Entre l'église et l'usine, les mauvaises gens (dont la contraction aurait donné le nom de Mauges au pays qui s'étend autour de Cholet) sont apparemment tenaillés entre deux pouvoirs. Pourtant, le livre d'
Etienne Davodeau tend à montrer qu'après la Seconde Guerre mondiale, et jusqu'à l'élection de
François Mitterrand en 1981 à la présidence de la République, la vie sociale, voire sociétale, fut d'une grande richesse. Richesse dont furent à la fois témoins et acteurs les parents d'
Etienne Davodeau, qui sont les personnages centraux de ce récit.
Davodeau l'indique en sous-titre : son oeuvre, c'est une histoire de militants. Au pluriel. Car ces militants, nombreux, sont sur plusieurs fronts : militantisme religieux, puisque les Mauges, proches de la Vendée, sont une terre de catholicisme ; militantisme syndical à une époque où certaines réussites industrielles s'accommodent mal du désir de mieux-être des ouvriers ; militantisme politique, enfin, dans les années 1970 surtout, époque où la gauche française se réunit et envisage réellement de gouverner.
La politique s'entend ici au sens noble du terme : c'est à la vie de la cité que Maurice Davodeau, le père de l'auteur, veut participer. Lui, l'ancien ouvrier devenu professeur dans un lycée technique, milite pour une vision de la gauche et de la société portée par l'égalité. Elle est le prolongement naturel, pour ces hommes et ces femmes simples, d'un syndicalisme porté, à l'origine, par la nécessité de mieux vivre son travail. On pourra peut-être - ce n'est pas mon cas - reprocher à
Etienne Davodeau de livrer un récit extrêmement orienté politiquement. Mais vouloir la neutralité dans un tel récit, ce serait demander probablement l'impossible à un homme qui rend ici hommage à ses parents et à leurs compères, et qui a été éduqué (et même bercé) par les réunions en tout genre et les soirées à coller des affiches.
Le regard d'
Etienne Davodeau est plus critique quand il s'agit de parler de religion. Naturellement, le lecteur sent une certaine aversion pour les bonnes soeurs qui se sont occupé de l'éducation de sa mère (les valeurs chrétiennes sont en réalité dépassées par les logiques sociales à l'oeuvre, qui veulent que les clercs soient proches des élites sociales et les favorisent). Cependant, l'arrivée des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes, qui promeuvent une nouvelle vision de la société (brimée d'abord par Rome puis autorisée par le concile de
Vatican II), plus proche des plus modestes, sont aussi un facteur de libération de la jeunesse. Les parents de Davodeau y apprennent la solidarité, l'estime de soi, la confiance dans sa foi.
Nettement ancrée dans le genre documentaire, la bande-dessinée d'
Etienne Davodeau est intéressante dans la mesure où elle dresse donc un triple portrait de la région des Mauges, qui présente la particularité d'être à la fois très ouvrière et très chrétienne. Les conflits sociaux à l'oeuvre dans les années 1960 et 1970 n'opposent pas que des classes sociales, mais divisent aussi la population au sujet de la vision de l'Eglise (au sens de la communauté des croyants catholiques). Toutefois, l'hommage est peut-être parfois trop appuyé, ou bien est-ce la volonté absolue du respect de l'ordre historique et chronologique, et l'on regrette peut-être de ne pas sentir la même acidité qu'
Etienne Davodeau pouvait porter dans Rural ! Éminemment intéressant d'un point de vue historique et sociologique, Les mauvaises gens atteint son objectif : se faire le messager de vies de combat.