Personnellement, je n'ai pas envie de bouder mon plaisir.
Diaz Canales et
Pellejero font un super boulot pour un deuxième tome consacré à Corto Maltese. D'un côté, j'entends dire, "ce sont des pros, ils ont une check-list et ils la remplissent". J'en suis bien conscient. On retrouve les incontournables des aventures de Corto Maltese, les balises mises en place par Pratt.
Exotisme, aphorismes, femmes mystérieuses, déterminisme, mais aussi libre arbitre, dialogues mouchetés, cases vides de texte, un peu de magie ou d'onirisme, de l'érudition façon National Geographic, des têtes connues, un peu de géo-politique... et le tout dans des proportions idéales, façon Homme de Vitruve... Ainsi Henri de Monfreid, ou
Ida Treat, reporter pour Vu. Cela dit, Aïda n'est pas vraiment
Ida Treat... Sur elle, de nombreux éléments historiques ne coïncident pas du tout. Alors, inspiration ou erreur historique... Peu importe. L'évocation est belle.
J'ai eu un peu de mal à entrer dans la BD. Corto cherche un artefact, mais on ne sait pas pourquoi. Toujours aussi peu disert, le beau marin se laisse porter au gré des interdictions (qu'il brave) et des rencontres (qu'il suscite). On va donc longer Malte (avec une très belle évocation de l'île en profil féminin allongé), faire escale à Constantinople, carguer les voiles vers la Mer Rouge, faire escale à Zanzibar, s'enfoncer dans la jungle en lorgnant vers Equatoria, que l'on peut situer au Sud Soudan, à la recherche de la tombe d'Emin Pasha (né Isaak Schnitzer), personnage ayant réellement existé. Les auteurs évoquent alors la révolte du Mahdi de 1881. La tombe (et le reste de territoire) d'Emin Pasha se situe au Congo. Cette surabondance de connexions historiques est peut-être un peu too much, cela dit. Comme s'il s'agissait de se montrer trop bons élèves...
Cela dit, ne pas savoir ce qui anime Corto, c'est très cohérent avec l'habitude de Pratt, qui en disait assez peu sur ce qui faisait avancer son héros. Là encore, je trouve l'hommage à Pratt assez correct. Chez Pratt, et c'est respecté ici, le voyage est plus important que la destination. D'ailleurs, au terme du voyage, Corto revient bredouille sans son artefact, mais le reçoit d'une tierce personne croisée plus tôt dans le récit. Il a appris à ne pas brusquer les aléas de l'existence. Et il ne s'en porte que mieux.
La question n'est donc plus de savoir si Pratt aurait, ou pas, pu écrire un tel tome. On ne le saura jamais. Pratt aimait surprendre le lecteur avec de l'inattendu. Et si l'inattendu était justement qu'il n'y ait rien d'inattendu... La question principale est de savoir si j'ai pris du plaisir aux aventures de Corto. Et la réponse est évidente.