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C'est alors qu'après les trois premiers obus tombés trop loin, puis vainement explosés au-delà des lignes, un quatrième percutant de 105 mieux ajusté a produit de meilleurs résultats dans la tranchée : après qu'il a disloqué l'ordonnance du capitaine en six morceaux, quelques-uns de ses éclats ont décapité un agent de liaison, cloué Bossis par le plexus à un étai de sape, haché divers soldats sous divers angles et sectionné longitudinalement le corps d'un chasseur-éclaireur. Posté non loin de celui-ci, Anthime a pu distinguer un instant, de la cervelle au bassin, tous les organes du chasseur-éclaireur coupé en deux comme sur une planche anatomique, avant de s'accroupir spontanément en perte d'équilibre pour essayer de se protéger, assourdi par l'énorme fracas, aveuglé par les torrents de pierres, de terre, les nuées de poussières et de fumée, tout en vomissant de peur et de répulsion sur ses mollets et autour d'eux, ses chaussures enfoncées jusqu'aux chevilles dans la boue.
Or on ne quitte cette guerre comme ça. La situation est simple, on est coincés : les ennemis devant vous, les rats et les poux avec vous et, derrière vous, les gendarmes. La seule solution consistant à n'être plus apte, c'est évidemment la bonne blessure qu'on attend faute de mieux, celle qu'on en vient à désirer, celle qui (voir Anthime) vous garantit le départ, mais le problème réside en ce qu'elle ne dépend pas de vous. Cette bienfaisante blessure, certains ont donc tenté de se l'administrer eux-mêmes sans trop se faire remarquer, en se tirant une balle dans la main par exemple, mais en général ils ont échoué : on les a confondus, jugés puis fusillés pour trahison. Fusillé par les siens plutôt qu'asphyxié, carbonisé, déchiqueté par les gaz, les lance-flammes ou les obus des autres, ce pouvait être un choix. Mais on a aussi pu se fusiller soi-même, orteil sur la détente et canon dans la bouche, une façon de s'en aller comme une autre, ce pouvait être un deuxième choix.
Mais dans l’ensemble, tout le monde souriait avec confiance puisque tout cela serait à l’évidence très bref, on allait revenir vite […].
Un regard, le plus court et le plus long possible. Se forçant à le charger du moins d'expressions disponibles tout en en suggérant le maximum.
A force d'avancer les uns contre les autres [soldats Allemands et Français], jusqu'à se retrouver sans plus pouvoir, de part et d'autre, étendre ses positions, il devait arriver que cela se figeât en face-à-face : ça s'est figé dans un grand froid, comme si celui-ci gelait soudain le mouvement général des troupes, sur une longue ligne allant de la Suisse à la mer du Nord. C'est quelque part sur cette ligne qu'Anthime et les autres se sont retrouvés paralysés, cessant de bouger pour s'engluer dans un vaste réseau de tranchées reliées par des boyaux. Tout ce système, en principe, avait été d'abord creusé par le génie mais il a aussi et surtout fallu le creuser soi-même, les pelles et pioches qu'on portait sur le dos n'étant pas là pour décorer latéralement le sac. Ensuite, en essayant chaque jour de tuer un maximum de ceux d'en face et de gagner un minimum requis de mètres au gré du commandement, c'est là qu'on est enfouis. (p. 65-66)
Or on ne quitte pas cette guerre comme ça. C'est la bonne blessure qu'on attends, faute de mieux, celle qui vous garantit le départ, mais le problème réside qu'elle ne dépend pas de vous. Cette bienfaisante blessure, certains ont tenté de se l'administrer eux-mêmes en se tirant une balle dans la main, mais en général ils ont échoué : on les a jugés,puis fusillés pour trahison. Mais on a aussi pu se fusiller soi-même, orteil sur la détente et canon dans la bouche, une façon de s'en aller comme une autre.
Tomber un beau jour ,par hasard,sur une oie déboussolée changeait un peu de la soupe froide,du singe en boîte et du pain de la veille_le vin n'étant plus un problème car à présent largement distribué par l'intendance avec l'eau-de-vie, dans l'idée de plus en plus cultivée par l'état-major selon laquelle enivrer le soldat concourt à amplifier son courage et,surtout, diminue la conscience de sa condition.
Les rues désertes étaient jonchées de choses diverses et dégradées : on pouvait trouver là, par terre et qu'on ne ramassait pas souvent, des cartouches non tirées laissées par une compagnie momentanée, du linge épars, des casseroles sans poignée, des flacons vides, un acte de naissance, un chien malade, un dix de trèfle, une bêche fendue.
...le pou , le rat, obstinés et précis, organisés, habités d'un seul but comme des monosyllabes, l'un et l'autre n'ayant pour objectif que ronger votre chair ou pomper votre sang, de vous exterminer chacun à sa manière...
Cependant, tandis que l'orchestre tenait sa partie dans le combat, le bras du baryton s'est vu traversé par une balle et le trombone est tombé, très mauvaisement blessé : le rond s'est resserré d'autant et, quoique en formation restreinte, les musiciens ont continué de jouer sans la moindre fausse note, puis comme ils reprenaient la mesure où se lève l'étendard sanglant, la flûte et l'alto sont tombés morts.