La première fois que j'ai lu
Charlie et la chocolaterie, c'était en 2005 : le film de
Tim Burton allait sortir et j'organisais la sortie scolaire pour emmener tous les sixièmes de mon établissement au cinéma. Si vous enseignez dans une grande ville, cela ne vous semblera peut-être rien. A Trou-Paumé-les-Bruyères, même encore aujourd'hui, il arrive que des enfants nous disent : "merci, c'est la première fois que je vais au cinéma."
Bien sûr, j'ai gardé des souvenirs de ma lecture et du film. Mais l'on en arrive à oublier beaucoup de choses. Par exemple, j'avais oublié l'extrême pauvreté dans laquelle grandit Charlie. Sa mère s'occupe à plein temps des quatre grands-parents, tous impotents. le père est ouvrier - et visser des capuchons de tubes de dentifrice n'offre pas des salaires mirobolants. Manger à leur faim est déjà compliqué, alors se permettre des fantaisies alimentaires... L'on pourrait dire que l'on est dans un conte, et pourtant. Combien d'enfants ne mangent de repas équilibrés qu'à la cantine ? Les chiffres manquent, et si le confinement a permis d'en parler, un peu, le sujet est très vite passé à la trappe.
Comme dans un conte, cependant, un objet fabuleux doit être découvert. Il ne s'agit pas de mérite, de courage, mais de hasard : cinq tickets d'or ont été cachés dans les célèbres tablettes au chocolat de Willy Wonka. L'anniversaire de Charlie approche, anniversaire pour lequel il reçoit une tablette de chocolat, qu'il mange petit à petit, comme jadis, d'autres enfants recevaient une orange. Mais les jours passent et d'autres enfants - Augustus, Veruca, Violet, Mike - trouvent le ticket, grâce à la goinfrerie ou aux moyens financiers de leurs parents (l'un n'allait pas sans l'autre). le miracle survient cependant : grâce à son grand-père Joe, Charlie parvient à acheter une barre de chocolat qui contient le dernier ticket d'or. Fin de ce que je considère comme la première partie du roman, cette quête du ticket d'or, ces portraits des quatre enfants gagnants, tous jugés par la famille Bucket comme désagréables et trop gâtés.
La seconde partie est remplie de fantaisie. C'est un univers de conte que celui de la chocolaterie, avec toutes ses salles, ses inventions, pas toutes encore au point, ses sucreries à portée de main. Tous ne résisteront pas, pour mieux dire, les quatre autres enfants, les uns après les autres, seront incapables de respecter les interdits posés par Willy Wonka. Pour quelles raisons ? Leurs parents ne leur ont jamais posé d'interdits. Augustus mange constamment ? Pas grave, il a sans doute besoin de beaucoup manger. Veruca fait caprice sur caprice ? Papa a les moyens de les satisfaire, et cela va plus vite que de s'occuper d'elle - je pense souvent que les biens matériels remplacent, pour ces enfants, les soins et l'attention que leurs parents ne leur donnent pas. Violet se jette sur le chewing-gum expérimental ? Ses parents n'ont jamais eu la force de l'empêcher de mâcher et de mettre ses chewing-gums usagés partout, et tant pis pour les dommages collatéraux. Mike ? Laisser son enfant devant la télévision, c'est reposant. Plus de télé quasiment de nos jours, mais des écrans qui prennent encore plus de place dans la vie de tous les jours. L'auteur, car c'est sans doute sa voix que l'on entend à ce moment, suggère de remplacer les écrans par la lecture. Ce serait bien, les professeurs, les bibliothécaires s'y emploient. Mais il est tellement facile d'être "comme les autres" et de regarder les mêmes émissions que tout le monde.
Reste le dénouement. Charlie a accompli la quête, il ne le savait même pas, et il est le vainqueur. La fin peut sembler un peu abrupte : la suite dans
Charlie et le grand ascenseur de verre.