Marc Halleux est architecte. Enfin, était, car, pour l'heure, il a de nouveau perdu son travail. Est-ce étonnant ? Depuis un certain temps, il se noie dans l'alcool. Pourquoi ? A cause de l'échec de sa vie.
Un jour, il a commencé à rêver d'une ville merveilleuse, construite sur une île, au milieu de la Sambre. Ce rêve était tellement réel qu'il décide d'aller voir et, à sa grande surprise, il découvre bien une cité médiévale reliée à la berge par un pont de bois. Et, miracle, il semble être le seul auquel est réservée cette apparition.
C'est alors pour lui le début d'une aventure fantasmagorique.
Le titre du roman d'
Anne-Catherine Deroux est intrigant. «
Si vous la voyez » ? de qui s'agit-il ? Et que se passera-t-il alors ?
C'est un narrateur intérieur qui prend en charge l'histoire et, dès les premières pages, on pressent qu'elle sera triste. En effet, l'homme qui parle est brisé : « Pas de famille. Pas d'amour non plus. Plus vraiment d'amis. Et à nouveau plus de travail (…) il me restait l'alcool ! le remède magique pour échapper aux souvenirs. »
Son récit sera donc une rétrospective : il raconte la genèse de son bonheur, puis comment et pourquoi il l'a perdu.
Marc Halleux n'a rien d'un héros. C'est un individu lambda, tout ce qu'il y a de plus banal. Il est architecte et travaille en indépendant chez Ilias et Vlaminck Group. Ce qui ne l'empêche pas de croire à la magie. Il a eu la chance de visiter en songe une ville qui lui paraît idéale. Persuadé de son existence dans la vie réelle, Marc entreprend des recherches sur le net. En vain. Loin de se laisser décourager, il va se promener le long de la Sambre, sur le chemin de halage. C'est là qu'elle se révèle dans toute sa splendeur. Châteauroux existe donc bel et bien. Mais pour lui seul, apparemment. Aucun autre passant ne semble la remarquer.
Dès lors, le récit emporte le lecteur dans un monde parallèle, celui d'une sorte d'utopie. Et, comme toutes les utopies, celle-ci a des aspects attrayants, mais d'autres moins ! Par exemple, les habitants y sont, en quelque sorte, confinés. Ils ne bénéficient d'aucun des bienfaits du confort moderne.
Le personnage principal de l'histoire, ce n'est donc pas un humain, mais bien la ville elle-même, qui impose ses lois, récompense, punit, ostracise.
Hélas, l'homme est ainsi fait que, lorsqu'il a trouvé le bonheur, ou une certaine forme de bonheur, il est incapable de s'en contenter, il semble s'acharner à le perdre, le détruire. Marc se laisse submerger par un vilain défaut : la jalousie. Son aveuglement lui enlèvera ce qu'il avait si patiemment construit.
Le lecteur voyage avec lui du monde réel à celui du rêve. Il apprend l'histoire de Châteauroux, comment elle a été créée, découvrira son mode de vie en autarcie. Pas totale, toutefois. La ville ne peut seule subvenir à tous les besoins de ses habitants. Elle choisit donc certains élus qui pourront passer d'un monde à l'autre, afin de lui fournir ce qu'elle ne produit pas.
Parmi les villageois, l'accent est mis sur certains que nous connaîtrons mieux que d'autres : Adrien, Mélie, Béatrice ou Noé.
J'aime beaucoup me promener le long de l'eau et j'ai déjà eu l'occasion de faire de belles balades au bord de la Sambre.
J'ai donc lu ce roman avec un grand plaisir, car on oscille sans cesse entre rêve et réalité. Cela m'a paru très agréable. J'ai toujours eu envie de visiter un univers qui existerait à côté du nôtre, tel le royaume de la Bête (dans « La Belle et la Bête ») ou le Pays des Merveilles.
C'est encore Vinciane que je tiens à remercier, qui, une nouvelle fois, m'a permis de vivre cette belle aventure.
Après réflexion à propos de ce livre, il me semble y déceler un aspect qui ne m'avait pas immédiatement sauté aux yeux. Ce que dit l'auteure à propos de Châteauroux fait curieusement penser à la communauté des Amish. En effet, comme à Châteauroux, ceux-ci vivent en cercle fermé, entretenant le moins possible de contacts avec le monde extérieur. Ils cultivent l'autarcie, refusant les progrès de la modernité, tels que l'électricité ou l'essence, s'habillent de vêtements sans référence à la mode. Enfin, ils envoient leurs jeunes à l'extérieur pendant une période très courte ("rumspringa" ), à l'issue de laquelle ils devront revenir sous peine d'être exclus à jamais de leur communauté. Celui qui aura commis un « péché » sera banni à jamais.
Tout cela me semble correspondre à l'idéal qu'on trouve dans ce roman, mais bien sûr, ce n'est qu'une piste de lecture parmi d'autres.