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Преступление и наказание
Traduction : George Philippenko, Nicolas Berdiaeff et Elisabeth Guertik

Si vous n'avez pas encore lu « Crime et Châtiment » et que vous vous en inquiétez, conservez votre sang-froid et demeurez optimiste : je ne l'ai moi-même achevé que quelques jours après mon entrée officielle dans ma quarante-sixième année.
Il faut dire que, avec son image à la fois mystique et sensuelle, dans la droite ligne de la tradition slave, Fédor Dostoievski a de quoi faire peur. Qui pis est, le malheureux avait, tout comme notre Victor Hugo national, une faiblesse accentuée pour les développements et digressions philosopho-religieuses qui atteignent leur summum dans « Les Frères Karamazov. » Ca et les patronymes russes si pittoresques mais dotés de rallonges multiples ont fait fuir plus d'un lecteur pourtant bien résolu à « aller jusqu'au bout » de Dostoievski. La voie du succès littéraire est jalonnée d'injustices ineptes.
Je parle d'injustice car, si l'on observe « Crime et Châtiment » d'un point de vue purement technique, on ne peut que s'incliner devant l'impeccable rigueur de la construction. Aucun détail n'y est superflu, un personnage qui nous apparaît « de trop » dans la première partie s'avère en fait essentiel au bon fonctionnement de la troisième, le discours à la fois philosophique et social de Raskolnikov est tout, sauf fumeux, en un mot, si disparates qu'elles se présentent parfois, toutes les pièces du puzzle s'imbriquent au millimètre près.
Certes, on peut tiquer devant le goût mélodramatique de l'époque dont Dostoievski, qui publiait en feuilleton, était évidemment tributaire. Mais la nécessité de pousser le lecteur à acheter « la suite au prochain numéro » est aussi l'une des forces du roman : sans ce besoin, le romancier n'aurait sans doute pas organisé ses scènes de façon à laisser presque toujours le lecteur sur sa faim.
L'épilogue et la « rédemption » du héros laissent aussi à désirer – enfin, c'est mon avis. Mais l'idéologie religieuse de Dostoievski s'inspirant bien entendu du principe chrétien : « Souffrez et il vous sera pardonné » me rend sur ce plan fort peu objective, voire facilement exaspérée, je tenais à le préciser.
L'intrigue est à la fois très simple et très complexe. Raskolnikov, jeune étudiant d'une intelligence certaine et même brillante mais de complexion indéniablement caractérielle, se détache de ses études et, au lieu de chercher à les payer en travaillant en parallèle en tant que précepteur ou traducteur occasionnel, comme son ami Razoumikhine, s'enferme peu à peu dans son monde et se pose la question suivante : le meurtre d'un être mauvais, pervers, fourbe, parasite et inutile peut-il se justifier par les bienfaits éventuels que la disparition de cette personne apporterait à plus malheureux qu'elle ? Et, par extension, tout est-il permis en ce bas monde si l'intention est bonne ?
Pendant ce temps, Raskolnikov apprend que sa soeur, Dounia, se décide à épouser un homme qu'elle n'aime pas, Piotr Petrovitch Loujine, afin d'échapper à une situation de gouvernante chez autrui et de garantir du même coup l'avenir de sa mère et aussi les études de son frère.
Dans la fièvre de ses idées et dans la rage de son orgueil, il se rend chez une vieille usurière chez qui il avait déjà déposé un « gage » afin de reconnaître les lieux et l'assassine à coups de hache. le hasard – encore lui – le force à tuer également la soeur de sa victime, Elisabeth, qu'il prétendait pourtant délivrer la première de la tyrannie de la vieille femme.
De fil en aiguille et même si Raskolnikov, par une chance inouïe (on serait tenté d'écrire la chance du débutant), échappe aux recherches de la Police, la mécanique s'emballe. Bien loin de se sentir délivré et heureux, bien loin de se sentir l'un des ces hommes « extraordinaires » qui, selon lui, ont le droit de tuer pour le bien de l'Humanité, Raskolnikov s'enfonce de plus en plus dans la détresse morale et l'insatisfaction.
En arrière-plan apparaissent une foule de personnages : l'ivrogne et père indigne, l'ancien fonctionnaire Marmeladov, qui a laissé sa fille, Sonia, se prostituer et se mettre « en carte » pour que mange toute sa famille ; Catherine Ivanovna, seconde épouse, puis veuve de Marmeladov (lequel se suicide en se jetant sous les pas d'un cheval de fiacre), qui finit par perdre la raison après l'enterrement mémorable de son époux ; le prétendant de Dounia, Pierre Petrovitch Loujine, l'un des « salauds » les plus terribles et les plus tartuffards de toutes la littérature ; l'exubérant et intègre Razoumikhine, ami et condisciple de Raskolnikov, qui finira pas épouser Dounia ; l'énigmatique Porphyre Petrovitch, juge d'instruction très tôt persuadé de la culpabilité de Raskolnikov et à qui Harry Baur prêta jadis sa silhouette monolithique dans le film de Pierre Chenal ; Lebeziatnikov, le socialiste utopiste, exaspérant mais foncièrement honnête et qui aime en secret Sonia Marmeladov ; et Sophie Semionovna, justement, la fille de Marmeladov, la « fille perdue » qui tombera amoureuse du héros si tourmenté de Dostoievski et le suivra au bagne. Sans oublier le personnage d'Arcady Svridigailov, ex-escroc, ex-tricheur professionnel, propriétaire terrien qui avait failli « perdre de réputation » la soeur de Raskolnikov et qui, toujours amoureux d'elle, se suicide tout à la fin du roman lorsqu'il comprend qu'elle ne l'aime pas et ne l'aimera jamais.
Oui, on se suicide beaucoup chez Dostoievski. Mais cela passe à peine pour une marque de faiblesse. C'est plutôt l'aboutissement d'une quête quasi mystique - en tous cas, je l'ai ressenti comme tel.
Quand on sait que Dostoievski travaillait sans plan pré-établi, conservant les grandes lignes de son intrigue uniquement dans sa tête et avançant à coups de petits dialogues griffonnés sur ses carnets, on ne peut que rester ébloui par le résultat ainsi obtenu. Par sa concision, par l'ampleur des questions qu'il soulève cependant et par la puissance des personnages, « Crime et Châtiment » est un grand livre. Et si vous ne deviez lire qu'un seul roman de Dostoievski, ce serait lui qu'il faudrait choisir. Sans hésitation. ;o)
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« Raskolnikov, à bout de force, tomba sur le divan, mais il ne pouvait plus fermer les yeux. Il resta couché une bonne demi-heure, dans cette souffrance, dans cette insupportable sensation d'épouvante sans borne qu'il n'avait jamais encore éprouvée. »

L'argument de ce vaste roman, paru en 1866, est connu : un étudiant, Rodion Raskolnikov, commet un meurtre avec préméditation sur la personne d'une vieille prêteuse sur gage qu'il connaissait. S'il avait longuement préparé ce crime, l'arrivée de la soeur de la victime, le pousse à en commettre un second… Il réussit à fuir la scène de crime sans se faire remarquer.

Il s'agit là d'un acte quasiment « gratuit ». Depuis quelques mois Raskolnikov n'a plus les moyens nécessaires pour poursuivre ses études de droit. Il est en délicatesse avec sa logeuse. Et il ne sort guère plus de son placard miteux. Mentalement, il a perdu pied. Mais il reste conscient de ses actes.

Il fera tout pour ne pas avouer ces crimes, alors que de grandes difficultés familiales (sa mère et sa soeur) compliquent encore sa situation…

J'ai été constamment étonné et séduit par ce roman, proprement incroyable de maîtrise. C'est avant tout un véritable roman policier, une sorte de prototype du genre. On peut y trouver, entre autres, un véritable jeu du chat et de la souris entre le juge d'instruction Porphyre Petrovitch et Raskolnikov, pas si éloigné de ce qu'aurait pu tirer Simenon d'une intrigue pareille. D'ailleurs Simenon avait lu les auteurs russes dans sa jeunesse et reconnaissait l'influence qu'ils avaient eu sur sa vision assez sombre de l'humanité, vraiment présente dans ses romans « durs ».

En grande partie dialoguée, l'intrigue laisse toute sa place à un suspense insoutenable : Raskolnikov craquera-t-il ? Tout semble se liguer contre lui. Et le lecteur, loin de le considérer comme la fripouille qu'il est, tremble pour lui et avec lui.

Il y a en plus, bien évidemment puisqu'on est tout de même dans le domaine russe du 19ème siècle, une dimension philosophique, métaphysique et même religieuse. La critique sociale est aigue. On touche du doigt les difficultés des pauvres gens, particulièrement les enfants, et les grandes violences qu'ils subissent.

Je n'en reviens pas.
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Une relecture faite dans le cadre du challenge MULTI-DEFI 2021 avec Christine, Carole, Manuela et Marie! Merci à elles d'avoir choisit ce roman dont la relecture m'a permis de mieux cerner la complexité du personnage de Raskolnikov! Ca a été un réel moment de dégustation mais je garde ma critique de 2014!

Un véritable coup de coeur! Su point de vue de la structure, de la pure folie qui accompagne chaque fait, chaque personnage, ce roman est un chef-d'oeuvre! Il nous offre un voyage initiatique où l'on s'en va chercher l'homme dans son propre moi, un voyage psychologique où chaque personnage trimbale lourdement sa folie...

Dostoïevski nous plonge pleinement dans la société russe du XIXe Siècle où se mêle la vie de campagne à celle de la ville, où l'instruction et la justice sont des moteurs importants pour cette société. On sillonne la vie estudiantine de cette époque où seuls des étudiants faisant partie de la bourgeoisie avaient plus de chance de parvenir dans leurs études. La justice aussi n'est qu'un moyen par lequel que la classe bourgeoise se sert pour anéantir de plus bel la basse classe d'où la révolte de Raskolnikov qui, bien qu'entaché lui-même d'un sérieux crime, reproche à la justice et à la société de se focaliser sur des petits crimes des petit individus, alors que des grands crimes ou des crimes de masses sont simplement enregistrés comme des actes héroïques...

Raskolnikov est un pauvre étudiant vivant à Pétersbourg où il est contraint d'abandonner ses études par manque de moyens mais il perd la tête lorsqu'il apprend le mariage prochain de sa soeur avec Loujine, sachant que sa soeur s'y engage pour lui venir en aide alors qu'il estime que Loujime n'est pas crédible à ses yeux...Il doit lui même apporter les solutions à ses problèmes....Il décide de commettre un crime...

Raskolnikov, après avoir tué à coup de hache la vieille préteuse d'objets de valeur et sa soeur pour pouvoir les voler, après avoir bien maquillé son crime, il devient paranoïaque, il accomplit un sérieux voyage vers sa propre conscience, ce qui est pire que la torture judiciaire...

En effet le livre nous tient en haleine dans cette conduite psychologique que nous propose l'auteur de son personnage. Dans la première partie, on suit Raskolnikov dans ses positions jusqu'à l'accomplissement de son crime, et dans la deuxième partie, on s'attend à le voir être châtié par la justice...non le plus grand châtiment qu'il subit est celui du rendez-vous de son moi face à son crime...
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Aaaah, Crime et Châtiment... si je m'attendais à ça!! Dostoïevski attirait depuis un certain temps mon attention, en adorateur du XIXème, et des romans totalisants (au sens de la volonté romantique d'accomplir à chaque fois l'oeuvre totale, ultime...). Mon prof fétiche avait évoqué le roman en cours, ainsi que Les Frères Karamazov, et je savais que le discours des personnages de l'auteur avait fortement influencé ceux de Dantec (commettre des crimes, enfreindre les règles pour le plus grand bien, exception autorisée à des individus au-dessus de la masse) Mais j'ignorais à quel point j'aurais affaire, avec Crime et Châtiment, à, en plus d'un roman politique et social, religieux... à un roman policier avant l'heure!

Beaucoup de critiques le considèrent ainsi, mais c'est totalement juste, et sa plus grande force, pour moi, est son rythme hallucinant, effréné par moments, dont ont hérité les polars depuis. Dostoïevski a un sens du suspense grandiose grâce à la paranoïa de Raskolnikov, son interprétation du moindre mot, de la moindre formule pouvant sous-entendre que les soupçons se portent sur lui... Dans notre tête défile un vieux film en noir et blanc pré-Hitchcockien, expressioniste et très tendu, ainsi qu'une pièce de théâtre complètement folle. On pardonne donc aisément les quelques longueurs, le rythme se réaccélérant toujours ensuite, faisant de Crime et Châtiment cet espèce de théâtre-thriller fusionné au roman du XIXème. Énormément de passages cultes : le meurtre, la rencontre avec Loujine et le débat qui le tourne en ridicule, celle entre Razoumikhine et la famille de Rodia, la révélation émouvante et exaltante du coup de foudre entre Dmitri et Dounia, les visites de Rodia à Sonia, la mort de Catherine Ivanovna (j'ai eu du mal à m'en remettre, elle me rappelait ma mère, prête à tout pour ses enfants), le suicide de Svidrigaïlov... et puis tout bêtement, la moindre divagation, la moindre errance de Raskolnikov... Impossible de tout citer. Les seuls passages qui m'ont moins plu sont ceux entre Raskolnikov et Porphyre. Je sais que Dostoïevski et Hugo étaient amis, je me demande si Porphyre a pu être influencé par Javert, y avait certes ce rapport de force Valjean/Javert entre les deux, mais Porphyre, dans son one-man show perpétuel pour décupler la confusion dans l'esprit de Rodia, m'a plus agacé qu'autre chose...

C'est un roman aux multiples interprétations, par son appel constant aux symboles, l'escalier, l'errance, l'enfermement, Sonia et la figure religieuse qu'elle incarne tout du long... Et tous ces personnages sont à fleur de peau, pour la plupart pathétiques (sauf évidemment le détestable Pierre Petrovitch Loujine). J'ai tout particulièrement aimé Svidrigaïlov, qui passe de criminel bon vivant à amoureux torturé... À ce sujet, lui, comme Razoumikhine, sont facilement vus comme des doubles difformes de Raskolnikov, partageant beaucoup de traits avec lui, biographiques ou philosophiques, mais ayant agi différemment, ayant pris d'autres décisions, et donc, ayant eu des destins différents. Razoumikhine, onomastiquement, la raison, est en effet la version raisonnable de Raskolnikov. Svidrigaïlov est Raskolnikov moins froid, en proie à l'amour, qui a aussi tué, violé (du moins c'est ce que l'on pense) et qui cherche le repentir en faisant des bonnes actions, mais avec bien plus d'ampleur et d'efficacité que les dons hasardeux et compulsifs de Rodia à la famille de Marmeladov.

On pourrait parler des heures de ce roman, comme d'un vieux film... Ce n'est pas tellement l'écriture qui m'a séduit, mais cette richesse, tous ces thèmes, et bien sûr, je le redis, cette narration si particulière, qui en fait un thriller avant l'heure. Je comprends par ailleurs qu'il ait été aussi adapté au cinéma et surtout au théâtre, c'est LE roman théâtral par excellence. Comme je disais au début, la sur-interprétation de Raskolnikov, en pleine psychose, de la moindre phrase à son égard, engendre sans cesse des quiproquos de l'esprit, et une tension absolument incroyable...

J'ai hâte de lire Les Carnets du sous-sol et le reste de l'oeuvre de cet auteur particulier, très social, bien que très critique envers le socialisme à proprement parler. le roman défait à plusieurs reprises le socialisme et l'assistanat, pour mettre en valeur ce que peut accomplir l'individu de son propre chef, mais je ne suis pas sûr que ce soit toujours pertinent dans le monde occidental de 2014 ni que Dostoïevski aurait réagi de la même façon de nos jours...
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Crime et Châtiment est un roman puissant, époustouflant, inoubliable à plus d'un titre.
Le roman dépeint l'assassinat d'une vieille prêteuse sur gage, Aliona Ivanovna, et de sa soeur, par un ancien étudiant de Saint-Pétersbourg, Romanovitch Rodion Raskolnikov, et des conséquences émotionnelles, mentales et physiques qui vont s'accomplir sur le meurtrier.
Crime et Châtiment est le roman que je préfère de Dostoïevski. Je m'en vais tenter de vous convaincre des raisons de cette passion, même si, tout comme le crime dont il est question ici, je ne suis pas certain de savoir bien me justifier...
Tout d'abord, c'est une vaste fresque qui porte une réflexion sur l'acte gratuit d'un crime, la folie et la justice.
Lorsque Raskolnikov décide d'assassiner Aliona Ivanovna, a-t-il des raisons précises ? Au début, il y a quelque chose qui pourrait expliquer ce crime, non pas le justifier entendons-nous bien, - quoique j'y reviendrai un peu plus tard sur cela -, l'assassinat de cette vieille femme, Aliona Ivanovna, prêteuse sur gage qui s'enrichit sur le dos des étudiants les plus démunis.
Prendre son argent pour servir la cause commune et l'humanité dans son besoin, l'idée est belle, à la manière de Robin des bois. Un seul petit crime de rien du tout porté à l'encontre d'une vieille usurière, phtisique, haineuse, nuisible, ne justifierait-il pas cette noble cause ? Ce n'est pas moi qui le dit, mais c'est bien le propos du début du roman qu'un étudiant évoque devant Raskolnikov et qui ne tombe sans doute pas dans l'oreille d'un sourd. Alors, cette explication serait-elle donc le seul et véritable mobile du crime ? Trop simple peut-être pour l'âme tourmentée de Dostoïevski. Raskolnikov entend le propos rationnel de l'étudiant. Ce n'est peut-être pas dans cette discussion que l'idée de ce meurtre naît et germe, peut-être vient-elle bien avant, longtemps avant, dans les tourments lointains d'une âme d'enfant...
Raskolnikov est un ancien étudiant en droit âgé de vingt-trois ans, sans le sou. Il a dû abandonner ses études et vit désormais dans un quartier mal famé de Saint-Pétersbourg. Après qu'il a vendu son dernier bien, la montre de son père, à la vieillee usurière, une idée lui vient à l'esprit : assassiner celle-ci.
Le texte décrit avec une énorme précision comment il la tue. La scène est horrible. Mais les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu... Je n'en dirai pas plus, bien que tout cela soit déjà passé à la postérité. L'intérêt du roman figure ailleurs et sans doute dans la complexité du personnage principal. Voyager dans la tête de Raskolnikov, dans les tréfonds de son âme, c'est plonger dans une odyssée abyssale à part entière, une immersion en terre inconnue.
Il y a des moments étranges, avant, pendant et après ce crime, où l'on ne sait pas trop ce que Raskolnikov pense de son acte. Est-il fou ? Est-il rêveur ? Est-il naïf ? Est-il malade ? Est-il dans un état second ? C'est sans doute l'une des forces du roman, nous interroger sur le dessein de cet homme. S'empare-t-il d'une raison factuelle qui pourrait éventuellement trouver une justification, non pas au sens pénal, mais au sens de la morale, d'une forme de légitimité ?
Le crime que commet Raskolnikov n'est pas construit comme une tragédie antique, ni comme une enquête policière, un drame qui serait bien ficelé selon les codes classiques, bien que tous les ingrédients du procédé soient au rendez-vous. On connaît le coupable dès le début de l'histoire. Tout l'art du récit est de comprendre le cheminement de l'assassin, pendant et après, et c'est là que l'auteur est génial.
Ce crime crapuleux, horrible dans des gestes qui s'apparentent à de la folie, est sans doute l'acte fondateur du roman.
Il n'y a pas d'idée rationnelle établie pour expliquer, ni même comprendre. On est dans l'acte pur et non dans l'interprétation. Impossible de dire ce qui l'a poussé à faire ce crime... Peut-être est-ce tout simplement une chaleur épouvantable sur la ville de Saint-Pétersbourg qui empêche de respirer, aussi brûlante que la lumière sur la lame d'un couteau, qui poussa Meursault au meurtre de l'arabe dans l'Étranger de Camus.
Raskolnikov va même jusqu'à convoquer Napoléon, c'est grandiose, grotesque et osé, cette justification pour expliquer ce droit de tuer dont pourraient prétendre les hommes extraordinaires.
À quel endroit se situe le commencement absolu de la pensée de Raskolnikov, où prend-elle sa source ?
Là où je trouve que le talent de Dostoïevski est terriblement prodigieux, c'est qu'il nous amène à visiter des zones sombres de notre âme qui nous paraissaient jusqu'alors totalement inconnues. Ah, si nous n'étions dotés que d'un cerveau reptilien, que de meurtres nous serions alors coupables !
Il serait absurde de rechercher une explication psychologique à ce roman. Il n'y a sans doute aucune interprétation psychologique. Même Raskolnikov tente de le faire auprès de Sonia Marmeladova, fille d'un ami et prostituée auprès de laquelle il a avoué son crime, elle ne comprend pas, comme si les paroles étaient impuissantes à toutes tentatives de vouloir trouver un sens. J'ai particulièrement aimé ce personnage de Sonia Marmeladova, personnage central dans l'itinéraire de Raskolnikov. Elle est emplie d'empathie et d'humanité et veut à toutes forces ramener Raskolnikov à la communauté des humains, le convaincre qu'il doit pour cela avouer son crime. C'est un moment particulièrement beau, qui permet de jeter un peu de lumière dans la noirceur de cette histoire.
C'est en ce sens que ce roman est peut-être moderne et aborde les prémices du nouveau roman. Ce roman nous oblige sans cesse à revoir nos codes, à nous coller à la réalité, une réalité crasseuse certes, mais à ne jamais cogiter, imaginer ce qui fut et ce qui sera, seulement se cantonner à ce qui est.
J'ai été émerveillé de découvrir des rais de soleil au travers de la nuit nébuleuse que propose Dostoïevski, par exemple l'amitié entre les personnages, la tendresse envers une prostituée qui veut à toute force porter son aide à Raskolnikov...
Certains des autres personnages du roman sont tout aussi troublants et rendent de surcroît Raskolnikov sympathique et presque attachant.
Se pose alors la question de la justice, de toute justice face à un crime : coupable ou pas, responsable ou pas ? Bien sûr, Raskolnikov est coupable et aucune justice ne le démentira...
La légitimité que s'octroie Raskolnikov vis-à-vis de son crime est l'absence apparente de conscience dans la dimension de ce crime, cette vigie censée nous aider à faire le tri entre le bien et le mal dans nos actions, cette torture qui pourtant peut se réveiller et marteler sans cesse certains coupables.
Vous vous rappelez, l'oeil de Caïn, thème magnifiquement décrit dans le poème de Victor Hugo, La conscience, dans La Légende des siècles. Pourtant, cette conscience va s'éveiller, sans doute grâce à l'aide de Sonia Marmeladova, explique alors cette métamorphose, comme un saut de puce, du crime crapuleux jusqu'à la prise de conscience, non pas forcément que Raskolnikov trouve son crime horrible, mais parce qu'il doit en faire l'aveu afin de tenter de réduire sa peine devant une probable justice à venir, éviter la peine capitale... Ce que lui transmet alors Sonia Marmeladova, c'est cette envie de vivre, continuer à vivre... J'y ai vu ici comme une magnifique preuve d'amour... Et une possible résurrection pour Raskolnikov, sortir de sa folie...
Enfin, je ne peux pas résister à imaginer ce que de célèbres détectives ou policiers auraient pensé de ce crime...
À la manière de Sherlock Holmes :
- Mon cher Holmes, ne pensez-vous pas que ce fameux Raskolnikov, à vouloir sans cesse s'accuser du crime de cette prêteuse sur gage, à nous convaincre presque qu'il serait le coupable idéal, n'use en fait d'une stratégie habile pour justement chercher à se disculper totalement ?
- Élémentaire, mon cher Watson !
À la manière de l'inspecteur Colombo :
« Pardonnez-moi Monsieur Raskolnikov de revenir vous importuner un peu, mais il y a quelque chose qui me chiffonne, tout de même... Ma femme qui est une grande admiratrice de Napoléon, mais qui a aussi une âme sensible et généreuse, me dit souvent que rien ne peut excuser le fait de perpétrer la mort, que ce soient venant d'hommes ordinaires, ou bien d'hommes extraordinaires. Or, justement, je voudrais revenir sur vos derniers propos concernant Napoléon, si vous me le permettez. Je ne vous dérange pas au moins ? »
À la manière d'Hercule Poirot :
« Je trouve que ce Monsieur Dostoïevski n'a aucune élégance, dans sa manière de divulguer le nom du coupable dès les premières pages de l'histoire. C'est pour le moins indélicat et même choquant ! »
Écrire ce billet m'a donné une envie furieuse de continuer de cheminer dans l'oeuvre de ce romancier sublime.
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Crime et Châtiment est une oeuvre majeure et l'une des plus célèbres de Fiodor-Dostoievski. Il a été publié en 1866. Se confronter à un tel livre c'est s'ouvrir les portes d'une connaissance plus approfondie des tréfonds de l'âme humaine, c'est également comprendre les ressorts et les conséquences psychiques, existentiels et physiques sur la personne de Raskolnikov suite au double meurtre commis par ce dernier. La question du salut, de la rédemption, du pardon, de la souffrance humaine et métaphysique est au coeur de ce livre d'une modernité étonnante. La description de l'état de déréliction de cette société russe, des différentes composantes qui s'y affrontent, de la misère crasse qui y règne, des errements propres à une nouvelle génération dont Raskalnikov fait partie, porteuse d'idéaux et de valeurs plus proches de Friedrich von Schiller que des penchants autoritaires du tsarisme en Russie, tout cela donne à voir la complexité de ces vies. La profondeur et la finesse psychologique des personnages dépeints par Dostoïevski sont saisissantes et apportent à l'ensemble une richesse à nulle autre pareil. Livre témoin de la folie des hommes, questionnement autour des notions de bien ou de mal, réflexion sur l'importance du pardon à l'heure où les noirceurs de l'âme humaine semblent ne jamais vouloir s'arrêter, confession d'un jeune homme sur son siècle matrice des grands crimes contre l'humanité qui se succéderont par la suite, Crime et Châtiment est un roman somme et visionnaire à lire absolument.
Lien : https://thedude524.com/2015/..
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J'ai lu ce livre il y a plusieurs années et je l'avais trouvé passionnant. Raskolnikov est un jeune étudiant russe qui vit pauvrement dans une mansarde de Saint Pétersbourg. Il entreprend de tuer une vieille femme, sa prêteuse sur gage, Aliona Ivanovna, qui constitue, selon lui, un véritable mal pour la société. Après des mois de réflexion, Raskolnikov, homme instruit, cultivé, féru de la théorie des grands hommes qui doivent parfois prendre des décisions difficiles, finit par conclure que supprimer le monde de cette créature nuisible, une usurière, ne serait qu'un crime de peu d'importance. Un mal pour un bien, selon le proverbe. L'argent qu'il trouvera chez sa victime l'aidera à débuter sa carrière, car il ne peut plus aller à l'université faute de moyens, et offrira une situation décente à sa soeur Dounia (diminutif d'Avdotia Romanovna) ainsi qu'à sa mère Poulkeria Alexandrovna. Il est persuadé que cet argent deviendra bénéfique pour le reste de l'humanité et que ce seul crime sera racheté par des milliers de bonnes actions. Mais tout n'est pas aussi simple, la réalité, la pratique, l'action sont très éloignées de la théorie et de l'idéal, en apparence parfaits: un univers où il n'y a ni sang, ni cri, ni erreur, ni dérapage. Après ce meurtre, un sentiment de culpabilité imprévu torture le jeune étudiant, le rend malade, le fait sombrer dans un délire proche de la folie, surtout lorsqu'il est convoqué au commissariat à cause de l'argent qu'il doit à sa logeuse. Que va-t-il se passer ? Va-t-on deviner ce qu'il a fait, le soupçonner ? S'il n'en est rien, que va-t-il faire ? Se taire à jamais ? Finir par avouer ?
Au-delà du roman policier et psychologique, Dostoïevski développe sa propre réflexion philosophique, métaphysique et politique. A-t-on le droit de tuer quelqu'un pour une cause jugée bonne, juste et noble, liée au bien de l'humanité ? Il la poursuit dans Les Frères Karamazov et Les Démons, autrefois traduits Les Possédés car les personnages sont comme possédés par des idées qui les font agir pour le meilleur et aussi le pire. Les tourments de Raskolnikov, homme que l'idéologie a rendu fou, malgré lui, le conduisent jusque dans les bas-fonds de la société où, dans l'espoir d'effacer son crime, il tente d'aider d'autres parias, loques humaines qui lui ressemblent, dont Sonia, contrainte de se prostituer pour subvenir aux besoins de sa famille.
J'aime ce livre qui, bien qu'écrit au XIXe siècle, nous fait réfléchir sur notre époque, notamment les régimes totalitaires qui ont marqué le XXe siècle, Hitler, Staline, les camps d'extermination, les goulags où des milliers de personnes ont été assassinées au nom d'une idée, d'une idéologie que les assassins jugeaient bonne pour l'humanité. Dostoïevski a, en quelque sorte, anticipé ces tragédies, ces horreurs et son oeuvre, intemporelle, demeure d'actualité. Vouloir tuer, voire mourir, pour une idée en laquelle on croit, est-ce bien, est-ce mal ? L'écrivain ne tranche pas – Raskolnikov est un criminel sympathique, qui éveille la compassion – et laisse chacun libre de méditer sur la question et sa résonance avec notre époque.
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Malgré le côté mélo de jeunes filles pauvres mais jolies, propres et instruites secourues par de riches veufs, j'ai bien aimé en arrière plan les scènes de tous les jours à Petersbourg, intéressé également par l'évocation d'unions libres et d'émancipation des femmes.

C'est aussi l'histoire du jeune désaxé Raskolnikov, étudiant en droit défendant la thèse que certaines personnes supérieures à la loi peuvent impunément faire couler le sang et en face de lui, le caustique juge d'instruction Porfiri Pètrovitch qui met une pression à rendre fou le criminel, voir le lecteur lui-même!

Un peu longuet, j'ai préféré Anna Karénine.
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Ce roman me fait définitivement penser que la littérature russe est une des plus riches et une de celle qui me plait le plus, qu'elle a des caractéristiques bien à elle et qu'elle regorge de romans à lire au moins une fois dans sa vie, de ceux qui vous font sentir différent après les avoir terminés.

Raskolnikov est un personnage très complexe et un des plus difficile à cerner qu'il m'ait été donné de rencontrer. Tout au long du roman, ses errements à travers Saint-Pétersbourg ou son enfermement dans son logement font alterner nos impressions sur lui entre compassion et dureté à son égard. Tandis que ses paroles et actions à l'égard de ceux qui l'entourent nous font hésiter entre la folie et le génie. Mais finalement, n'est-ce pas tout simplement le comportement d'un homme désabusé ? En cela la plume de Dostoïevski rend très bien compte de la complexité de la psychologie de tous ses personnages.

Au-delà du destin individuel du héros, l'auteur dépeint toute une galerie de personnages secondaires qui permet au lecteur de s'immerger dans le quotidien de Saint-Pétersbourg au XIXème siècle et de se rendre compte des difficultés de la vie des classes populaires de l'époque. Les personnages sont variés, leurs personnalités fouillées mais tous sont empreints d'un esprit russe indissociable au roman, celui du destin auquel on ne peut échapper.

Cela faisait plusieurs années que je me disais qu'il faudrait un jour que je lise ce roman et il aurait probablement patienté dans ma PAL encore longtemps si je n'y avais pas été incitée par la proposition d'une lecture commune. Expérience très enrichissante qui m'a permis de confronter mon point de vue avec celui d'autres lectrices.
Je termine ainsi ce livre avec la satisfaction de l'avoir enfin lu, le sentiment agréable d'avoir pu prendre le temps d'analyser et de partager mes impressions tout en m'enrichissant de celles des autres et surtout en gardant l'impression d'avoir lu un roman intemporel et universel.
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Il arrive parfois qu'une rencontre tant attendue ne se déroule pas comme escompté... l'une des deux parties est peut-être dans un mauvais jour, ou bien les deux ne se comprennent pas à ce moment-là, trop de malentendus, d'impatience... et c'est plutôt déprimant quand ça arrive, surtout quand cette rencontre reste exceptionnelle (celle avec un auteur qu'on adore par exemple).
C'est ce qu'on qui m'est arrivé avec ce roman, mais heureusement, j'aurai tout le loisir de le relire un jour!
Je connais en partie les raisons de cette rencontre ratée, trop longues à expliquer et sans intérêt ici. le résultat est que je ne suis pas parvenue à me lier ni à Raskolnikov ni à Sonia ni aux autres personnages, à part peut-être à Razoumikhine et Dounia, sans doute parce qu'ils étaient les seuls à rester calmes au milieu de ce que j'ai vécu comme une averse de gémissements et de cris de désespoir (mais gardez en tête que ma lecture est restée en surface).
Vu tous les commentaires, les critiques, et le résumé du livre, il n'y a aucun doute qu'il aurait dû me plaire voire me captiver, mais voilà... rencontre ratée je vous dis et j'en suis la première frustrée et pourtant, j'aime beaucoup l'auteur, et je garde un souvenir éblouissant des Frères Karamazov.
Tant pis!



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