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Baptiste-Marrey (Traducteur)
EAN : 9782070307821
252 pages
Gallimard (01/09/2005)
4.35/5   10 notes
Résumé :
Jean-Paul de Dadelsen, qui lisait tout et entrait partout n'est peut-être pas entré trois fois dans le bureau d'une revue littéraire […]
Henri Thomas
"Si tu sais ce que c'est ce que la poésie, dépêche-toi de m'en informer"
À noter que la présentation des poèmes est faite ici en mode paysage.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Une poésie particulière, très personnelle, qui laisse des marques, parfois douloureuses.

Lorsque on s'empare de ce recueil de la prestigieuse collection de poésie de Gallimard, on est surpris par « l'impression en mode paysage » de la presque totalité des poèmes. « La note concernant l'établissement de la présente édition » (2005) en parle en ces termes : « La volonté exprimée par l'auteur de voir sa prosodie scrupuleusement respectée, même dans le format particulier d'une collection de poche a entraîné la disposition inhabituelle de cette édition », à une exception près, les « poèmes écrits en anglais » (pp. 222-237).

Je suis très surprise également de voir qu'il n'y a ce jour encore aucune critique sur ce recueil. Je vais essayer de remplir ce vide, en exprimant au mieux mon admiration.

Pour moi, Jean-Paul de Dadelsen est le lien poétique avec ma région d'adoption, l'Alsace, ainsi que la figure d'un être « multiculturel ». Comme l'écrit Denis de Rougemont en 1962 (cf. p. 11) : « Jean-Paul de Dadelsen était alsacien, né à Strasbourg, et son père descendait d'une famille de Hambourg, quelque peu mêlée de sang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d'être un jour suisse ou chilien peut-être. Avant tout cela, Français de bon langage, d'impeccable ordonnance intellectuelle ». Il importe d'ajouter à ce portrait deux informations d'importances. Il fut également journaliste et traducteur (germaniste qui sait fort bien rendre hommage à Friedrich von Schlegel et à Johann Wolfgang von Goethe) et surtout, pour la compréhension de son oeuvre poétique, la cause de son décès dévoilée par la même note évoquée ci-dessus : « un cancer au cerveau ».

Des poèmes très touchants, qui vous prennent aux tripes, comme on dit, parfois d'inspiration biblique (Jonas, Bach en automne, La femme de Loth), parfois simplement évoquant des villes (Budapest, Valparaiso, Berlin, etc.), parfois « l'Alsace et les paysages de son enfance, le Ried puis le Sundgau, [qui] façonnent sa sensibilité poétique et marquent son oeuvre (Bach en automne, Goethe en Alsace, Cinq étapes d'un poème) ».

Je suis en train de « prolonger » cette lecture par le recueil d'Albert Strickler, Lettres à Jean-Paul de Dadelsen (Pâques 1957- Pâques 2017).

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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
         BACH EN AUTOMNE

                  V


À travers la futaie de l’orgue le souffle qui chantera la gloire du Seigneur
Est à larges semelles boueuses pompé par le fossoyeur sacristain.
Dans son effort boiteux sur le soufflet, le bonhomme, tête levée,
Bras à la barre, les jambes écartées figure une difforme
         Étoile pentagonale

À mi-chemin entre l’origine et la perfection des temps,
Cinq est le chiffre de l’homme, irrésolu parmi les choses certaines.
Désordre essentiel dans la balance. Arbre mobile,
Animal hésitant, ange aveuglé. Adam dresse dans la lumière
         Le cri de son infirmité.

Le pâtre, le pêcheur, et l’arbre même sont minuscules sur la plaine.
Grand arbre horizontal, j’ai souvent regardé le fleuve. Ô platitude divine !
Tandis que sur un même obstacle l’eau successive répète une forme perpétuelle
L’Elbe depuis la mer jusqu’à ses mille sources demeure
         Partout présente d’un seul tenant.

J’ai vu l’oiseau judicieux pêcher de son bec courbe et jaune,
Le soleil d’entre les nuages allumer les bulles de la carpe. Ce sont
Détails heureux. Mais gonflé de pluie ou rumeur dans la brume
La voix qu’impose le fleuve surgit de la constance
         D’une eau sans visage et sans nom.

Maintenant que ma vie est étale dans la plaine assombrie
Et que la nuit avec indifférence vient lisser mes eaux taciturnes,
Accorde-moi Seigneur, à l’heure où de tes profondeurs
Affleure l’ordre sonnant des astres , de refléter encore
         Leurs intervalles immuables.

p.29-30
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Crépuscule


Salomon sait la malice, la ruse, l’intrigue
la longue ambition dissimulée, la grande
concupiscence du pouvoir qui brûle les chétifs,
ceux qui jamais ne furent, jamais ne seront, rois.

Salomon a vu se ranger les armées, trépignantes
de sottise sacrifiée sous les torchons sacrés.
Salomon a connu, assis sur leurs sacs de laine,
les juges frileusement jouant à décider d’autrui.

Salomon n’est pas désarmé devant le soir
qui ouvrant le sérail laisse derrière la tenture entrebâillée
une longue lueur verte mourir sur les collines confuses
d’où un jour très lointain doit venir le salut.

L’heure n’est pas aux prêtres délirants, aux mages
prophètes sautants et glapissants de haine dédiée.
L’heure est tout entière, et pour des siècles encore, à la seule
attente d’une venue qui tardera longtemps sur les collines.

Il est des siècles où le temps stagne. Pourtant
belles les moissons, pleines les brebis, à flots
les génisses au soir, les femmes à foison
à grands frais amenées entravées de soie.

Il est des nuits à se créer le vide dans l’âme
Qui plane haut au-dessus du corps contenté
Vide de toute brûlure. Il est des nuits où la chouette
Crie sans désir et sans regret dans l’arbre mort.
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DÉPASSÉ. PROVISOIREMENT


Sombre. Mais l’espace plus vaste.
Moins de gens. Le sentier dans l’obscurité
mène-t-il vers une solitude plus vraie ?
Peut-être est-ce à cet âge, en ce lieu, ici
que se partagent les routes.

Sombres heures, journées, semaines. Ainsi
dans la plaine de ton enfance, les eaux très lisses,
très silencieuses. Et noires. Le cœur
s’est lassé de courir. À pas plus lents.
à pas presque égaux, ce cœur
nous entraîne sans bruit vers l’ampleur de la nuit.

Il ne désire plus. Ne gambade plus. Ne se cabre plus.
Mais à voix basse, dans la brise obscure, il chante encore.
Lente chanson linéaire, horizontale,
sans grincements, sans grimaces, sans cris.

Il est temps de dormir. Faut-il présentement
attendre le retour d’une aube plus mûre
pour un travail plus régulier ?
Ou faut-il déjà, faut-il vraiment, faut-il
descendre vers les rives de la grande eau souterraine ?

p.146-147
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Psaume


La baleine, dit Jonas, c’est la guerre et son black-out.
La baleine, c’est la ville et ses puits profonds et ses casernes
La baleine, c’est la campagne et son enlisement dans la terre et l’épicerie
  et la main morte et le cul mal lavé et l’argent.
La baleine, c’est la société, et ses tabous, et sa vanité, et son ignorance.
La baleine, c’est (dans bien des cas, mes frères, mes sœurs) le mariage.
La baleine, c’est l’amour de soi. Et d’autres choses encore que je vous dirai
Plus tard quand vous serez un peu moins obtus (à partir de la page x).
La baleine, c’est la vie incarnée.
La baleine, c’est la création, en fin de compte superflue, mais indispensable pour cette expérience gratuite et d’ailleurs quasiment inintelligible.
La baleine est toujours plus loin, plus vaste ; croyez-moi, on n’échappe guère, on échappe difficilement à la baleine.
La baleine est nécessaire .

Et ne croyez pas que vous allez tout comprendre comme cela d’un coup.

Car enfin,
Bien sûr la guerre est emmerdante
Bien sûr la société
Bien sûr le mariage
Mais on n’a pas encore trouvé d’autre école
De sorte qu’en fin de compte
Il ne reste en dernière analyse, comme cause d’emmerdement
Que l’amour de soi-même.
Car il faut savoir : l’on regarde au-dedans ou au dehors
(comme moi quand elle ouvrit la bouche – ou à travers moi).
Ainsi justement : la guerre,
La société, le mariage… il y en
A qui se servent comme
De tremplin pour saute plus loin qu’eux-mêmes…
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Et pourtant Seigneur
je suis Vous, je suis une goutte infime de la même mer que les saints
et les anges, je suis un fil de la même tunique sans couture

(p. 72)
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Videos de Jean-Paul de Dadelsen (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Paul de Dadelsen
« […] On dira, et c'est très vrai, qu'il débordait de vie, de drôlerie, d'une sorte d'inventivité à même le quotidien dont celui-ci ne laissait pas d'être secoué. Mais il n'était pas seulement plus bouffon, plus irrespectueux que d'autres, ou plutôt il n'était pas seulement cela… J'ai bien souvent senti plus d'inquiétude et de mécontentement que de gaieté derrière cette liberté. […] J'ai parlé de mécontentement, je devrais dire lassitude, peut-être dégoût, - en tout cas une profonde impatience. […] En somme, quelqu'un de peu sérieux, d'insaisissable, quelqu'un d'intelligent et d'impossible… […] Dadelsen (1913-1957), de tout son être, participait à l'ordre profond, qui veut que la poésie soit non pas cachée, mais lointaine en tous, à chercher du côté du silence. […] Ombre, qu'ai-je à t'offrir ? Quel pain, sinon de ténèbre et de séparation ?
[…] c'est à lui, et à un très petit nombre d'autres, que je dois de comprendre un peu ce qu'est la poésie. Je sais en tout cas qu'elle apparaît rarement, parce qu'il est rare que le destin d'un homme, ouvert et déchiré ou mystérieusement apaisé, ne fasse qu'un avec son langage, et cela sans que cet homme se prévale d'une supériorité quelconque sur ceux que Dadelsen nomme en toute vérité ses frères. […] » (Henri Thomas)
« […] Il excellait en tout et passait au-delà, avec cette « brillante désinvolture » dont a parlé le Times au lendemain de sa mort. Reçu premier sur cent à l'agrégation d'allemand […], professeur de lycée à Marseille et Oran, puis successivement officier des parachutistes dans les Forces Françaises Libres […], mémorable correspondant étranger du Combat d'Albert Camus, titulaire d'une émission française de la B.B.C. qu'il rendit rapidement fameuse, finalement animateur et conseiller d'organisations européennes et internationales […], il semblait toujours que tout cela devait le conduire ailleurs, le préparait seulement… […] » (Denis de Rougemont)
« Le difficile pour Jonas : non de mourir, mais de vivre et vouloir. Et pourtant : » (Jean-Paul de Dadelsen)
0:00 - Titre
0:06 - Bach en automne, III 0:54 - Bach en automne, VII, Sur le très saint nom 3:27 - Bach en automne, Variations sur un thème de Baudelaire 4:30 - Bach en automne 6:14 - Bach en automne 7:10 - Jonas
8:47 - Générique
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Référence bibliographique : Jean-Paul de Dadelsen, Jonas, Paris, Gallimard, 1962
Image d'illustration : https://docplayer.fr/72665452-8-es-rencontres-europeennes-de-litterature-ecrire-l-alsace-avec-jean-paul-de-dadelsen-de-mars-a-novembre-2013.html
Bande sonore originale : Carlos Viola - Alexandre
Site : https://thegamekitchen.bandcamp.com/track/alexandre-2
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#JeanPaulDeDadelsen #Jonas #PoésieFrançaise
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