Tout d'abord un grand merci à Masse Critique/Babelio de m'avoir offert l'opportunité de découvrir
Eric Dupont, duquel j'ignorais tout et n'avais lu aucun de ses livres.
Lorsque je me lance à la découverte d'un auteur qui ne m'est pas connu, j'essaie de me délester de tout ce qui pourrait grever ma lecture... un peu comme lorsque vous vous rendez à un premier rendez-vous... il faut, me semble-t-il y aller d'un pas léger, "sans se parler, sans rien penser... seulement laisser l'amour vous monter dans l'âme."
Et de l'amour, ce roman en est empli, de la première à la 506ème page.
Shelly et Laura, deux états-uniennes d'un certain âge, suivent chaque année la route (la floraison) du lilas à bord de leur camping-car.
Ce rituel, ce périple est l'occasion pour elles, de faire passer la frontière à des clandestines... qui pour un avortement qui pour des raisons de violences domestiques ou de mésentente conjugale... un amant à retrouver...
Cette année, Rosa une jeune femme canadienne, leur demande d'aider Pia, une Brésilienne septuagénaire en fuite, à la rejoindre à Montréal.
Que fuit Pia ?
Quels liens unissent cette Brésilienne âgée à cette jeune Canadienne ?
C'est en grande partie le lilas ( ses effluves ont des effets proustiens) qui va le révéler au lecteur... à travers les récits écrits ( " sous l'influence des parfums du lilas ") et oraux de Pia, lesquels vont nous faire voyager dans le temps et dans l'espace.
Nous y croiserons Piaf,
Sartre et "Simone", l'impératrice Marie-Léopoldine, soeur de
Marie-Louise, tante de l'Aiglon et belle-soeur de "l'Antéchrist", un colonel brésilien peu recommandable mais amnistié qui finira sa vie en chutant accidentellement (?) du 34ème étage d'une des tours construites par l'architecte Niemeyer à Belo Horizonte... et tant d'autres personnages dans tant d'autres villes et autres pays.
Il n'est pas facile de faire le résumé d'un tel ouvrage... il y a tellement à dire et la structure narrative est si dense, si riche et d'une certaine façon si "originale", qu'il est impossible d'en dire plus que ce que je viens d'en dire, sauf à recopier le bouquin.
Eric Dupont écrit très, très bien, et il maîtrise ses sujets à la perfection.
Après lecture, vous n'ignorerez plus rien du lilas, de son histoire, de sa nature, de tout ce qu'il véhicule comme histoire, comme croyances, comme symboles, comme superstitions...
Et tous les thèmes traités par l'auteur le sont avec un travail en amont qui mérite qu'il soit mentionné et salué.
Les personnages sont pour l'essentiel des femmes... fortes. Les hommes ne sont que de pâles figures d'un patriarcat, et si ces figures occupent dans ce livre des places secondaires, c'est parce que ou les femmes s'emparent de leur destin et s'assument, ou parce que leur comportement héroïque face à la figure du mâle dominateur relègue ce dernier à l'état de bourreau, d'oppresseur... de perdant.
Vous l'aurez compris, le message est éminemment féministe et totalement politique. L'histoire a, elle, d'incontestables vertus pédagogiques portées par la vision d'un écrivain lucide dans sa vision du monde, de son passé, de son présent et de son (in)-vraisemblable devenir.
Un seul regret, cette dystopie socialisante en fin d'histoire dans l'ex petit bourg marxiste fictionnel de Notre-Dame-Du-Cachalot.
Dans ce roman foisonnant,
Eric Dupont a tellement voulu bien faire que cette allégorie d'un capitalisme caricaturé à l'excès, est précisément trop caricaturale, et l'auteur qui, tout au long de son bouquin, se "joue" du lecteur comme d'un prestidigitateur maîtrisant son art à la perfection, finit par bâcler son dernier tour.
Sinon... un livre excellent d'où l'humour et quelques formules bien pensées sont un plus dans une oeuvre qui n'en manque pas.
Quelques extraits :
- J'étais la seule à considérer la lecture comme un miracle. Comment appeler autrement cette capacité qu'ont les lettres noires à jeter sous les yeux de l'enfant un paysage, une ville, un monde ?
- Je maudissais la nonchalance avec laquelle il réglait son compte à l'existence. Il était capable de transformer la seconde en siècle, le furtif en toujours...
Si elle n'avait pas été coupée de ses sentiments dès l'enfance, d'une manière aussi sèche et brutale que le fut le petit George W. Bush de son intelligence...
-Dans le langage architectural de Niemeyer, ces surfaces planes et propres permettent justement d'isoler les tours d'habitation de l'ensemble urbain, forçant le spectateur ç s'arrêter et à s'étonner. Il n'est pas rare de trouver en ces lieux des sacs-poubelles que les habitants les plus incivils des tours jettent de leur fenêtre, et, au fil du temps, surtout pendant les années où le jotaca accueillait des âmes tourmentées qui évoluaient dans les milieux criminogènes, les corps de ceux qui avaient trouvé dans une ultime chute de nombreux étages la solution aux maux qui les accablaient. Ces plates-formes vides, désertées, noires et parsemées de déchets permettent à chacun des cinq mille résidents des deux tours d'envisager un suicide propre et sûr pour les autres. Grâce à ces aires bétonnées, personne ne risque en sautant du 9e ou du 20e étage, de tuer dans sa chute un passant qui a fait le choix de vivre, un moyen ingénieux que l'architecte a trouvé pour éviter la mutualisation des souffrances individuelles.