Velazquez fut le premier, en Espagne, à s'inspirer pour ses tableaux des types du roman picaresque si en vogue dans ce pays. Il suffit de rappeler parmi les nombreux livres de ce genre publiés alors, El Lazarillo de Tonnes, Guzman de Alsarache, La Picara Justina, sans oublier ceux que l'immortel génie de Cervantes avait popularisés sous le nom de Nouvelles exemplaires, pour faire comprendre la genèse de ce mouvement dans l'ordre de la peinture. Cette littérature, riche en couleur locale, en types et en moeurs des classes populaires, devait inspirer à un peintre aussi réaliste que le nôtre un tableau comme le Vendeur d'eau, présage d'autres oeuvres plus importantes que nous verrons éclore plus tard.
Velazquez est un vrai maître. S'il a des rivaux, nul ne lui est supérieur. Nul parmi ses contemporains ne porte ombrage à sa gloire. Comparez-le aux plus illustres, à Rembrandt, par exemple. Rembrandt, lui, le prodigieux magicien, fait vivre ses personnages dans une atmosphère de son invention. Il crée tout un monde idéal dans son puissant cerveau, et il le pétrit, l'éclairé et le colore comme il l'entend, va où son génie le pousse et produit les chefs-d'oeuvre incomparables qu'on ne se lasse pas d'admirer.
La suprématie de l'art italien acquit son complet développement avec Juan de las Roëlas. Ce peintre, de retour à Séville à la fin du XVIe siècle, après avoir étudié sous les Vénitiens, produisit d'importants ouvrages, d'un tour personnel, où l'on trouve en pleine activité les éléments de ce réalisme propre à l'école de Séville lorsqu'au siècle suivant elle atteignit son apogée avec Alonso Cano, Zurbaran, Velazquez et Murillo.
Il ne faut pas chercher l'origine du style des premières oeuvres de Velazquez dans une influence étrangère quelconque, mais bien dans le tempérament spécial du peintre, qui, loin de s'inquiéter des préjugés d'école, les fuyait et, dès le principe, se borna à interpréter la nature le plus sincèrement possible, accentuant de la sorte sa propre personnalité.
Mais ce n'est qu'avec Ribera et Velazquez que l'école donne libre carrière à ses aspirations et s'épanouit dans toute sa force, dans toute sa plénitude. Avec eux l'art espagnol devient réaliste et puissant. Ces deux grands peintres, toutefois, obéissant à des tempéraments différents, n'envisagent pas la nature sous le même aspect.