L’oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.
L’oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d’autruche
Jus d’ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café.
L’oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait un petit dodo
Puis il s’envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.
L’arbre qui boit du vin
aime qu’on dorme dans son ombre
comme les cerfs et les lapins
nourris de thym et de concombres
L’arbre qui boit du vin
est un fameux camarade
bon pour le soir et le matin
et tous les jours en cavalcade
L’arbre qui boit du vin
ce matin nous a dit
Pas besoin d’être devin
ce n’est pas tous les jours mardi
L’arbre qui boit du vin
Le verse à la terre entière
Il n’est pas bête il est malin
et son ombre sera la dernière
Et son ombre sera la dernière
sur la terre s’il en est encore
et sur la mer et sur la terre
à l’instant de la dernière aurore.
"Littérature:
Je voudrais aujourd’hui écrire de beaux vers
Ainsi que j’en lisais quand j’étais à l’école
Ça me mettait parfois les rêves à l’envers
Il est possible aussi que je sois un peu folle
Mais compter tous ces mots accoupler ces syllabes
Me paraît un travail fastidieux de fourmi
J’y perdrais mon latin mon chinois mon arabe
Et même le sommeil mon serviable ami
J’écrirai donc comme je parle et puis tant pis
Si quelque grammairien surgi de sa pénombre
Voulait me condamner avec hargne et dépit
Il est une autre science où je peux le confondre."
Mourir
Pour mourir sans regret il faut être si lasse
Pour mourir sans regret des désirs oubliés
Pour mourir sans chagrin pour mourir sans pitié
Faut-il détruire aussi les mains les yeux les faces
Celles-là qui sont nées choisies parmi les races avec un cœur violent par nul amour plié avec des membres durs que rien ne peut lier
Savent chercher la mort parmi les tombes basses
Mais celles qui aimaient celles qui dans leurs bras surent garder parfois dans la froideur des draps
L'amant ou le mari jusqu'à défier les ombres
Fermeront leurs deux yeux par une nuit sans feux
Et jetant leur amour comme un dernier enjeu
Connaîtront le repos creux comme les décombres
Trois pensées trois coquelicots trois soucis
Trois soucis trois roses trois œillets
Les trois roses pour mon amie
Les trois œillets pour mon ami
Les trois coquelicots pour la petite fille si triste
Les trois pensées pour mon ami
Les trois soucis pour moi.
Le cactus délicat
est un sacré gaillard
est un fameux dépendeur d’andouilles
est un grand flandrin
est un va-nu-pied
est un pistolet
est un drôle de lascar
est un drôle
est un rigolo
comme de juste puisque c’est un pistolet
est un drôle de corps
un coquin
un amiral des forêts
un général de peau de porc
La terreur des sables fins
Le ténor pour sourd et muet
mais ça n’arrange pas ses petites affaires
ni sa santé.
CHANSON CAILLOU
J'arrive en chantant
Visage de bois visage de bois
Je pars en rêvant
Ô mon amour ô mon roi
Viennent les Printemps
Odeurs des bois odeurs des bois
à nous deux tuons le temps
Pour qu'il renaisse avec la joie
Eh quoi je suis toute seule
Cercueil de bois cercueil de bois
Ô mon amour ma chère gueule
Te souviens tu de moi parfois ?
Le chat qui ne ressemble à rien
Aujourd’hui ne va pas très bien.
Il va visiter le Docteur
Qui lui ausculte le cœur.
Votre cœur ne va pas bien
Il ne ressemble à rien,
Il n’a pas son pareil
De Paris à Créteil.
Il va visiter sa demoiselle
Qui lui regarde la cervelle.
Votre cervelle ne va pas bien
Elle ne ressemble à rien,
Elle n’a pas son contraire
À la surface de la terre.
Voilà pourquoi le chat qui ne ressemble à rien
Est triste aujourd’hui et ne va pas bien.
DANS UN PETIT BATEAU
Dans un petit bateau
Une petite dame
Un petit matelot
Tient les petites rames
Ils s'en vont voyager
Sur un ruisseau tranquille
Sous un ciel passager
Et dormir dans une île
C'est aujourd'hui Dimanche
Il fait bon s'amuser
Se tenir par la hanche
Echanger des baisers
C'est ça la belle vie
Dimanche au bord de l'eau
Heureux ceux qui envient
Le petit matelot
AUJOURD'HUI JE ME SUIS PROMENÉ...
Aujourd'hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s'il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.
Qu'ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.
Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.
Maintenant je connais pas mal de morts,
J'ai vu beaucoup de croque-morts
Mais je n'approche pas de leur bord.
C'est pourquoi tout aujourd'hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m'a trouvé un peu vieilli,
Un peu vieilli, mais il m'a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un Dimanche ou un Samedi,
Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j'ai vu que j'étais seul.
Alors je suis rentré parmi les hommes.
1936
(extrait de "État de veille") - pp. 175-176