Toujours dans mon obsession de
Duras, ce livre était le prochain gros ouvrage de ma visée. J'en avais bien entendu parler de multiples fois, mais toujours sous un signe d'étrangeté, et je voyais bien la récurrence qu'il avait dans l'Oeuvre de son auteure, et donc son importance. Je le possède depuis de très nombreux mois, mais j'ai toujours été quelque peu effrayé pour me lancer à sa découverte. Je me suis décidé car je compte l'étudier pour un mémoire de recherche (entouré d'autres oeuvres de l'auteure), il fallait donc bien que je m'y mette un jour où un autre, presque dos au mur. Je me suis alors lancé dans une aventure absolument étouffante de dénonciations et de prises de position. D'un côté, le monde de la mendiante de Calcutta, de la lèpre, de la faim et de la chaleur ; de l'autre côté, le monde des diplomates, dans le désir, l'oisiveté, la mondanité et le rafraichissement. Il y a en ce livre des figures récurrentes dans l'oeuvre de
Marguerite Duras, tant immatérielles qu'humaines : le désir, Anne-Marie Stretter, Michael Richard, le Gange… Il y a en ce roman bon nombre de choses très intéressantes à analyser : il y a des digressions linguistiques, de ponctuation, narratives… le but de ce livre est de clairement déjouer les attentes des lecteurs et lectrices, car s'il y a bien un sens de lecture et de compréhension, rien n'a de fin, et tout est statuaire, comme figé, on assiste à des scènes qui servent à donner un mot d'ordre à l'ensemble, mais il ne faut pas comprendre cette oeuvre comme quelque chose avec un début et une fin. C'est un livre presque sociologique, où les personnages de différents milieux sociaux et différentes classes ne font que s'observer et se poser des questions par rapport à l'autre. Qui sont les gens qu'on observe en question ? Pourquoi la mendiante à l'air si heureuse, dans la chaleur étouffante de la nuit, à même le sol des fleurs, dans la lèpre, à chanter dans le Gange ? se demandent les diplomates qui l'observent depuis leur fenêtre à l'ambassade. Pourquoi leur vie si flamboyante semble si solitaire, dans une réception festive et mondaine, à l'ambassade de France à Calcutta ? se demande la mendiante qui les observe depuis la rue. Tout est une question de classe, comme cela n'est qu'un prétexte pour conter les destins. Ces destins n'ont d'ailleurs rien de spécial, c'est une confrontation entre la pauvreté qui frôle le bonheur d'absence et la convenance du statut qui complique tout. Il y a également beaucoup de désirs, dans ce livre, et j'ai trouvé très forte cette figure d'Anne-Marie Stretter, qui reste si mystérieuse alors qu'on connait toute sa vie, et qui représente tout ce qu'il y a de plus charnel mais en même temps de réservé. Tout gravite autour d'elle, même la mendiante de Calcutta, elles se connaissent, et en même temps non. La mendiante reste sur le côté, mais elle est importante également ; elles sont les deux pôles de cette histoire qui n'a ni début ni fin. C'est, je pense, pour cela que je n'ai pas réussi – en haut de cet article – à disposer de sous-genres convenables pour ce roman, car il n'en a pas. Et je n'ai su écrire de mise en situation, j'ai dû disposer de la quatrième de couverture puisque je ne saurais absolument pas résumer ce texte, et je ne saurais pas dire de quoi il parle. Parce que tout est déjoué, toutes les attentes des lecteurs sont fichées et disparues : de
l'amour qui reste statuaire, des désirs qui ne sont que très rarement exaucés, des personnages qui restent inactifs, des horreurs faites par
le vice-consul de France à Lahore qui ne seront résolus, des destins immobiles.
Au gré de ce roman qui n'a ni début ni fin, les caractères se dévoilent. Anne-Marie Stretter qui représente le désir, la mendiante qui statue dans le délire : voici les deux pôles de lecture du roman. C'est une confrontation entre les classes et milieux, mais en même temps… ce n'est rien de tout cela. C'est au fil des actions que l'on se rend compte que c'est un portrait immobile que nous dresse l'auteure. {19}
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