Roman noir, à ne pas lire un jour de vague à l'âme, la vague t'emporterait.
La culpabilité… putain de cancer de l'âme.
Les toubibs, les analyses sanguines, les IRM, personne ne voit rien. Toi, t'as même pas les mots pour expliquer le mal être.
Qu'on t'ait éduqué sur ses bases ou qu'on n'ait pas trouvé les mots, petit, pour t'en débarrasser quand le drame te tombera dessus, la culpabilité s'imprègnera de toi, de ta volonte, elle bouffera ta joie morceau par morceau, gangrènera ton coeur et ton esprit, s'insinuera dans chaque pore de ta peau, et c'est si facile d'y revenir, dès qu'un soleil tentera d'éclairer et de réchauffer un peu ton coeur, tu fouilleras dans les plaies, tu gratteras et tout suintera, les blessures te brûleront et te consumeront et là, tout s'éteindra, tout deviendra terne et gris, mort, juste un coeur battant, le reste six pieds sous terre.
Dépression. Quel nom bizarre. Comme si un organisme gonflé à son maximum d'un coup, se dépressurisait, se vidant de tout ce qui le maintient en vie : joie, bonheur, espoir, respect de soi…
La dépression qui te rend si égoïste, tu souffres tellement qu'elle prend toute la place, seule ta souffrance compte, les autres, les proches, tu t'en tamponnes.
Une écriture forte, douloureuse, si prégnante, si immersive qu'elle t'engloutit avec elle. T'es collé à cet état en fin de vie, et ça rabâche, ça te serine, tu te sens oppressé par ce mal être ambiant. Flashs sur tes propres démons, vibrations sur tes cordes sensibles, tu suffoques, tu étouffes. L'écriture est d'une rare sincérité , brute, courageuse et elle t'emporte, ah ça oui, elle t'emporte avec elle.
Je me suis rappelé pourquoi à des moments de profonde détresse je n'ai jamais répondu aux appels des sirènes médicamenteuses. Peut-être avais je trop vu de Lexomil, Tranxene, et autres Stilnox comme des panacées sans pourtant voir celle qui les croquait jamais totalement heureuse.
Je me suis posé la question par ailleurs : est ce le drame et la culpabilité qui ont provoqué ce mal de vie en Jeremy, ou n'était-il pas génétiquement programmé ?
L'écriture est sublime, intense, violente, tout est pesé, posé, placé. Les métaphores se télescopent. Il y en a tant que parfois elles se sont diluées dans le récit. J'ai dû quelques fois y revenir et j'en ai probablement manqué certaines. C'est peut-être l'unique point faible de ce roman si fort. Mais qui peut le plus peut le moins, n'est-il pas ? Ouvrir des portes ouvertes et montrer, tout le monde sait le faire. Suggérer et magnifier, la liste des auteurs raccourcit sensiblement.
Cette plume sombre et délicate, à fleur de peau, dont le style singulier n'est pour moi qu un filtre, une couverture de pudeur, une manière de poser une distance sur les maux, a remporté mon adhésion. J'ai accompagné les personnages jusqu'à la dernière lueur d'espoir.
J'ai lu la série BD Un combat ordinaire de
Manu Larcenet juste après, sans le faire exprès, je suis restée dans l'ambiance de cette lutte quotidienne, permanente, mais où renaît l'espoir.
Résumé ( parce qu'on me le demande souvent ):
Camille et Jeremy ont marché côte à côte depuis leur naissance. Ils s'aiment sans parvenir à être heureux ensemble. Camille s'est fait une place discrète dans la vie de Jeremy, parce qu'on lui a appris depuis toute petite à réparer les choses, à réparer les gens. C'est un caméléon, les sauts d'humeur de Jeremy l'ont façonnée, elle avance tout en prudence et en hésitation, discrète, mais ne faillit pas, ne faiblit pas. Il met de la distance, il tire sur l'élastique, Camille est un boomerang, elle retrouve sa main, amour inextinguible, une évidence.
Camille désire porter leur enfant. La perspective de devenir père convoque lentement tous les morts. Comment donner la vie quand on peine soi-même à trouver sa place parmi les vivants ?