De ce roman je ne connaissais que le titre, qui m'évoquait une psychose grandissante dans une Amérique huppée soumise à folie meurtrière d'un psychopathe tueur en série. A présent je peux le dire, j'ai fait la mystérieuse rencontre de Pat BATEMAN, et elle m'a posé plus de questions que prévu... Jeune et riche prodige de la bourse le jour, Pat tente désespérément de s'intégrer aux gens de pouvoir qu'il admire et même de les surpasser, mais des pulsions s'emparent de lui la nuit, dont toute la gigantesque folie s'exprime au-delà de vos pires cauchemars…
Au premier coup d'oeil, Pat Bateman ne semble pas être différent des autres jeunes de son âge, avec qui il travaille, sort, drague, se drogue, et flambe son argent de manière ostentatoire. Certes, celui qui se décrit comme une sorte d'Apollon prend un peu plus soin de son corps grâce à la muscu et une alimentation qui se veut saine. Certes, au fil des pages, il semble être un peu maniaque du détail : élégance vestimentaire, chaine hifi dernier cri, séduction à la chaine pour se rassurer, etc… Mais il s'est forgé une vie sociale qui rentre tout à fait dans le moule de cette jeunesse dorée, une personnalité qui, grâce à une parfaite maîtrise des codes sociaux : cartes professionnelles, habits de luxe, resto en vue etc.… devient tout aussi lisse que les autres. Rien ne dépasse.
Tellement que, finalement, plus rien ne le distingue des autres. Tout le monde d'un même milieu se conforme à une image et tout le monde se confond dans cette image : Au restaurant, était-ce untel ? Mais non c'était bidule. Mêmes fringues, mêmes coupes de cheveux, mêmes attitudes. Qui est qui ? Les gens se résument à ce qu'ils portent - et que Bateman ne cesse d'ailleurs d'énumérer, comme si le costume faisait la personne plus que n'importe quel autre élément. Pat Bateman se fait d'ailleurs souvent passer pour quelqu'un d'autre de plus important pour obtenir des réservations au restaurant. Mais s'il semble admirer ce qui brille et montrer sa réussite sociale, exercer son pouvoir, tout paraît dans le même temps lui paraître ennuyeux et vide de sens. Il ne semble pas trouver de sens à la vie, et cette vacuité le pousse à s'évader de plus en plus loin dans ses fantasmes. La pornographie rejoint bientôt la violence, qui déjà ne lui suffit plus et aboutit rapidement à des crimes de sang froid. Mais bientôt, même l'envie de sang ne suffit plus, et Pat Bateman le sanguinaire torture ses victimes encore conscientes pour finir pour en faire littéralement de la chair à pâté consommable…
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La plume désincarnée de l'auteur nous aurait-elle endormis...?
Là, on commence à se demander… Comment ne se fait-il pas prendre ? Comment transporte-t-il son ancien ami mort dans un sac de couchage sans se faire repérer ? Parfois, il parvient à se contrôler en société à l'aide de la drogue ou de calmants. Mais cela fait de moins en moins d'effet, et Pat Bateman rêve de répondre aux gens qu'il veut leur défoncer le crâne et leur arracher littéralement les yeux. Parfois il croit le dire, parfois il le dit. Mais personne ne le prend au sérieux. Etrangement, personne n'en a même réellement peur. Aucune réelle panique dans son entourage, même relativement aux séries de meurtres…
Et puis, l'ami qu'il est censé avoir tué réapparaît. Alors quoi ? Il a juste rêvé son meurtre ? Il fantasme ses crimes mais est « juste » fou ? Ou en a-t-il vraiment tué certains ? le doute s'immisce. On finit par se dire que, peut-être, Pat a simplement un problème psychologique mais n'est pas passé à l'acte, qu'il est juste potentiellement dangereux. Car, il le dit lui-même :
« Il existe une idée de Patrick Bateman, une espèce d'abstraction, mais il n'existe pas de moi réel, juste une entité, une chose illusoire et, bien que je puisse dissimuler mon regard glacé, mon regard fixe, bien que vous puissiez me serrer la main et sentir une chair qui étreint la vôtre, et peut-être même considérer que nous avons des styles de vie comparables, je ne suis tout simplement pas là. »
Peut-être même qu'il ne passera jamais à l'acte et a juste été insensibilisé par cette vie. Que, même s'il n'aime pas cette vie, il n'en voit pas d'autre possible, comme l'exprime la dernière phrase du roman :
« Au dessus d'une des portes, masquée par des tentures de velours rouge, il y a un panneau, et sur ce panneau, en lettres assorties à la couleur des tentures, est écrit : SANS ISSUE ».
L'interprétation métaphorique de ce roman :
Dans ce cas Pat Bateman ne serait plus totalement monstrueux, mais simplement humain, avec parfois des envies de meurtre face à des gens mortellement superficiels… Comme nous tous, parfois, non ? Et alors le récit ne serait plus celui d'un criminel froid et incapable de ressentir la douleur, mais au contraire le récit métaphorique d'un être douloureusement enfermé dans une société vide de sens qui ne le satisfait plus et dont il veut se libérer... « American psycho » serait alors ce syndrôme, ce tiraillement insoluble entre, d'un côté, cette prétention d'être unique au monde, et de l'autre, cette sensation d'être obligé de faire comme tout le monde, d'être comme tout le monde pour exister. Pire encore, "American Psycho" serait cette peur d'être noyé dans la masse, qu'elle nous engloutisse pour finir par ne plus exister... Sauf à faire voler les masques en éclats.
Cela expliquerait la plume de l'auteur qui exprime la froideur, le désintérêt de la vie décryptée de manière chirurgicale par Bateman avec ennui et mépris, plume qui se déchaine ensuite lorsqu'il est question de tailler dans le vif des gens qui constitue cette société, d'en faire ressortir l'horreur. Cette plume, qui peut paraître sans intérêt littéraire, reflète parfaitement le ressenti du narrateur, ce froid et ce mépris qui le gagnent et contre lesquels il lutte durant les scènes de crime - où il tue métaphoriquement cette société dans laquelle il est en train de se perdre.
« L'individualité n'a plus lieu d'être. Que signifie l'intelligence? Définissez ce qu'est la raison. le désir... un non-sens. L'intellect n'est pas un remède. La justice, morte. La peur, le reproche, l'innocence, la compassion, le remords, le gaspillage, l'échec, le deuil, toutes choses, toutes émotions que plus personne ne ressent vraiment. La pensée est vaine, le monde dépourvu de sens. Dieu ne vit pas. On ne peut croire en l'amour. La surface, la surface, la surface, voilà ce dans quoi on trouve une signification... C'est ainsi que je vis la civilisation, un colosse déchiqueté… »
D'ailleurs, seule Jean, son assistante, la moins superficielle de toutes les personnes qu'il connaît, finirait par trouver grâce à ses yeux et parvient à le toucher, à le faire presque revenir aux sensations humaines de la vie, à faire affleurer des sentiments humains depuis longtemps oubliés de Pat Bateman. Ce que l'on pensait être le récit d'un serial killer ressemble de plus en plus à la satire d'une société de consommation de masse et d'uniformisation ennuyeuse. Virage à 180°, quelle est la volonté de l'auteur ?
« Comment pourrait-elle donc comprendre que rien ne pourrait jamais me décevoir, puisque je n'attends plus rien ? »
Conclusion :
Selon moi, la plume est trompeuse et nous endort.
L'utilisation à plusieurs reprises de l'adverbe « plus rien » ou « plus personne », semble signifier comme un regret, un sentiment très humain. Ainsi au final, ce n'est peut-être pas l'histoire d'un tueur en série, mais peut-être plutôt l'histoire d'une société de consommation de masse qui peut rendre fou… Jusqu'au passage à l'acte ? Telle est la question.
« Je possédais tous les attributs d'un être humain - la chair, le sang, la peau, les cheveux - , mais ma dépersonnalisation était si profonde, avait été menée si loin, que ma capacité normale à ressentir de la compassion avait été annihilée, lentement, consciencieusement effacée. Je n'étais qu'une imitation, la grossière contrefaçon d'un être humain. »
Pat Bateman est-il juste un homme qui s'ennuie ? Un drogué qui hallucine et fantasme sa vie ? Un tueur potentiel ? Ou encore, un tueur avéré, selon vous ?
« le mal, est-ce une chose que l'on est ? Ou bien est-ce une chose que l'on fait ? Ma douleur est constante, aigüe, je n'ai plus d'espoir en un monde meilleur. En réalité, je veux que ma douleur rejaillisse sur les autres. Je veux que personne n'y échappe. Mais une fois ceci avoué - ce que j'ai fait des milliers de fois, presque à chaque crime -, une fois face à face avec cette vérité, aucune rédemption pour moi. Aucune connaissance plus profonde de moi-même, aucune compréhension nouvelle à tirer de cet aveu. »
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