi René, comte d'Anjou, mais sa
poésie scandalisa. Auprès du duc d'Orléans, il sembla trouver une cage dorée mais le désir de liberté le reprit. C'est d'ailleurs le goût de la liberté qui semble, sa vie durant, animer Villon. Un goût de la liberté qui se mêle à celui pour l'irrévérence : Villon aime provoquer, et surtout les puissants. Plus encore, Villon mène une vie dangereuse, et cela sciemment. Comment expliquer sinon qu'il intégra la bande des Coquillards, menée par Colin de Cayeux, qui volait, brutalisait et tuait ? Si l'on peut être parfois surpris par les attitudes et l'apparent manque d'empathie de Villon (ainsi lorsqu'il livre sa bonne amie aux Coquillards qui la violent), on ne doit pas oublier l'époque. La guerre de Cent Ans se termine mais celle-ci a durablement bouleversé la France. La reconstruction économique et l'unification politique seront les
oeuvres de Louis XI, qui ne régna qu'à partir de 1461. La violence a imprégné la société, la torture est un moyen admis d'obtenir la vérité et la justice, elle, est une justice d'exception : elle punit d'autant plus durement qu'elle attrape rarement. C'est ainsi que l'évêque d'Orléans, Thibault d'Aussigny, se révèle être l'un des personnages les plus terrifiants de l'album.
François Villon évolue dans un monde qui n'est pas du tout le nôtre. Mentalement, on l'a vu, mais aussi géographiquement. le dessin de Critone est d'ailleurs un moyen formidable de découvrir le Paris médiéval avec ses petites rues, ses placettes, ses maisons à colombage, ses cimetières (ou campo santo) qui sont très largement des lieux de vie. La ville vit véritablement et Critone profite de quelques cases pour montrer la réalité médiévale : les exécutions sont publiques, certaines femmes s'enferment dans des cellules de recluse pour s'ôter du siècle, les enseignes des magasins servent aussi à renseigner les illettrés qui sont nombreux à cette époque. Malgré ces différences, Villon nous frappe, à travers sa poésie, par sa contemporanéité. Loin de la poésie bucolique du roi René, les vers de Villon disent les malheurs de l'homme, sa solitude, son infortune, la fragilité et l'étroitesse de la vie humaine. Cette poésie appelle à l'humilité et recèle en même temps un formidable esprit de gouaille, une insolence bravache et potache. Cette poésie touche parce qu'elle révèle l'âme humaine à travers l'humour, les questionnements existentiels et la troublante tristesse. La poésie de Villon a toute sa place aujourd'hui parce que ses interrogations, ses certitudes et ses incertitudes sont les nôtres. Villon est un homme qui dérange. Grâces lui soient rendues.