Qui n'a pas vu passer en 2019 cette photo, largement relayée sur les réseaux sociaux et dans les médias, d'un embouteillage d'alpinistes à quelques pas du sommet de l'Everest, interpelant alors sur la fréquentation quasi touristique du site et soulevant la question de la préservation de cet environnement bien loin d'être sauvage désormais ?
C'est dans ce cadre et sur ce fond d'actualité que prend place le roman de
Silène Edgar 8848 mètres, qui raconte l'ascension de l'Everest par une adolescente – Mallory, jeune alpinisme prodige de 15 ans – et son père. Après un entraînement de plusieurs années à la haute montagne du duo père-fille, le roman s'ouvre sur le départ de l'expédition de leur petite équipe française. Avec une grande pédagogie et selon un découpage haletant, l'autrice entraîne le lecteur au rythme du planning millimétré du petit groupe d'aventuriers : comme eux il part du camp de base le 15 avril, pour accomplir l'assaut final vers le 23 mai, en passant par de nombreuses et périlleuses étapes, progressant ainsi d'une altitude de 5300 mètres jusqu'au sommet, culminant à 8848 mètres, allant de camp en camp, respectant des consignes précises, pas à pas, pour permettre au corps de s'acclimater aux conditions extrêmes et au manque d'oxygène. Rien n'est laissé au hasard. le lecteur semble avoir du mal à respirer lui aussi, à mesure qu'il progresse dans ce périple, captivant, et il mesure les incroyables dangers d'un tel défi, en compagnie, heureusement, d'alpinistes expérimentés avec qui il fera connaissance peu à peu. Les chapitres narratifs sont entrecoupés de pages à la manière d'articles de presse et interview, qui suivent l'exploit médiatisé de l'adolescente, « la plus jeune alpiniste française a avoir dépassé 8000 mètres », et complètent ce soucis de pédagogie et de clarté à destination du lecteur.
Outre la découverte très instructive de la réalisation concrète d'un tel périple (équipement et matériels, gestes, sécurité, conditions de vie, météo…), les portraits dressés de personnages aux psychologies et motivations diverses, les thématiques du dépassement de soi, de la solidarité, et le suspense qui s'instaure au fil du récit, le roman développe également des pistes de réflexions intéressantes et plus inattendues, en écho à l'actualité : la surfréquentation de l'ascension de l'Everest, la pollution scandaleuse par les alpinistes et la préservation du site, le rôle de l'État chinois et des populations locales dans cette organisation très encadrée, les traditions et croyances tibétaines et bouddhistes liées à la montagne. Pour autant, le roman se lit très facilement – il se dévore même – beaucoup d'actions, de messages et d'explications se font sous forme de dialogues entre les personnages, en progressant dans le récit, plutôt que de manière trop descriptive, professorale ou documentaire.
Le roman paraît dans la collection Ici / Maintenant chez Casterman, qui propose aux autrices et auteurs de s'aventurer dans un genre ou une forme de récit inhabituel pour eux, et c'est heureux, car 8848 mètres est sans doute l'un des meilleurs romans de
Silène Edgar.