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Lorsqu'il est recruté au sein de « l'Institution », un organisme international visant à préserver la paix sur terre, le narrateur pense avoir enfin trouvé sa voie. Jeune homme sérieux, appliqué, consciencieux, respectueux des lois et de la hiérarchie, c'est avec le souci constant d'une amélioration de son travail qu'il se conforme en tout point à ce que l'on attend de lui.
Sa fonction consiste à résumer les allocutions des délégués politiques des divers pays mondiaux lors de commissions internationales. Les rapports sont soumis à des règles strictes d'objectivité et d'épuration du superflu. Neutralité, impartialité, exactitude, sens de la synthèse, sont les maîtres mots du travail d'un « résumain », catégorie sociale à laquelle appartient désormais le narrateur.
Mais voilà que sa vie uniforme et bien ordonnée, régie par les codes administratifs instaurés par l'organisme bureaucratique auquel il appartient, est brutalement remise en question par un collègue de bureau qui lui lit un soir, quelques pages d'un roman.
Dans un monde où la fiction n'existe plus, où les romans sont interdits car considérés comme une menace pour l'évolution de l'humanité, où les écrivains d'oeuvres fictives sont jugés « promulgateurs de malaise », la découverte d'un autre système de pensée, vu par le spectre de l'imaginaire, ébranle complètement les convictions du jeune homme.
Parce que ces quelques phrases de roman lui ont ouvert les portes d'un autre monde, celui de l'illusion et de la subjectivité, le narrateur se met à douter de plus en plus de lui-même, de l'existence et du bien fondé de l'organisme pour lequel il travaille.

Saluée par l'écrivain américain Paul Auster (rien que ça !) dès la parution en 2005 de son premier roman « Voix sans issue », il est curieux que l'on ne parle pas davantage des textes originaux de Céline Curiol car ils méritent vraiment d'être découverts.
C'est notamment le cas de « Permission », un roman d'anticipation captivant à mi-chemin entre l'absurdité administrative de Kafka dans « le procès », l'univers dictatorial de Georges Orwell dans « 1984 » ou même la rigidité irrationnelle des fonctionnaires dans le film de Terry Gilliam « Brazil ».
« Permission » est l'histoire d'une conscience qui s'éveille sous le pouvoir de la fiction dans un monde où les romanciers n'ont plus de place car « leur méthode se fondait sur l'utilisation excessive du processus d'identification qui leur permettait de magnifier les sentiments les plus ambigus et les plus contradictoires de leurs lecteurs et ainsi les plonger dans l'incertitude et la consternation. »
Là où Céline Curiol fait fort, c'est qu'avec presque rien, peu de rebondissements et une intrigue réduite à sa plus simple expression, elle arrive à nous embrigader dans une histoire totalement envoûtante, à générer une tension émotionnelle et créer un vrai suspense en parsemant son récit de petits riens ; l'opacité de l'Institution est à elle-seule source d'inquiétude si bien que le simple fait de contrevenir à certains petits interdits (aller à un étage où l'on a rien à faire ; rencontrer un garde dans les couloirs, émettre un avis personnel dans un rapport…) devient vite affolant.

Mais la force du roman repose avant tout dans l'analyse psychologique minutieuse, rigoureuse, lucide du personnage principal, qui permet au lecteur d'être le témoin d'une transformation radicale entre le jeune homme du départ, content de sa situation, méthodique et ordonné, et celui qu'il devient peu à peu, c'est-à-dire un homme capable de réfléchir par lui-même, qui ne se contente plus de la pensée collective, structurée, cohérente et objective dans laquelle il a été élevé.
Au gré d'interrogations, de fluctuations émotionnelles, de remises en questions, de moments d'incertitude et d'angoisse, le narrateur sent le changement s'opérer en lui. Cela ne va pas sans crises de doutes, sans culpabilité ni tourment. Bien qu'il garde au fond de lui la volonté de s'affranchir de l'emprise relationnelle de plus en plus ambigüe qu'il entretient avec son collègue de bureau, il devient de plus en plus dépendant. Comme d'une drogue, il a besoin de sa dose de fiction, de cet état unique, sensoriel, jouissif, que lui procure la lecture d'un livre de fiction.
Malgré la peur bien présente de ce qui pourrait arriver si on le démasquait, la nécessité d'écrire et d'exprimer ses propres idées sans les brider se fait également ressentir, le désir de sortir de l'uniformité et du gris d'une pensée de masse pour se tourner vers l'origine, la pensée du dedans, par une écriture libre, subjective, avec ses errances, ses déambulations intérieures et « la sensation de phrases qui ne partent plus en ligne droite mais ploient, se recourbent pour aller fouiner ailleurs ». C'est la naissance d'un écrivain.

Avec un art de la narration totalement maîtrisé, un sens du mot juste, Céline Curiol confronte l'univers déshumanisé, dictatorial de l'entreprise avec le pouvoir de l'imaginaire, fait s'affronter la machine bureaucratique et l'individu.
Roman d'anticipation, quête métaphysique, suspense existentiel, fable sur la puissance de l'imagination, « Permission » est un hommage à la fiction, génératrice de réflexion sur soi, sur l'autre, sur le monde et les choses qui nous entourent.
« Permission » accordée de lire ce très bon roman…
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Un homme écrit un rapport, à destination d'autres hommes qui viennent de l'embaucher dans un lieu dont un mot vient délimiter les contours : l'Institution. L'indispensable majuscule déjà dit du lieu et de son âme tout en éludant l'essentiel aux yeux de la jeune recrue. Ce dernier a pour mission de résumer avec une rigueur implacable et une objectivité sans faille des discours politiques tenus par des êtres puissants qui oeuvrent résolument au service de la liberté. Dans ce monde aseptisé à l'extrême, où règne le culte de la rationalité et de la rigueur, la fiction a disparu. Et pourtant… Tout roc s'érige autour de failles qui viennent lui donner sa force apparente. Notre « résumain » va le découvrir et prendre goût aux mots interdits. Derrière la transgression, le risque guette, l'homme le sait et le redoute…

« Permission », c'est l'histoire d'un huis clos cérébral, d'une confession spectaculaire d'un homme qui en écrivant son monde intérieur se révèle. Les mots interdits vont ouvrir une brèche dans ses pensées asséchées, faire écho à ses propres fêlures, à ses doutes. le désir jusque-là contenu, contrôlé, y compris dans l'écriture, vient faire irruption dans une vie sans fantaisie. Et le « résumain » voit peu à peu ses certitudes se briser, ses espoirs s'étioler. Sa demande de permission condense à la fois sa vie d'avant, éclats de souvenirs qui, faisant irruption à l'improviste, écorchent, blessent, son envie d'ailleurs et son présent, figé, qu'il ne parvient à dater avec certitude. Il lui faudrait « penser le temps non plus comme une ligne au tracé horizontal mais comme un point sans cesse posé puis effacé, sa trace retenue par le filet du langage » (p. 226). Et tant que l'écriture parvient à se déployer sur l'espace d'une page, de soi à soi ou à un autre, lointain, la vie continue, portée par le souffle du désir. Une oeuvre magistrale, une écriture brillante sous un vernis cérébral, exigeante et âpre.
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Un homme dont on ne connait pas le nom, si tant est qu'il "s'épanouit" dans un travail qu'il a obtenu à vie. Organisé, hiérarchisé, aseptisé, son quotidien de "résumain" est régi par un ensemble de règles qui lui permettent de fournir un travail le plus objectif possible. Méthodiquement, de manière très insidieuse, un événement va venir perturber cette machine bien huilée.

Sans trop en dévoiler, j'ai trouvé ce roman extrêmement bien construit. La vie morne et totalement contrôlée mené par notre héros rend chaque détail de l'histoire d'autant plus intéressant. On prête alors une attention démultipliée au récit : mélange d'autofiction et de fiction. Et ce n'est pas anodin non plus si le préambule cite W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec. On ressent le même malaise à mesure que l'on prend conscience de cette dystopie monstrueuse...
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Notre avis
L'auteure dénonce le conditionnement comportemental que subit l'employé par l'Institution. Au-delà , ce récit d'anticipation explore l'univers inquiétant d'un microcosme apparenté à l'ONU et s'interroge sur le rôle de la fiction dans nos vies. Céline Curiol est une jeune romancière à découvrir, son univers kafkaïen amène le lecteur à des interrogations d'ordre sociétal.
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Dans un monde futur, un homme travaille pour une institution internationale qui rend compte de l'état du monde. Cet homme est un "résumain" qui prend note et résume des communications officielles pour les faire diffuser par la presse. L'arrivée d'un nouveau collègue va réveiller son imaginaire et son goût pour la fiction dans cet univers où le roman est interdit. Un roman très kafkaïen.
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Un futur aseptisé, lisse, conditionné où la seule lecture autorisée est celle de discours politiques... Permission est un livre brillant et kafkaïen pour célébrer l'imaginaire !
Lien : https://www.livre-mois.fr/li..
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l'institution, un monde etrange ou l'imagination est interdite.
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