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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Longtemps, Jean Dutourd n'a été pour moi que l'auteur de chroniques publiées dans la presse, chroniques que je trouvais invariablement pontifiantes et réactionnaires. Autant dire que me plonger dans l'un de ses romans n'allait vraiment pas de soi.
Pourtant, après un été marqué par de médiocres lectures que je ne prendrai pas la peine d'évoquer ici, Au Bon Beurre m'est tombé entre les mains. Je n'en connaissais jusqu'alors que la réputation, et il me semble bien avoir vu jadis l'adaptation télévisée d'Edouard Molinaro.
L'histoire retrace dix ans de la vie des époux Poissonard, crémiers de la rue Pandolphe à Paris, depuis la débâcle militaire de 1940 jusqu'au début de 1950. Aussi ingénieux que dénués de toute morale, les Poissonard ne tardent pas à comprendre que l'Occupation et ses difficultés représentent pour eux la possibilité d'un enrichissement inespéré. L'amour de l'argent remplit toute leur vie. Il ne les fait reculer devant aucune compromission, depuis les premières combines improvisées jusqu'au marché noir érigé en système, en passant par toutes les escroqueries imaginables, un opportunisme à toute épreuve et quelques délations pour faire bonne mesure. C'est drôle, très cruel, et d'un cynisme décapant. J'ai été étonné d'apprendre dans la préface que Dutourd avait été soupçonné, lors de la parution de son livre, de nourrir une secrète sympathie pour son couple de personnages. Il est vrai qu'à l'époque (1952), le sujet était encore tout frais dans les mémoires, et sans doute assez dérangeant. Aujourd'hui, il me semble que les doutes sont dissipés de ce côté-là: les Poissonard ne font qu'aller crescendo dans l'abjection la plus époustouflante. La joie de l'auteur se sent à chaque page, mais cette jubilation du conteur à dépeindre la noirceur d'âme ne s'accompagne d'aucune complaisance. En ce sens, Dutourd peut se targuer d'avoir magistralement réussi à créer des personnages qui dépassent le cadre de son roman pour incarner un des archétypes possibles de l'ordure humaine.
Je ne soutiendrai pas qu'Au Bon Beurre constitue un chef d'oeuvre de la littérature du XXème siècle. Les procédés y sont parfois trop appuyés, et certaines ficelles un peu grosses. La distanciation extrême du narrateur se montre très datée, avec un petit ton "sacha guitresque" qui peut crisper. Ces menus défauts n'ont pas suffi cependant à me gâcher mon plaisir de lecture. Dutourd possède au plus haut point l'humour corrosif du misanthrope, et a un incontestable talent pour saisir le grotesque accablant d'une situation ou d'un personnage.
Les Poissonard, toutefois, ne sont pas seuls à faire les frais de sa plume, et c'est peut-être la véritable origine des critiques lors de la sortie de son roman. Car on ne croise pas au long du livre que des profiteurs de guerre, des collabos de quartier ou des pétainistes bas du front: il y a aussi des résistants, et force est de constater que ces personnages-là ne sont guère plus héroiques que les autres, entre la ménagère crypto-gaulliste qui avance sans rire les arguments les plus absurdes pour prédire la défaite de l'Allemagne, ou le haut fonctionnaire qui a appris dans les allées du pouvoir à quel moment exact il faut retourner sa veste, sans oublier les FFI de la 25ème heure qui fleurissent sur les barricades d'août 44 (et parmi eux, naturellement, l'incontournable Poissonard lui-même). de tous les résistants, il n'y en a que deux à réellement s'engager: le premier, c'est Alphonse le communiste, mais Dutourd en fait un stalinien pur jus qui est bien plus effrayant que sympathique; le second, c'est Léon Lécuyer, personnage que l'on suit tout au long du livre et qui constitue l'antithèse exacte de Poissonard: honnête, intègre, patriote, etc, mais également prodigieux de niaiserie pendant les trois premiers quarts du roman. On sait aujourd'hui avec le recul que cette caricature de la Résistance n'est pas entièrement fausse. En 1952, par contre, nul doute qu'elle a dû faire grincer quelques dents...
Les programmes d'histoire enseignent désormais aux élèves de Terminale que la société française, au lendemain de la 2e Guerre mondiale, a cherché à refouler les traumatismes de l'Occupation et de la collaboration. C'est ainsi que s'est élaboré le résistancialisme, fiction collective par laquelle toute la France aurait été résistante ou secrètement acquise à la Résistance. La parution d'Au Bon Beurre en 1952, la polémique qui l'accompagne, son succès public, son prix Interallié,... : tout cela a en fin de compte le mérite de rappeler à quel point il est difficile de réduire la complexité d'une époque et d'une société à quelques idées générales.
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C'est frais (mais pas toujours), c'est gai (mais parfois très noir), c'est comme le lait ! Cette publicité d'il y a quelques années s'applique parfaitement à la crémerie des Poissonard, ce haut lieu de la rue Pandolphe durant les années 40. On y trouve de tout, même si c'est parfois un peu frelaté, et en plus on y rencontre un microcosme de la population française durant l'Occupation et le gouvernement de Vichy. A commencer par la famille Poissonard, qui en une décennie va se métamorphoser : pétainistes convaincus en 1940, accueillant à bras ouverts ces Allemands si « corrects », qui « quand (ils) nous auront montré la façon de se gouverner, quand ils auront fait de nous un peuple majeur et sérieux (ils) retourneront tranquillement en Allemagne » ainsi que le dit M. Lebugle, client assidu de la boutique ; nous les retrouverons patriotes et résistants quelques années plus tard, quand ils sentirons le vent tourner. Comme bien d'autres, me direz-vous, certes, mais la différence, c'est qu'entre-temps, ils auront amassé des millions, grâce à leur roublardise et leur opportunisme.

On adore les détester, et en même temps on est presque admiratifs devant leur sens de l'auto-justification : « Après tout, n'étaient-ils pas des commerçants, dont le métier était de vendre, même au marché noir ? ».

Heureusement on rencontre aussi des personnages plus sympathiques et notamment Léon Lécuyer, dit Lélé, dont le destin croisera à plusieurs reprises celui des Poissonard. Ce jeune homme de 26 ans s'évade de l'oflag où il est détenu, en Poméranie et va découvrir la vie, l'amour, et la politique en accéléré, lui qui ne connaissait que les études de lettres avant la guerre. Il parvient jusqu'à Paris, où il se cache chez sa mère, cliente de la crémerie, et sera dénoncé par Julie Poissonard. Mais il parviendra à rejoindre la France libre, où il parfaira son éducation sentimentale et politique, rejoignant la Résistance.
Cependant l'histoire de Léon m'a moins accroché que celle de la famille Poissonard, il est trop faible et influençable malgré ses grandes aspirations.

« Au bon beurre » est paru en 1952, c'est-à-dire peu après la fin des coupons de rationnement, et dans une période où le traumatisme de l'occupation était encore proche. Les caractères des uns des autres nous paraissent un peu outranciers maintenant, mais je pense que c'était voulu, Jean Dutourd a sans doute exorcisé de cette façon les démons qui rôdaient encore. J'ai vu l'adaptation de Molinaro, qui selon moi rend bien l'atmosphère du roman, Roger Hanin et Andréa Ferreol sont des Poissonard tout à fait abjects et crédibles !

Je pense qu'il faut lire ce roman en ayant vraiment en tête le contexte dans lequel il est paru pour en apprécier toute la saveur, si on est trop ancré dans l'ici et maintenant on risque de le trouver daté et lourdaud. Et ce serait dommage de passer à côté de cette gourmandise bien crémeuse !
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Voilà une histoire qui m'a beaucoup plu.
C'est désuet, caustique et rigolo, par moments. Les "héros", la famille Poissonnard sont une belle bande d'opportunistes mais, en même temps, on ne peut se décider à les détester. Même si leur comportement est parfois extrêmement choquant, prendre connaissances des trucs et astuces qu'ils mettent en oeuvre pour gagner de l'argent pendant que leurs voisins meurent presque de faim est vraiment amusant.
Ce qui est très étonnant dans ce récit, c'est que personne ne se rend compte de rien. Les clients du Bon Beurre se fournissent chez les Poissonnard et ne remarquent pas que leurs stocks semblent bien fournis pour les années 40. Les Poissonnard changent d'allégeance comme de chemise (ils soutiennent Pétain et ne pensent rien de mal des "Boches" avant de proclamer leur admiration pour De Gaulle) et cela ne choque personne, sauf peut-être la lectrice - qui a une meilleure mémoire que la clientèle du Bon Beurre et que la rue Pandolphe. Sans doute cet aveuglement est-il en partie responsable du succès commercial de Julie et Charles-Hubert ?
Un roman que je ne regrette pas d'avoir lu !
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Un bon roman dans l'ensemble. Jean Dutourd nous conte avec cynismes et un certains humour l'histoire d'une famille francaise qui pour s'enrichir pendant la seconde guerre mondiale sont prêt à tout.
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Jean Dutourd a toujours représenté pour moi l'archétype du réactionnaire, et qu'il ait été académicien n'y a rien changé… au contraire !
Cette méfiance et cette défiance à l'égard de l'homme m'ont toujours tenu éloigné de l'auteur.
Passionné de la Seconde Guerre Mondiale, et en particulier de tout ce qui touche à la Shoah et à la collaboration sous Vichy, je me suis laissé tenter par la vision qu'en a donné Dutourd dans son roman - Au Bon Beurre -, que je viens de lire à plus de 66 ans… comme quoi !
Et j'ai bien fait.
A sa manière, très "académicienne"... un peu m'atuvuiste, un peu chargée, un peu ostentatoire, J.D a réussi à écrire un bouquin plein d'un humour caustique, plein d'un cynisme sans concession, et surtout, plein d'une lucidité qui réussit à nous faire vivre l'histoire et le réalisme d'une époque qui a engendré le meilleur et surtout le pire.
Les 10 années de "débordements" du couple de crémiers incarnés par les Poissonard, ce sont les 10 années d'une certaine France d'alors… laquelle a donné naissance à celle qui a pris le relais et dont nous sommes les enfants et les petits enfants...
Force des personnages et des situations… qu'on aime ou pas Dutourd, son livre mérite d'être lu ou relu.
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Une belle écriture pour ce récit sur la collaboration durant la 2nde guerre mondiale. Cela décrit précisément le marché noir, le trafic, l'enrichissement de certains sur la misère des autres. A ce titre-là, il est intemporel.

Je suis rentrée facilement dedans et une fois embarquée, dur dur de le lâcher. J'ai beaucoup aimé le fait que les vies des différents personnages se croisent et se recroisent à différents moments de leurs vies.
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Voilà une injustice réparée. Mille fois, j'ai entendu parler de ce roman, mille fois s'est présentée l'occasion d'en voir le film sans aboutir. Il aura donc fallu que Jean Dutourd nous quitte, pour qu'après « la grosse tête » qui m'a tant fait rire, j'en découvre l'écrivain.

Dans au « bon beurre », nous découvrons Paris sous l'occupation, et plus particulièrement une certaine France, celle qui s'est enrichit du malheur des autres. Rien de nouveau, me direz-vous !!!! Cela a toujours existé, et hélas, c'est on ne peut plus vrai encore de nos jours. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, le filon n'est spas près de se tarir….hélas…

Le couple Poissonard, crémiers de son état, ne tardera pas à comprendre comment s'y prendre pour se remplir les poches : marché noir, fraude, vol, délation, dissimulation. Non content de cela, il poussera le vice jusqu'à « finasser » avec l'ennemi, faire du lèche-bottes auprès du Maréchal…..
Bref des gens pas très fréquentables. Les temps ont changés, mais des Poissonard, il en existe des milliers de nos jours. On les croise aussi bien dans son monde professionnel, dans sa vie de tous les jours. Et oui, que ne ferait-on pas pour grappiller un petit quelque chose, obtenir une petite faveur, une promotion, un avancement, une nomination……

« On a tout intérêt à se tenir peinard »

Outre le fait de dénoncer, très peu de temps après la fin de la seconde guerre, une certaine société de cette époque, Jean Dutourd l'a fait avec beaucoup d'humour, mais ans aucune complaisance. de plus son roman est d'une incroyable modernité, puisque 60 ans après sa publication, il pourrait sans aucun problème être transposé à notre époque. Ce livre est remarquablement écrit.

J'ai donc beaucoup apprécié la lecture de ce livre, mais, je ne peux en faire un coup de coeur dans la mesure où la fin, m'a déçue. En effet, j'attendais autre chose. Je m'attendais à ce que justice soit faite ; j'aurais voulu que, comme il est souvent dit dans le livre « tout se paye dans la vie, tout se paye !... »




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Un bon moment !
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Ayant adoré le série télévisée, j'ai beaucoup aimé le livre pour constater les comportements humains dans un contexte de guerre, d'occupation et de pénurie alimentaire.
Les sentiments les plus bas des mieux lotis, et les faiblesses des pauvres gens victimes du contexte de la seconde guerre mondiale.
Très bonnes descriptions du regretté Jean Dutourd.
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Aoutch, le français moyen va se reprendre une fessé , comment l'humain profite du malheur des autres pendant une période des plus noir de l'histoire mondiale, et française par la même occasion?
Jean Dutourd dépeint ici parfaitement un couple d'enfoiré moyen, comment profité, s'enrichir sur le dos des autre, changer de bord des que le vent commence a tourner. Ou comment la seconde guerre mondial a réussi a faire surgir les plus noir desseins chez certain.
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