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sur 848 notes
Emile Zatopek fut à la fois un coureur qui domina l'athlétisme après guerre, un officier tchèque héros du socialisme soviétique, puis un dissident condamné aux travaux forcés après le printemps de Prague.

Jean Echenoz rappelle le contexte troublé dans lequel grandit Emile qui subit l'annexion de sa patrie par le III Reich, puis l'occupation par l'armée rouge et décrit l'ascension de cet autodidacte au physique extraordinaire.

Une biographie à la gloire d'un homme discret, simple, modeste qui souffrit d'être encensé durant la décennie où il domina le sport mondial. Une évocation d'une époque où le fric n'avait pas mis la main sur le sport pour en faire un jeu ou un spectacle.

Une lecture saine en cette période d'olympiades !
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Lorsque les Allemands envahissent la Moravie, Emile a dix-sept ans et, tout en poursuivant ses études de chimie, travaille comme ouvrier dans les poussières et la puanteur de l'usine Bata à Zlin. Lui que le sport rebute doit participer à la course à pied annuelle organisée à des fins promotionnelles par son entreprise, puis, propagande nationale-socialiste oblige, au cross-country de la Wehrmacht. Il est le premier surpris d'y prendre un certain plaisir, mais, surtout, de se classer sans effort en tête des coureurs. Il décide de s'entraîner, commence à gagner ses premières courses nationales et, la guerre finie, s'attaque à des compétitions mondiales où, dans un style chaotique totalement atypique, il se montre bientôt invincible, accumulant les titres et faisant tomber les records mondiaux toutes distances confondues : Zatopek est devenu le nom le plus célèbre de l'histoire de l'athlétisme.


Mais le rideau de fer s'abat sur l'Europe de l'Est, enfermant la Tchécoslovaquie et son illustre athlète dans l'hermétique périmètre soviétique. Lorsque, exceptionnellement, il est autorisé à en sortir, c'est sous l'étroit contrôle d'officiels qui lui dictent mots et gestes, tout en usant de ses exploits inégalés et de son aura héroïque à des fins de propagande. Il flirte encore quelque temps avec les sommets, avant de commencer à raccrocher. Son soutien au Printemps de Prague précipite sa disgrâce. Envoyé comme manutentionnaire dans la terrible mine d'uranium de Jachymov où s'abrège la vie des opposants politiques, le grand Zatopek redevenu minuscule Emile sera autorisé à finir éboueur à Prague, avant, trop visible encore puisqu'on le reconnaît dans la rue, de se retrouver relégué obscur archiviste.


Cette boucle de vie, partie de rien et revenue à rien après avoir tutoyé les sommets, inspire ici à Jean Echenoz, non pas un simple récit d'inspiration biographique, mais une oeuvre originale et romanesque qui, effaçant dates et chiffres, s'attache à transformer en abstraction le personnage historique ressuscité par le travail de documentation. Cet homme ordinaire qui n'a « l'air de rien », mais qui, toujours « l'air de rien », se montre capable de tout, l'écrivain l'appelle simplement Emile, avec un e ajouté qui parfait le concept générique. Son patronyme n'apparaît dans le récit que tardivement, lorsque « ce nom de Zatopek qui n'était rien, qui n'était rien qu'un drôle de nom, se met à claquer universellement » et que cela lui fait tout drôle de le voir imprimé dans les journaux, tel une « nouvelle identité publique » que la foule scande « sur tous les tons, comme pour l'en informer » et que la propagande lui vole avant de tenter de le détruire.


Sans esbroufe mais en y jetant toutes ses forces, de son pas bizarre qui le fait ressembler à « une mécanique détraquée, disloquée », ne faisant « rien comme les autres » au point d'avoir l'air de faire « n'importe quoi », l'Emile du récit n'en trace pas moins sa route, fort d'une liberté d'être lui-même que rien ni personne ne parvient jamais à lui enlever. Débarrassé de toute idéalisation héroïque, il devient une figure forte et symbolique que l'on accompagne conquis par le regard distancié et le ton délicieusement léger et ironique d'un texte qui boucle la boucle comme le coureur ses tours de piste et l'existence son tour de roue. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Forrest Gump, ça vous parle? Mais si, le gars qui court tout le temps et qui part dans des délires avec les crevettes, vous savez. Bon, pas grave parce que ça n'a aucun rapport avec le Courir de Jean Echenoz, si ce n'est qu'on parle d'un gars qui court aussi. Et qui court en traversant l'Histoire de son pays. Mais qui se fout royalement des crevettes.

Ce gars c'est Zatopek. Emile de son ptit nom. Né en 1922 en Tchécoslovaquie. Et naître dans la Tchécoslovaquie du XXème siècle, on ne peut pas dire que ça démarre comme un conte de fées. Donc rien ne le prédestinait à devenir un des plus grands  athlètes de l'histoire du sport. Mais le destin réserve parfois des surprises.

Emile, il n'est pas contrariant. On le met à trimer dans l'usine Bata, il dit ok. On le change de poste quand ça arrange la hiérarchie, il dit ok. On lui dit tu vas courir contre une sélection aryenne surentrainée, il dit ok. On lui propose de servir son pays et d'entrer dans l'armée tchèque, toujours ok. Pas contrariant le gars, je vous assure. 
Mais, dans ce même temps, Emile s'aperçoit qu'il adore courir en fait. Ça en devient même une obsession. Courir, se surpasser et s'entraîner dès que possible.
Et à galoper comme un lapin par tous les temps et tous les chemins, il finit par se faire remarquer. Pas par son style, il ressemble davantage à un pantin désarticulé qu'à un Usain Bolt majestueusement sculpté (qu'était même pas né çui-la de toute façon) mais par son endurance et sa vitesse. 5, 10, 20 kilomètres ou marathon, même pas mal. Il vous court ça tranquille le Emile, fingers in the nose.
Cours Emile, cours.

Compétitions locales, européennes, internationales, Jeux olympiques : les records du monde sont pulvérisés. On le surnomme alors la locomotive tchèque, juste parce que le Concorde et le TGV n'existent pas encore. Il laisse ses concurrents sur place, à cracher leurs poumons dans son dos, pendant que lui s'envole sur le toit de l'Europe et du monde.
En revanche, il ne fait toujours pas ce qu'il veut. Car en pleine guerre froide et rideau de fer bien enraciné, c'est le gouvernement tchèque qui décide pour lui de ses compèts, si oui ou non il ira ou pas courir ici ou là-bas. Et Emile ne se rebelle pas, il accepte. Pas contrariant le bonhomme on vous dit.

Jean Echenoz nous retrace quelques moments de cette vie hors du commun. Ce n'est pas une biographie à proprement parler car il s'attarde uniquement sur la carrière sportive de Zatopek, en la mettant en relation avec l'actualité et le contexte politique de l'époque. L'histoire de Courir court (arf arf) sur une trentaine d'années en démarrant avec l'invasion de la Moravie par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale pour se terminer avec celle de la Tchécoslovaquie par les Russes fin des années 60.
De l'auteur, j'avais déjà aimé Ravel dans le même genre. Bon, il ne courait pas Maurice, faute de temps avec son Boléro à composer, mais l'écriture était assez semblable. Très accessible, fluide et légèrement teintée d'humour, on suit avec plaisir et sans grand effort l'épopée de ce grand athlète.

Et à en croire Gump mère : "la vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber". Donc Zatopek, lui, a chopé tous les bons chocolats au début de sa suprématie sportive, mais il s'est quand même enfilé un bon paquet d'indigestes ensuite (certainement ceux à la liqueur, ceux qui dégoulinent sur le menton) au vu de sa difficile après-carrière qui conclut le récit.
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Voilà un petit bonheur offert par la littérature!

Avec Courir, Jean Echenoz nous dresse un portrait tout en subtilité du coureur multi-champion de course à pied, Emile Zatopek.
Le personnage est sympathique, étonnant, voire ahurissant dans ses records battus, et semble toujours repousser la limite de ses exploits, "l'air de rien", comme par hasard!...

Mais le "plus" magistral de cette biographie, c'est l'écriture! Si Zatopek a fourni une matière qui incite à l'empathie, c'est surtout la façon d'en parler d'Echenoz qui fait toute la différence avec une biographie ordinaire: sous la narration informative, il y a toute l'ironie subtile de l'auteur, la finesse de son analyse et la fluidité de ses phrases. Il a le talent de faire couler les mots en donnant l'impression qu'on aurait pu les écrire nous-mêmes... alors que non!!!
L'air de rien, comme s'il nous racontait l'histoire de vive voix et qu'il nous faisait alors un clin d'oeil, il donne à sourire sur les aberrations des dictatures staliniennes, les incohérences des anciens régimes du "bloc de l'est".

J'avais déjà beaucoup aimé Ravel, du même auteur. Je me suis régalée avec Courir. J'ai hâte de découvrir Des éclairs!...
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Quel bonheur que de lire ce court récit de Jean Echenoz, sur l'immense coureur de fond qu'était Emile Zatopek, la locomotive tchèque. Après le poussif et trop philosophique "Courir", essai homonyme, de Guillaume le Blanc, j'ai enchaîné ces 150 pages avec une grande aisance, un réel plaisir, une envie comblée.

Emile, jeune ouvrier travaillant à l'usine de chaussures Bata est encouragé à courir sur le tard (fin de l'adolescence) et se découvre un talent inouï pour les distances de demi fond (5000 et 10 000 m). Il se met à tout gagner, puis continue à participer à des courses organisées pour les championnats militaires lors de son service puis lorsqu'il fera carrière dans l'armée, cette dernière étant trop heureuse d'avoir en son sein un champion très prometteur. Il gagnera tout par la suite, devenant un des plus grands champion Olympique de tous les temps.

Le récit mêle les exploits sportifs hallucinants de cette bête de somme qu'est Emile, coureur sans classe et au style abominable mais qui brise tous ses concurrents sur la distance par ses ruptures de rythme et sa force surhumaine, avec les événements survenus en république tchèque durant la guerre froide. On y découvre au delà de la simplicité du champion, toutes les difficultés qu'il a pu rencontrer pour participer aux courses internationales (autorisations délivrées ou non par l'état major soviétique). On est enfin terrifié par le destin tragique et absurde du coureur broyé par les russes qui réprimèrent les acteurs, les plus illustres comme les plus anodins, du printemps de Prague.

La prose de Jean Echenoz est simple et efficace, directe, sans chichi. Il touche au but, tout simplement.

Février 2014
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Il court, il court, Émile !
Émile court, court. Vite, très vite. Il accumule les titres et les records. Une vraie machine !
Son palmarès et son style de course lui valent le surnom de "locomotive tchèque".

Deuxième des trois courtes biographies écrites par Jean Echenoz, Courir reprend la recette gagnante de Ravel : un portrait brossé par petites touches, original et plein d'humour.
Émile − Emil en fait, puisqu'il s'agit d'Emil Zátopek − est une sorte d'athlète d'état : dans la Tchécoslovaquie communiste, il sert de modèle, on l'exhibe comme un animal de foire. On contrôle sa carrière. Ses victoires contribuent au prestige du régime en place.
De façon empirique, Émile met au point de nouvelles méthodes d'entraînement et de course. Il invente la technique du fractionné, utilisée aujourd'hui par les athlètes du monde entier et devient le spécialiste du sprint final.
À côté de sa carrière sportive, Émile est citoyen d'un pays communiste, ce qui entraîne des contraintes pas toujours simples à gérer : il est parfois interdit de déplacements à l'étranger, et à d'autres moments contraint de participer à certaines épreuves pour la gloire de la patrie.
Il est utilisé voire exploité et a finalement encore moins de droits qu'un simple citoyen. Il paiera très cher son soutien à Alexander Dubček lors du Printemps de Prague.

Sport et Histoire imbriqués dans un récit impeccablement construit et plein de fantaisie : Courir est une vraie réussite.
Le chapitre sept qui relate la participation d'Émile au championnat des forces alliées en 1946 est à lui seul un petit bijou d'humour.

Instructif, distrayant, original et très bien écrit : que demander de plus ?
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Si le nom de Zatopek m'était familier, si je savais vaguement qu'il désignait un coureur à pied fameux, j'ignorais tout de l'homme, de ses exploits.
C'est chose réparée grâce au texte de Echenoz qui reconstruit le parcours hors-norme de cet athlète en s'appuyant sur le contexte historique de sa Tchécoslovaquie natale de l'occupation allemande, à la mise en coupe réglée par l'Union soviétique et des conséquences sur la carrière d'Emile.
L'auteur dresse un portrait très attachant de Zatopek qui se met à pratiquer la course à pied un peu par hasard, qui enchaine les exploits en toute modestie, qui accueille les remarques concernant son style avec tranquillité, qui s'engage lors du printemps de Prague contre la reprise en main russe et le paiera d'emprisonnement…
Le ton simple teinté d'ironie d'Echenoz nous transmet la sympathie qu'il porte au personnage, à son personnage. Pour ma part, c'est réussi.

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Dans son style direct et concis, Jean Echenoz nous entraîne dans la foulée d'un champion de course à pied.

Avec le contrechamp des changements géopolitiques de l'Europe après-guerre de 40, voici la carrière sportif d'un petit Émile*, véritable phénomène tchécoslovaque des pistes cendrées avec son style inimitable de forçat des courses. Venu au sport par hasard, porte-drapeau d'une idéologie communiste conquérante, objet de propagande et pépite d'or d'un régime, il va faire chavirer les stades pendant une dizaine d'années.

Je ne pensais vraiment pas être accrochée par ce type de sujet. C'est tout le talent de l'auteur de faire de la carrière d'un athlète un bel exercice littéraire, avec un petit ton décalé et une pointe d'humour. Sans délayage, en allant droit aux faits, un personnage de roman se crée dans le contexte difficile de la Guerre froide et du rideau de fer.
Il n'empêche que Jean Echenoz a dû effectuer un beau travail de documentaliste pour reconstituer cette carrière sportive brillante, complétée du destin en demi-teinte de l'homme dans l'appareil soviétique.


*Emil Zátopek surnommé La Locomotive ou le Tchèque bondissant, 18 records du monde entre 1946 et 1956.

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Quels talents ! Celui de Zatopek, bien sûr, légende éternelle de l'athlétisme mondial. Celui également d'Echenoz qui réussit le tour de force de nous offrir, le temps d'à peu près un marathon, la possibilité d'accompagner le phénoménal Emil dans ses courses glorieuses.
On y apprend que le souriant Emil fut très souvent le premier : premier médaillé d'or aux JO de l'athlétisme tchécoslovaque, premier (et je crois bien unique) à remporter trois médailles d'or sur 5000 mètres, 10000 mètres et marathon. Pendant une bonne dizaine d'années, tous les concurrents n'ont vu de lui que son dos. Il devint le premier homme à courir plus de vingt kilomètres en moins d'une heure.
Rien ne fut facile pourtant. Emil souffrait sur la piste, grimaçant sous l'effort, se contorsionnant pour vaincre la douleur et forcer la victoire. Sa vie, comme celle de ses compatriotes tchécoslovaques, ne le fut pas plus. Cette histoire débute avec l'invasion allemande de 1938 et se termine avec l'invasion russe de 1968, c'est aussi le talent de l'auteur de nous replonger dans ces années terribles.
« Les Allemands sont entrés en Moravie. Ils y sont arrivés à cheval, à moto, en voiture, en camion mais aussi en calèche, suivis d'unités d'infanterie et de colonnes de ravitaillement… ce n'est qu'une petite invasion éclair en douceur, une petite annexion sans faire d'histoire… »
« Les Soviétiques sont entrés en Tchécoslovaquie. Ils y sont arrivés par avion et en chars d'assaut… »
Après avoir tutoyé les étoiles, il devint éboueur. le printemps de Prague se terminait pour l'ancienne idole en automne glacial.
Ce destin hors normes et le style inimitable de Jean Echenoz font de ce court roman un pu régal.
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Quelle lecture grisante que ce petit livre, biographie romancée d'Emile Zatopek qui a battu, en son temps, tous les records de la course à pied !

En lisant, je le revoyais courir, à la TV en noir et blanc, gesticulant dans tous les sens, grimaçant, à tel point qu'on avait mal pour lui mais époustouflant car il arrivait toujours devant, toujours et loin devant !

Légèreté et ironie composent les phrases de Jean Echenoz. Zatopek s'anime, existe, court et on oublie qu'il a vécu sous un régime totalitaire qui broyait les hommes à tours de bras !

A lire, pour le plaisir des mots, pour découvrir ou retrouver Emile autrement que dans un documentaire froid ; pour se rappeler aussi que la Tchécoslovaquie a eu des temps difficiles et qu'elle a fini pas disparaître en nous laissant intact le souvenir d'un immense coureur !

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