le grand vertigePierre Ducrozet
roman, Actes Sud, 2020, 367p
Qu'est-ce que
le grand vertige ?
C'est d'abord cette loi universelle selon laquelle tout se meut dans tout, éternellement. Exemple : la plante crée l'atmosphère dont se nourrit le vivant,
animaux, bactéries, humains ; l'air se meut dans l'espace qui se meut dans le temps. C'est la révélation que reçoit
Nathan, visage blanc-oeuf, oeil inquiet, qui a trouvé en Amazonie septentrionale (Brésil) la plante magique, l'Echomocobo, qui ne perd absolument rien de l'énergie du soleil, pas comme les panneaux voltaïques.
C'est ensuite l'hypercapitalisme qui exploite tout au profit de quelques grands dirigeants de sociétés. du coup, les ressources s'épuisent, le climat change, le désert progresse, on court à la catastrophe.
Enfin, c'est le cerveau d'
Adam Thobias, prononcez A-dame, un pionnier de la pensée écologique, qui est contacté, de nombreux pays ayant pris conscience des dérèglements causés par la cupidité des grands (on est en 2017) pour prendre la tête d'une Commission sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel. Il s'entoure des meilleurs spécialistes dans chacun des domaines, collecte des informations, se livre à des analyses et à des études ; il crée un réseau qu'il appelle Télémaque (pourquoi ce nom?) pour que des spécialistes hors-normes effectuent des missions secrètes en allant voir sur place les failles et l'état du monde ; comme les détenteurs du pouvoir ne font pas mine de changer leur façon de voir les choses, il accomplit des actions terroristes afin de provoquer d'autres points de vue ; et enfin il s'isole avec un petit groupe sur les rives du lac Turkana, berceau de l'humanité, au Kenya pour expérimenter une société utopique, sans hiérarchie et collective, au sein de la nature ici rouge grenat. Mais toutes ces expériences et leurs échecs ont chaviré l'esprit du scientifique. Cependant l'espoir d'un autre monde est bien présent. Les jeunes générations à qui les plus âgés, à cause de leur passivité, n'ont pas laissé grand-chose, ont un rôle à jouer.
On voyage beaucoup dans ce livre, on prend aussi beaucoup, énormément, l'avion, on n'a d'ailleurs aucun souci d'argent, et il est franchement intéressant de se trouver dans la jungle birmane à la recherche d'un pipe-line, de voir Shangai avec d'autres yeux, de goûter le calme du lac avec ses flamants roses. Tout à côté se tiennent des Rohingyas obligés de fuir, des Ethiopiens qui veulent installer des champs d'agriculture intensive sur les berges du lac. le rythme est rapide, les chapitres courts, et on a du plaisir à retrouver sous la plume de l'auteur de nombreuses citations. le livre est gros d'énergie, de souffle. Il est aussi hétérogène avec des bouts de récits de voyage, d'aventures, de romans d'amour ou d'espionnage, de vulgarisation scientifique également.
Les personnages ne m'ont pas beaucoup attirée, notamment June, 23 ans, le crâne rasé, la fille d'
Adam en fait et non un ami de la famille, et Mia avec qui elle découvre l'amour féminin. le personnage du photographe amoureux des lieux désolés et glauques serait plus attachant, mais il cède aux tentations de l'argent. La vie d'explorateur ne paraît pas réjouissante avec de longues phases d'ennui, des moments très intenses de danger.
Peut-être ce livre survole-t-il les choses, et nous laisse-t-il sur notre faim. On n'a pas le temps de bien voir ce qui se passe ; et la fin ne permet pas de pousser plus loin l'expérience utopiste. Puisqu'on revient sur le temps plus lent et moins complexe des chasseurs-cueilleurs, nomades vivant dans le mouvement, qui intéresse actuellement
Eric-Emmanuel Schmitt, peut-être aurait-on pu découvrir plus à fond certaines expériences au lieu de s'apaiser chaque soir avec du rhum.
Pierre Ducrozet, né à Lyon en 1982, se présente comme un écrivain de la modernité qui s'interroge sur la façon d'habiter le monde, et corollairement sans le détruire.