Un point essentiel, cependant. Si quelques hommes meurent à la guerre, c'est faute d'hygiène. Car ce ne sont pas les balles qui tuent, c'est la malpropreté qui est fatale et qu'il vous faut d'abord combattre. Donc lavez-vous, rasez-vous, peignez-vous et vous n'avez rien à craindre.
Or on ne quitte pas cette guerre comme ça. La situation est simple, on est coincés : les ennemis devant vous, les rats et les poux avec vous et, derrière vous, les gendarmes.
(Puis), s'arrêtant aussi net qu'il avait surgi, le grondement enveloppant du vent a soudain laissé place au bruit qu'il avait jusqu'ici couvert : c'était en vérité les cloches, qui venant de se mettre en branle du haut de ces beffrois, sonnaient à l'unisson dans un désordre grave, menaçant, lourd et dans lequel, bien qu'il n'en eu que peu d'expérience car trop jeune pour avoir jusque-là suivi beaucoup d'enterrements, Anthime a reconnu d'instinct le timbre du tocsin - que l'on n'actionne que rarement et duquel seule l'image venait de lui parvenir avant le son.
Le tocsin, vu l'état présent du monde, signifiait à coup sûr la mobilisation.
Tout y est dans ce court texte de 125 petites pages : du tocsin de la mobilisation au retour des blessés à la vie civile.
Un condensé de guerre, comme le titre : "14", servi par de grandes phrases rythmées et essentielles.
100 ans après, ce livre respecte ce qu'ils ont vécu, de manière moderne.
Mais il est vrai que parmi les aveugles on croise moins souvent de bouchers que de pianistes.
Le sac ne pesait d’abord, vide, que six cents grammes. Mais il s’alourdirait vite par un premier lot de fournitures réglementaires, soigneusement réparties et consistant en matériel alimentaire - bouteilles d’alcool de menthe et substitut de café, boîtes et sachets de sucre et de chocolat, bidons et couverts en fer étamé, quart en fer embouti, ouvre-boîte et canif, - en vêtements - caleçons court et long, mouchoirs en coton, chemises de flanelle, bretelle et bandes molletières -, en produits d’entretien et de nettoyage - brosses à habits, à chaussures et pour les armes, boîtes de graisse, de cirage, de boutons et de lacets de rechange, trousse de couture et ciseaux à bouts ronds -, en effets de toilette et de santé - pansements individuels et coton hydrophile, torchon-serviette, miroir, savon, rasoir avec son aiguisoir, blaireau, brosse à dents, peigne - ainsi qu’en objets personnels - tabac à rouler, allumettes et briquet, lampe de poche, bracelet d’identité à plaques en maillechort et aluminium, petit paroissien du soldat, livret individuel.
Tout cela semblait déjà pas mal pour un seul sac mais n’empêchait nullement qu’ensuite on arrimât sur lui, à l’aide de sangles, divers accessoires échafaudés. Au sommet, d’abord, sur une couverture roulée surmontant une toile de tente avec mâts, piquets et cordeaux incorporés, trônerait une gamelle individuelle - basculée pour obvier à l’ entrechoc avec la tête-, à l’arrière un petit fagot de bois sec pour la soupe au bivouac serait calé sur une marmite fixée par une courroie remontant sur la gamelle et, latéralement, pendraient un ou deux outils de campagne sous leur housse en cuir - hache ou cisaille, serpe, scie, pelle, pioche ou pelle-pioche, au choix - ainsi qu’une vache à eau et une lanterne sous son étui de transport en toile. L’ensemble de cet édifice avoisinerait alors au moins trente-cinq kilos par temps sec. Avant qu’il ne se mette donc à pleuvoir.
Inconfortable et qui glissait tout le temps, sans parler des migraines provoquées, la cervelière n'a pas connu un franc succès : on a de plus en plus omis de la porter, ne l'utilisant plus bientôt qu'à des fins culinaires, pour se faire cuire un oeuf ou comme assiette d'appoint.
Les épargnés se sont relevés plus ou moins constellés de fragments de chair militaire, lambeaux terreux que déjà leur arrachaient et se disputaient les rats, parmi les débris de corps çà et là - une tête sans mâchoire inférieure, une main revêtue de son alliance, un pied seul dans sa botte, un œil.
Or on ne quitte pas la guerre comme ça.La situation est simple,on est coincés:les ennemis devant vous,les rats et les poux avec vous et,derrière vous,les gendarmes.
Ne fût-ce qu'à cause de ces deux-là, le pou, le rat, obstinés et précis, organisés, habités d'un seul but comme des monosyllabes, l'un et l'autre n'ayant d'autre objectif que ronger votre chair ou pomper votre sang, de vous exterminer chacun à sa manière - sans parler de l'ennemi d'en face, différemment guidé par le même but -, il y avait souvent de quoi vous donner envie de foutre le camp.