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Un accident, un vaisseau qui s'écrase sur la Terre, une race extra-terrestre qui se retrouve sur notre planète et qui la domine. Les Hoots qui ont des difficultés à se déplacer sur notre sol, ont vite transformé les hommes (les Sams) et les femmes (les Sues) en montures. Comme des chevaux, Les hommes sont élevés dans des stalles avec lit, eau chaude et froide, nourriture, vêtements. Des races sont aussi sélectionnées par les envahisseurs : les Tennessees sont les plus fins et les Seattles les plus robustes.

« Vous serez libres. Vous aurez un lit. Vous aurez un robinet et une étagère. Nous vous complimenterons si vous faites les choses assez vite et si vous ne faites pas les difficiles. Nous masserons vos jambes et nettoierons vos pieds, à vous, à tous les Sams et à toutes les Sues, et vous, les Sams, vous avez intérêt à bien vous tenir. Vous nous appelez toujours extraterrestres, bien que nous habitions votre monde depuis des générations. D'ailleurs, pourquoi appeler étrangers ceux-là même qui vous ont apporté la santé et le bonheur ? Regardez comme nous nous complétons, vous et nous. Comme si nous étions faits l'un pour l'autre alors que nous provenons de mondes éloignés. »

Le roman débute trois cent ans après l'arrivée des extraterrestres. Nous suivons Charley, un jeune humain qui est destiné à devenir la monture du futur chef des Hoots « Son-Excellence-Vouée-À-Devenir-Notre-Maître-À-Tous. » Elevé dans l'amour des maîtres, il ressent un certain dégoût pour les autres humains, les Sauvages qui vivent en liberté dans les montagnes. Ceux-ci refusent de respecter les règles édictées par les Maîtres et surtout ils se reproduisent sans respecter la pureté des races…

« Je suis un Seattle. Nous sommes les meilleurs en termes de taille et de force, même si nous ne sommes pas aussi rapides que les Tennessee. Je veux être un bon Seattle. Je veux être le meilleur de tous. Dans mon ancienne écurie, au-dessus de mon étal, il était écrit : « SMILEY », et en dessous, « FILS DE MERRY MARY. Sera bon pour le trait, bon trotteur de longues distances et bon étalon. » Ils l'avaient écrit dans notre écriture et dans la leur. Je peux les lire toutes les deux. Je serai libre de me proposer pour n'importe quelle fille de Seattle. J'aurai peut-être même le choix. »

Dans son roman, Carol Emshwiller prend le parti de nous raconter son récit à travers les yeux du jeune Charley âgé de 11 ans. le style est naïf et manque d'impartialité car écrit à la première personne. En effet, notre héros est partie prenante pour les envahisseurs. On est tellement habitué à se tenir du côté des opprimés que l'on a du mal à s'immerger dans cette histoire. C'est assez déstabilisant mais on finit par comprendre que toutes ces années de domestications ont pu empêcher ces hommes de développer un intellect propre à la liberté.

« Ils n'arrêtent pas de dire que les seuls qui soient vraiment libres, c'est nous.« Où serions-nous sans vos fidèles et sûrs appuis ? » Et puis, ils battent des oreilles (c'est leur rire) tellement ils sont heureux de nous avoir. C'est facile à comprendre, que feraient-ils sans nous ? Dans leurs maisons, ils doivent se déplacer en se traînant sur de petits tabourets. Je n'aimerais pas ça du tout. Nous sommes vraiment les plus chanceux. »

Le rapport dominant et dominé prend toute sa valeur dans la deuxième partie du livre lorsque Charley rencontre son père, un sauvage qui veut libérer tous les hommes de la suprématie des Hoots. Entre la soif de liberté du père et le conformisme à outrance du fils, La Monture est un roman qui sort des sentiers battus et possède une force qui lui a permis de recevoir le prix Philip K Dick et la reconnaissance de la critique pour son originalité.

« Mais nous, les Sauvages, nous sommes revenus, nous nous reproduisons en secret dans les montagnes. Mon père dit qu'ils ne peuvent pas avoir la moindre idée de notre nombre. Il dit qu'ils ont perdu notre trace parce qu'ils n'aiment pas les collines, encore moins les montagnes. Ils ont besoin d'endroits plats et sans relief. »

Ce roman est un hymne de 200 pages à l'humanité autant qu'à l'animal. Les deux se mêlent intimement l'un à l'autre au point que l'on ne sait plus très bien qui est qui et qui domine qui. On est perdu dès le départ. La dignité humaine devra-t-elle correspondre à une vie d'esclave douce et rangée ou devra-t-elle être une vie libre mais dure et dangereuse ? La solution n'est certainement pas simple et le livre essaiera pourtant de nous donner une réponse. Si vous êtes prêt pour ce voyage déroutant, si vous êtes prêt à être chevauché par un Hoot, si vous êtes prêt à remettre en cause votre perception de la nature humaine, alors cette aventure est faite pour vous. Je vous invite à la découvrir et à l'apprécier comme je l'ai fait.

« Comme si cette fleur était différente de toutes les autres, même de sa propre espèce. Comme si toi aussi tu n'étais pas de ton espèce, mais de toi-même, ni moi de mon espèce. Avance, avance, avance, maintenant, avance.
Nous avançons. »
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‌Je remercie Patounet, notre cher Juke-box, de m'avoir choisi ce livre, qui me sortait de ma zone de confort. Je ne lis pas beaucoup de science-fiction, mais je suis toujours prête à relever un défi venant d'un de mes amis.

Mon retour de lecture reste mitigé, et paradoxalement ce n'est pas l'aspect SF qui m'a dérangée. J'ai aimé cette vision imaginée par l'auteur où la terre est passée sous la domination d'un autre peuple, les Hoots, et où les hommes les servent. Les plus chanceux, ceux à qui la sélection et la reproduction contrôlée ont permis l'amélioration des qualités athlétiques, servent de montures à leurs maitres. Cela vous rappelle quelque chose : eh oui, les Hoots traitent les hommes comme les hommes traitent les chevaux. Travaux des champs pour certains, courses et médailles pour d'autres.

Ce qui m'a empêchée de vraiment savourer cette lecture, c'est d'abord le style. L'autrice raconte par l'intermédiaire d'un jeune adolescent (Une douzaine d'années) et le style reflète ce choix. il est simple, presque naïf. Et en dehors du style, le fond reflète aussi l'age du narrateur; beaucoup de répétitions, d'hésitations, de questionnements. Ce qui est normal a cet âge d'autant plus que cet ado va connaître de profonds bouleversements. Mais, j'ai été tenue à distance par les mots, ne parvenant pas à ressentir de l'empathie pour ce personnage et peu d'émotions globalement. Assez rédhibitoire pour moi. Je ne sais pas exactement pourquoi ayant déjà lu d'autres livres racontes par des ados sans ressentir cette distance.

Et pourtant, les thèmes évoqués m'ont intéressée. Faut-il préférer une vie confortable, prévisible à une existence sauvage, aux milieux d'hommes qui vous apparaissent inférieurs, dans l'incertitude des jours à venir, sans toujours manger à sa faim ? La réponse évidente pour nous est non, rien ne peut remplacer la liberté, la possibilité de faire ses propres choix.

La réponse n'est pas si claire pour ce jeune homme, destiné à une existence où il aura un rôle important. Il sera la monture du chef des Hoots, actuellement enfant comme lui. Et ils s'entraînent ensemble, créent des liens. Alors que penser quand ils se retrouvent au fin fond de la montagne, dans un village au confort spartiate, ayant toujours faim (par ailleurs ayant élevé trois garçons, avoir toujours faim a l'adolescence est une caractéristique qui ne me surprend guère).

L'autrice nous décrit l'évolution de ce jeune homme, comment les évènements l'obligent à réfléchir, se poser des questions, parfois agir à l'encontre de ses sentiments. Il ne sait pas toujours ce qu'il veut vraiment, et ses préférences oscillent entre liberté et sécurité. Ils oscillent d'ailleurs un peu trop pour moi. J'aurais aimé que la fin soit plus tranchée, mais cependant elle est à l'image de tout le livre. Il est difficile pour lui de choisir d'exercer son libre-arbitre même s'il ne ressemble plus à celui qu'il était au début du roman.
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Tombée dans l'oubli en France, l'américaine Carol Emshwiller méritait très certainement un coup de projecteur. C'est grâce aux jeunes éditions Argyll et à l'excellent traducteur Patrick Dechesne (à qui l'on doit la découverte en France de Sofia Samatar qui sera bientôt réédité aux mêmes éditions Argyll avec Un Étranger en Olondre) que l'on peut enfin lire dans la langue de Molière l'une des oeuvres les plus singulières de la romancière avec La Monture, un court roman d'environ 200 pages qui marie à la fois le conte philosophique et la science-fiction pour résultat totalement inattendu. Sous la sublime couverture du livre-objet concocté par Xavier Collette, voici venir le temps des Hoots…

« Ho ! »…
Mais qui sont les Hoots ? Il s'agit en réalité d'une race extra-terrestre qui a échoué sur la planète Terre quelques siècles avant le récit qui nous est ici rapporté. Ces étranges visiteurs aux mains imposantes et aux bonds mortels ont une faiblesse évidente : leurs jambes fragiles et quasiment incapables de les porter. du moins, c'est ce dont ils sont intimement convaincus…et ce qui les fait admirer la musculature des êtres humains qui peuplent cette étrange planète bleue. Sans que l'on sache réellement comment, Carol Emshwiller explique que les Hoots ont réussi à imposer leur domination. Est-ce que leurs fameux bâtons qui lancent des boules de feu ont fait ployer l'humanité ou est-ce leur étrange cri à base de « Ho » dont ils tirent leur surnom et qui paraît insupportable pour les oreilles humaines ? Peu importe, les Hoots ont mis l'humain à leur botte et les survivants sont désormais des « montures ».
Les hommes et les femmes du roman de Carol Emshwiller sont des esclaves, ou, plutôt, des animaux serviles pour un maître qui se pense miséricordieux et particulièrement supérieur. Divisé entre Sue (femme) et Sam (homme), les humains sont aussi scindés en « races » avec les Seattle (les plus grands et les plus forts) et les Tennessee (les plus rapides) et ne vivent que pour servir de monture aux Hoots, concourir dans des courses organisées par les extra-terrestres aux larges mains et faire la fierté de leur maître en tant que Dompté. Charley (ou Smiley de son nom de monture) a onze ans. C'est un Seattle très prometteur mais qui souffre de la brutale séparation d'avec sa mère Merry Mary. Charley n'est pas n'importe qui puisqu'il est destiné à devenir la monture d'un Hoot de haut rang appelé son Excellente Excellence, Vouée-à-Devenir-Notre-Maître-à-Tous. Mais Charley préfère l'appeler Petit-Maître. Lors d'une attaque surprise des humains sauvages qui vivent dans les montagnes, Charley et Petit-Maître s'accrochent l'un à l'autre pour survivre jusqu'à ce que le jeune Seattle tombe sur un homme immense et charismatique nommé Héron. Ce nom, il ne le connaît pas encore puisque c'est sous son nom Hoots, Beauty, qu'Héron est connu de Charley. Son père l'a enfin retrouvé pour le mener sur le chemin de la liberté…mais qu'est-ce que la liberté quand on a toujours été esclave dans une stalle avec de l'eau fraîche et un lit douillet ?
Après un prologue énigmatique, mais qui s'éclaire rapidement une fois que l'on avance dans l'histoire, La Monture adopte le point de vue de Charley, jeune homme captif depuis son enfance et prisonnier d'un système où l'humain est traité comme un animal (et notamment comme un cheval de course ou de trait). Ce choix délibéré de l'autrice sera primordial pour la suite du récit et donne une fausse sensation de naïveté au lecteur puisque Charley s'exprime de façon simple et naïve, embourbé dans sa propre conception d'un système dont il est la première victime. Notre narrateur n'est pas tout à fait fiable mais Carol Emshwiller est assez intelligente et roublarde pour faire filtrer la colère, la tristesse et l'injustice à travers la vision biaisée de notre jeune héros.

La conjonction des dominations
De prime abord, La Monture fait furieusement penser à Cadavre Exquis d'Agustina Bazterrica où certains êtres humains sont traités comme du bétail et consommés pour pallier au manque de nourriture. Pourtant, là où Cadavre Exquis joue la carte du décalque de la cause animale à l'homme et utilise le choc de la souffrance et de la déshumanisation pour désarçonner son lecteur, La Monture se révèle bien plus subtil et nuancé, provoquant un sentiment plus dérangeant encore à la lecture. En effet, alors que Carol Emshwiller aurait pu simplement se contenter de décrire l'horreur d'une société où l'homme est traité comme une bête par des extra-terrestres cruels et hypocrites, elle choisit de mêler le destin d'un Hoot, Petit-Maître, à celui d'un humain encore (trop) naïf, Charley. Cet élément qui peut paraitre anodin va cependant avoir une importance cruciale pour le récit car cela va permettre de comprendre une chose qui paraîtrait autrement inconcevable : l'oppresseur est aussi la victime d'un système qui broie tout le monde en son sein. Dès les premiers chapitres, le lecteur comprend que Petit-Maître, enfant lui aussi, est dressé/éduqué comme peut l'être Charley afin de correspondre au profil-type de son espèce dominatrice et de sa culture. On lui inculque des valeurs et des manières qui perpétueront finalement la société en vigueur. Sauf que Charley et Petit-Maître, loin des instructeurs et de leurs brimades, forgent une amitié interdite et qui déjoue les stéréotypes. Petit à petit, les deux deviennent inséparables et finissent par se comprendre en tentant de se mettre à la place de l'autre. Cette nuance incroyable dans un récit qui fustige pourtant la domination permet à Carol Emshwiller d'interroger en profondeur son lecteur et la grille de lecture qu'il applique au système des Hoots. En comprenant l'endoctrinement de Charley qui a bien du mal à comprendre lui-même qui il est vraiment, on en arrive à comprendre que Petit-Maître et les Hoots sont dans une situation similaire et qu'ils se perçoivent certainement eux-mêmes comme des gens bons et respectueux du bien-être des « montures » dont ils ont la responsabilité. Plus qu'un discours sur le rapport entre dominant et dominé, c'est aussi une réflexion tout en nuances sur la perception de ses propres erreurs et de ses propres manquements, souvent voilé par l'inconscience de sa propre cruauté.
Comment en sortir ? Comment aller faire l'autre ? Comment contourner un système qui finit par provoquer la haine de part et d'autre lorsque les victimes se révoltent ?

Demain, ensemble
Carol Emshwiller adapte son récit de façon extrêmement fine puisque le monde qu'elle présente peut être perçu à la fois comme une charge contre le traitement des animaux par l'homme mais également comme une métaphore des différents systèmes d'oppression de sexe et de race. Plus fort encore, les subtiles allusions à l'esclavage des noirs (où l'on regarde les dents avant d'acheter pour évaluer la bonne santé, que l'on éduque pas parce qu'ils en ont pas besoin et qu'ils sont trop bêtes de toute façon), à la domination masculine sur les femmes (où l'on évite d'enseigner la lecture et l'écriture car à quoi cela servirait pour elles, surtout qu'elles n'ont qu'un but de reproduction, un sentiment que les Talibans n'auraient certainement pas renié) ou encore à l'invasion des Amériques par les colons européens (qui débarquent comme les Hoots avec une avance technologique certaine et des bâtons de feu) permet de comprendre que tous les systèmes de domination partagent des traits communs qui permettent de réduire l'autre à rien, ou presque. Il est d'ailleurs édifiant de s'apercevoir que dans le monde où vit Charley, si l'on est ni un Seattle ni un Tennessee…on est un rien. Et puisque les humains subissent des tortures et des brimades terribles (de l'isolement aux mors qui détruisent les dents et empêchent la parole), c'est bien parce qu'ils sont considérés comme des animaux ou, pire, comme des riens. C'est le fondement même de tous les régimes et systèmes de pensée fascistes/génocidaires modernes : réduire l'autre à l'état de cafard ou de rat, que l'on soit Juif ou Tutsis.
Là où le récit touche pourtant au sublime, c'est par la confrontation entre le point de vue du narrateur englué dans sa position de victime qui ne connaît que cette vue à priori bien plus confortable que le rude climat des montagnes où vivent les Sauvages libérés des Hoots, et celui d'Héron, le père du héros, démolit par sa vie de servitude et dont la rage devient le moteur de son existence pour faire en sorte que son fils ne finissent pas comme lui. La rudesse du traitement d'Héron n'est qu'entraperçue et laisse le soin aux lecteurs d'imaginer toutes les horreurs qu'il veut. Mais comme toujours Carol Emshwiller montre également la part sombre de cette révolte fondée sur l'abus et la violence. Une révolte qui tient en équilibre sur la haine et qui mène à des individus brutaux et dangereux comme ces montures de garde violentes et, pour tout dire, effrayantes. Pour mettre fin à ce système d'oppression vieux de plusieurs centaines d'années, doit-on détruire l'oppresseur en le massacrant ou faut-il trouver un autre moyen de bouger les lignes pour un résultat qui ne fera pas entrer l'histoire dans un cercle vicieux de révoltes où l'oppresseur de jadis se rêve en oppresseur de demain ? C'est ce que ne cesse de se demander Carol Emshwiller qui n'apporte pas de solution parfaite, puisqu'elle n'existe pas, mais qui préfère substituer un sentiment indispensable pour une société plus juste : l'amour de son prochain.
L'amour entre Lily et Charley qui brise le carcan des races et des riens, l'amour entre Petit-Maître et Smiley qui offre une nouvelle perspective d'entente et de respect à deux peuples pourtant ennemis.
Peut-être que c'est pas la compréhension et l'empathie que passeront les injustices d'hier et non par les extrémismes et les réactions épidermiques…

Simplement époustouflant par ses nuances, La Monture est une réflexion profonde et salutaire sur la manière dont se construit un système de domination et les façons d'en sortir. Carol Emshwiller livre un roman passionnant, émouvant et dérangeant qui hante par son refus des évidences et réjouit par la grandeur d'âme de ses personnages.
Lien : https://justaword.fr/la-mont..
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La Terre a été envahie. Les extra-terrestres l'ont emporté et ont réduit les humains en esclavage. Les Hoots, qui ont du mal à se déplacer sur notre planète, ont transformé les femmes et les hommes en montures. Tels les chevaux, ils les élèvent, les dressent. Ces derniers vont-ils se laisser ainsi dominer par ces créatures qui ressemblent à des chats ?

Autant le dire tout de suite, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Je l'ai même laissé de côté après un premier essai, histoire de nous offrir une chance. Et bien m'en a pris, même si, et je vais expliquer pourquoi, je ne suis pas vraiment parvenu à m'immerger totalement dans le récit.

Dans le premier chapitre, nous sommes dans l'esprit d'un Hoot qui nous offre sa vision du monde : là, tout n'est qu'ordre et beauté, aurait dit l'autre. Et c'est bien cela qui semble se dessiner dans l'univers selon les Hoots. Tout est à sa place, la gentillesse est de rigueur. Mais aussi la fermeté. Car, pour que la société tourne correctement, chacun doit être à sa place. Et la place des êtres humains, c'est sous les Hoots. Dominés par ces créatures sensibles, à la recherche de la beauté et de l'harmonie. Mais pas nécessairement sensibles au sort de leurs esclaves.

Car, il faut bien le dire, l'humanité a été réduite en esclavage. Et, c'est là qu'intervient le côté extrêmement dérangeant (et donc remarquable) du roman : une grande partie des humains est convaincue de la nécessité de cet ordre des choses. Comme nous le voyons dans toute la suite du récit en suivant Charley, un jeune homme fier d'être au service de Son-Excellence-Vouée-À-Devenir-Notre-Maître-À-Tous. Un jeune garçon qui pense que l'ordre et la beauté installés par les Hoots sont le summum et qu'il faut tout faire pour y parvenir. Y compris obéir à ces extra-terrestres parfois si durs. Y compris rejeter les Sauvages, ces humains qui n'acceptent pas la soumission et vivent dans la nature, sans respecter les règles édictées. Sans respecter la pureté des races.
En effet, autre passage dérangeant, les humains sont élevés selon leurs caractéristiques physiques : les solides Seattle ou les Tennessee plus fins, par exemple, sont réservés à des tâches déterminées pour lesquelles ils sont le mieux adaptés. Cela vous rappelle quelque chose ? Certains seront donc destinés à la course, d'autres aux travaux de force. Évidemment, les couples n'existent que pour optimiser les croisements. Pas de mélange entre races. Et surtout pas avec des Sauvages. Ou pire, des « riens ». Pas question d'amour entre les êtres. Il faut se conformer à la pureté recherchée.

Et donc, on est dans la tête de Charley, à ressentir ce que ressent un esclave content de son sort, qui ne veut pas que le monde qu'il connaît change, qui ne veut pas que ses comparses se révoltent. Même si certains éléments de son éducation (on pense plutôt à un dressage) lui semblent pénibles, dans l'ensemble, il est totalement satisfait de son sort car persuadé que c'est ainsi que tout doit tourner. Que les Hoots sont vraiment là pour le bien de lui et de ses semblables et qu'ils savent bien s'occuper d'eux. Difficile pour le lecteur d'être du côté de quelqu'un d'aussi soumis, qui ne montre aucune velléité de se révolter. Et même plus, qui ne comprend pas qu'on le veuille. le style volontairement simple de l'autrice, qui veut montrer sans doute le jeune âge de Charley, renforce ce côté passif du jeune garçon : pas d'envolée lyrique, juste des constats et des évidences. On a bien le point de vue de Héron, le père de Charley, qui, lui, veut libérer les hommes. Pas nécessairement par la violence, peut-être par la cohabitation. Ce discours est plus proche de ce que nous pensons en tant que lecteurs, mais il est en arrière-plan, noyé sous les pensées conformistes de Charley. Pour lui, la vie est telle qu'elle est et rien ne doit changer.

Et c'est bien ce qui rend la lecture de la Monture, roman hors du temps (il a été publié en 2002, mais aurait pu l'être bien avant), difficile et intéressante, enrichissante et troublante. le point de vue est tellement peu habituel, le parti pris tellement extrême, que l'on est perdu, au départ, et qu'il faut s'accrocher pour réellement en profiter. Mais, rien que pour les réflexions que cette découverte inspire, surtout avec l'évolution lente et progressive de Charley, cela en vaut vraiment la peine.
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Des extraterrestres se servant des hommes comme de montures pour tous leurs déplacements. A cette seule évocation, je vous vois déjà matérialiser cette image dans votre esprit. Vous fait-elle sourire par son grotesque ? Vous fait-elle lever les yeux au ciel de dédain ? Lisez donc ce roman d'une étonnante richesse intérieure, et je prends le pari que votre réaction deviendra tout autre.

C'est le premier roman de cette autrice américaine qui est traduit en français. Il date de 2002. Gageons que le jeune éditeur Argyll saura nous trouver d'autres de ses pépites.

Les Hoots ont atterri par accident sur notre planète, voilà bien des années. Incapables de se déplacer par eux-mêmes, ils ont assujetti l'homme pour le placer au rang d'animal domestiqué.

Et s'en servir comme de chevaux. Les traitant comme tels, les utilisant pour se mouvoir mais aussi pour parader et (pour certains) réaliser des courses. L'homme découvre ce qu'est d'avoir un mors dans la bouche…

Le roman est écrit au présent et à travers les mots des protagonistes, principalement un jeune garçon de 11 ans, enrôlé depuis son plus jeune âge dans le rôle de (futur) crack. Il se sent dans son élément à l'intérieur de sa stalle, avec sa parure, et d'être ainsi traité comme un homme de la plus pure des races. Pour preuve, il est chevauché par le futur Grand Maître.

L'attaque d'hommes « sauvages » va chambouler son monde. Et lui faire voir et ressentir autrement. Mais on ne change pas si facilement un conditionnement.

Cette manière de raconter fait qu'on entre directement dans la tête de ces hommes du futur, de ce garçon qui va perdre ses repères. Elle est surtout menée avec une finesse et une intelligence qui donnent une vraie profondeur à l'histoire. Et matière à réfléchir.

On pourrait craindre que l'écrivaine force le trait, c'est tout le contraire. L'ambivalence des sentiments et ressentis de Charley entre en résonance avec le lecteur. L'empathie se crée vite envers lui. Mais plus étonnant envers le Petit-Maître Hoot tout autant.

Avez-vous déjà tenté de vous mettre à la place d'un cheval ? Ce qu'il pouvait ressentir ? Pas besoin de tomber dans l'anthropomorphisme, imaginez maintenant un humain à la place, en tenant compte de l'instinct grégaire du primate.

Loin d'être un roman à réserver aux seuls amateurs de SF, en à peine 210 pages Carol Emshwiller réussit le tour de force de nous faire croire à l'incroyable. Mais aussi, surtout, de braquer de nombreux projecteurs allégoriques sur des sujets actuels encore brûlants.

Dans un roman aussi court, l'autrice développe de quoi questionner et méditer sur autant de thèmes que le respect des autres et des espèces, le racisme, l'oppression y compris des sexes. Mais aussi permet de faire un retour salvateur sur ce que fut l'esclavage et ce qu'il en reste, avec toutes les « raisons » d'y avoir eu recours. Ou encore d'injustices, de la figure du père, de la manière dont on inculque certaines valeurs à la naissance.

A cette énumération, on comprend vite combien le roman est riche. Et comme il est raconté à hauteur d'homme (ou de Hoot), avec le peu de fiabilité des regards portés, on lit au plus près des émotions. Une palette large, de la colère à la tristesse, de l'amour à l'incompréhension.

D'autant plus que les Hoots se voient (ou se font passer) comme des gentils, qui aiment leurs montures. de l'art de parler de systèmes écrasants et de la difficulté de se détacher de son tortionnaire.

Mais la fin, subtile, questionnera aussi les notions de tolérance, de respect et de compréhension. Empathie encore et toujours.

Carol Emshwiller a un immense talent pour faire accepter le postulat de base qui paraît pourtant improbable, en interrogeant sur nombre de sujets forts.

La monture est à la fois un superbe récit humain et une métaphore de la domination et de la responsabilité. Qui questionne notre relation aux autres, autant qu'à l'animal. Quand l'art de pousser la fiction dans ses retranchements nous permet de mieux cerner la réalité.
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Un beau jour (ou peut-être une nuit), les Hoots ont débarqué sur Terre. Ces petits êtres (qui ne sont pas bleus) venus d'ailleurs.

Ils possèdent de grandes mains, savent faire des bons prodigieux, mais leurs jambes sont fines et incapables de les porter.

Tandis que nous, les Hommes, nous avons de belles jambes musclées…

Nous ne saurons jamais comment cela a commencé, mais les Hoots ont décidé que nous ferions d'excellentes montures et ont commencé à nous dresser, nous faire reproduire entre même race, de faire de nous des coureurs rapides ou des trotteurs sur longues distances. Bref, nous sommes leurs montures !

Cette dystopie m'a fait douter du bien fondé que nous avons de posséder des chevaux, de les utiliser, de choisir le meilleur étalon pour une jument, de les enfermer dans des box, de les tapoter et de leur refiler des friandises. Les Hoots sont très gentils avec leurs montures, ils les aiment, oui, mais… Au prix de l'enfermement ! Au prix de l'asservissement.

Oui, cette dystopie fait se poser pas mal de question, notamment dans notre rapport avec nos animaux de compagnie, même si, dans ce roman, l'on ne parle pas d'animaux, mais d'être humains transformé en monture et qui, s'ils bénéficient de tout le confort, n'en restent pas moins prisonniers, sans pouvoir choisir leur conjoint(e).

C'est encore pire lorsque l'on transforme des humains en bêtes, les divisant en races de Seattle (les trotteurs capables de porter des charges) et les Tennessee (les coureurs rapides). Les mâles sont les Sam et les femelles, les Sue.

Comme dans les dictatures, il y a ceux (et celles) qui se complaisent dans cet asservissement, appréciant la sécurité de leur "emploi", le confort absolu et le fait que l'on décide à leur place. C'est reposant, c'est sécurisant, bien plus que de vivre comme les Sauvages.

Le narrateur sera Charley, jeune garçon de 11 ans, de la race des Seattle, appelé à être la monture du jeune Excellente Excellence, Vouée-à-Devenir-Notre-Maître-à-Tous, dit Petit-Maître pour les intimes. Sa sécurité volera en éclat lorsqu'il se retrouvera libre, avec les Sauvages, son Petit-Maître toujours sur les épaules.

Les style de narration de notre Charley va changer au fur et à mesure qu'il va grandir (il va prendre 2 ans) et qu'il va commencer à réfléchir un peu plus loin que le bout de ses naseaux, pardon, de son nez. Il aime le système, il en fait partie, il est sécurisant, il est valorisant pour un jeune comme lui qui rêve de porter un mors et de conduire son Petit Maître partout.

Sans entrer dans les détails, je dirais que le récit est plus subtil qu'on ne pourrait le penser au départ, que l'autrice a pris la peine de nuancer son histoire, de jouer avec les sentiments de ses lecteurs et de faire de Charley un narrateur naïf, partial, mais pas que…

Tiraillé entre deux solutions, notre jeune garçon va devoir faire preuve de courage, d'abnégation et de réflexion afin de trouver une solution. Il en sera de même avec son Petit Maître qui n'est pas vraiment celui que l'on pourrait penser.

Voilà donc une dystopie intelligente, qui parle d'esclavage, d'asservissement, de rapport de domination entre des cavaliers Hoots et des montures humaines.

La métaphore est subtile, bien trouvée, elle met mal à l'aise à certains moments, surtout au départ, parce qu'on ne peut s'empêcher de faire un rapprochement avec les chevaux, qui, eux aussi, ne choisissent pas toujours leur vie.

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La Monture est un roman audacieux parce qu'il est à l'opposé de ce que l'on peut attendre d'un roman de science-fiction qui met en scène la planète Terre colonisée par des extraterrestres. Pas de scénarios hollywoodiens ni de méchants monstres verts. Mais des créatures herbivores aux jambes fragiles qui utilisent la gentillesse comme arme.
"Nous ne sommes pas contre vous, nous sommes avec vous. En fait, nous sommes bâtis pour vous tout comme vous êtes bâtis pour nous, afin que nos faibles petites jambes puissent pendre sur votre poitrine et nos queues sur votre dos".
Cette complémentarité et cette entente laissent présager une société idéale où les talents des uns et des autres s'additionnent, sans que les envahisseurs aient la moindre intention de coloniser la planète.
Carole Emshwiller a déclaré qu'à l'origine du roman, il y avait l'idée " qu'il serait intéressant d'écrire sur une proie chevauchant un prédateur plutôt que l'inverse." Elle crée donc ces créatures herbivores et dépendantes , les Hoots, qui doivent utiliser des prédateurs humains comme montures pour se déplacer.

Mais très rapidement, dès le premier chapitre qui expose les méthodes des envahisseurs, puis dans les chapitres suivants racontés par Charley convaincu de la supériorité de ses maîtres, s'esquisse l'intention de l'auteure : dénoncer de l'intérieur les mécanismes de la domination.
En détruisant rapidement l'illusion utopique, elle illustre la relation dominant-dominé en montrant d'une part la face cachée des Hoots et l'endoctrinement des humains qui se complaisent dans l'esclavage.
Le cas de Charley est significatif de l'emprise qu'une idéologie, avec la propagande adéquate, peut exercer sur un individu. le fait qu'il soit un enfant importe peu, puisque de nombreuses montures partagent les mêmes convictions. Complètement intoxiquées par le dressage effectué dès la naissance, les montures cultivent l'ambition d'être la meilleure monture et font preuve de rivalité et de mépris envers les autres. La méthode "opposer pour mieux régner" a déjà fait ses preuves.
Pire encore, après l'arrivée héroïque du père combattant les tyrans, Charley ne peut se résoudre à ce renversement du pouvoir :
"Je n'arrive pas à m'habituer à nous voir tous, Sams et Sues, nous promener sans Hoot nous montant. Ils ressemblent à des demi-hommes." La liberté est alors la défaite de l'individu qui ne peut se concevoir que dominé.

Au fur et à mesure du récit, alors même que Charley mûrit dans les épreuves, l'auteure passe du lexique de la soumission au lexique de la rébellion. Mais il faudra attendre la rencontre avec Lily, une "rien" pour qu'il comprenne réellement le monde dans lequel il a vécu.

En brouillant les présupposés sur la relation maître-esclave, l'auteure réussit un roman brillant et ambitieux, qui dérange parce qu'il adopte un ton faussement naïf qui pointe la propension de chaque individu à se laisser manipuler en échange d'un confort matériel ou intellectuel.
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En découvrant la couverture de Monture, j'ai de suite été interpelée par la singularité de celle-ci et intriguée du même coup par ce que ce texte allait pouvoir contenir, car à montrer un homme servant de monture à une créature féline et d'autres enfermés dans une cage, on ne peut rester insensible. Je remercie ainsi les éditions Argyll d'avoir bien voulu m'en envoyer un exemplaire pour éclairer ma lanterne.

Grâce à eux, j'ai découvert une autrice de SF américaine que je ne connaissais pas et dont c'est la première traduction, du moins pour un roman : Carol Emshwiller, qui pourtant écrit depuis les années cinquante mais a surtout commis des nouvelles. Elle a pourtant reçu des prix prestigieux : World Fantasy du meilleur recueil de nouvelles pour The Start of the End of it All and Other Stories en 1991, le prix Philip-K.-Dick pour La Monture en 2003 et le prix Nebula de la meilleure nouvelle courte pour Creature en 2002 et à nouveau pour I Live With You en 2005, ce qui est en général gage de qualité et qualité il y avait dans Monture.

L'autrice nous emporte dès les premières lignes dans un univers fort singulier, sorte de mix, pour moi, entre le manga Centaures de Ryo Sumiyoshi et le roman The Handmaid's Tales de Margaret Atwood. Elle utilise un savoureux mélange de science-fiction orwellienne et de fantastique pour nous dépeindre sa vision critique de l'esclavage et dans un sens plus large des relations dominés-dominants. Fascinant.

Pour cela, elle nous emmène sur une Terre où des extraterrestres herbivores ont transformés les humains en montures. Ces premiers sont les Hoots, les seconds des Sam et des Sue. Ils sont classés par ethnies en fonction de leur apparences sur laquelle se calque leurs capacités à servir les Hoots, et tout cela semble se faire dans la plus grande normalité.

Nous suivons une jeune monture : Smiley/Charley et son hoot : Petit-Maître, qui ont construit une relation singulière dans ce monde où l'esclavage semble la norme, eux sont plutôt tels deux amis. Ils détonnent donc. Et puis un jour, après une attaque, Charley découvre que sa situation n'est pas si enviable que ça, que certains Sam et Sue aimeraient en être délivrés et qu'une autre voie est possible.

La rencontre avec cette possible liberté ne se fait pas sans heurt. L'autrice nous fait nous confronter à des visions opposées de la vie avec celle des Hoots d'un côté et celle du père du héros, Héron, un ancien garde libre qui s'est réfugié dans les montagnes. Sauf que Charley et Petit-Maître ne se reconnaissent ni dans l'un ni dans l'autre. J'ai beaucoup aimé voir ainsi se dessiner la voie du milieu.

Le discours de l'autrice est fort. Ses analogies entre la situation des Hoots et de leur monture et notre monde de dominés-dominants sont fort intéressantes. le discours est riche et plein de nuance, offrant vraiment au lecteur l'occasion de réfléchir par lui-même à ce sujet. On se sent forcément révoltés par ce que subissent les humains, ça impossible d'y couper, c'est trop bien décrit, trop avilissant, pour ne pas bondir. Cependant, on peut aussi trouver extrémistes la vision de Héron et ses compagnons, comme on peut trouver un peu tiède cette envie de Charley de sceller un accord par l'amitié. Cela dépend des opinions de chacun.

La plume de Carole Emshwiller (ou sa traduction), elle, ne fut pas des plus simples à s'emparer cependant. J'ai eu du mal avec la narration choisie. le fait de suivre un texte écrit à la première personne par un homme réduit en esclavage, dont on sent qu'il n'a pas pu développer tout son intellect, rend l'expérience vraiment singulière. J'ai souvent eu l'impression de passer un peu du coq à l'âne, car les chapitres sont composés de paragraphes qui se suivent parfois sans transition. C'est déstabilisant et ça m'a empêchée de vraiment m'immerger dans le récit. J'ai un peu eu l'impression de le suivre de loin en spectatrice sans en avoir toutes les informations, ce qui m'a frustrée. Cependant, ayant en tête les images du manga de Ryo Sumiyoshi dont je parlais plus haut, celles-ci ont grandement complétées certains manques. Je trouve donc intéressant de lire les deux en parallèle si jamais vous ne connaissez pas cette série.

Ce roman fut donc une belle et singulière découverte, comme l'annonçait précisément la couverture. J'ai aimé découvrir l'univers, les thèmes et les propos de l'autrice. Ça m'a donné envie de lire d'autres textes qu'elle aurait pu écrire tant qu'ils sont dans cette veine. En revanche, j'ai trouvé le texte un peu résistant de par sa forme, ce qui m'a empêchée de pleinement profiter de l'expérience, à regret.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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Autrice qui m'était totalement inconnue bien qu'elle remporta avec ce livre le Philip K Dick award en 2002 et fut nominée au Nebula en 2003.
L'écriture faussement naïve, un peu à la façon d'un conte, nous offre le récit de l'occupation et la domination de la Terre par une race extraterrestre, les Hoots qui bien que moches ont su réduire les humains en esclavage et en faire leurs « montures ». Nous suivons alors Charley, un jeune et prometteur poulain de race tiraillé entre sa condition de bête de somme qu'il a totalement intériorisée et le souffle d'insoumission incarné par son père.
Tout au long, s'égraine ainsi une très belle réflexion sur notre rapport à l'autre et plus globalement au vivant, les rapports de domination mais aussi d'interdépendance. Ce livre peut avoir de multiples lectures et saura à n'en pas douter interpeller chaque lecteur sur un point ou un autre.
De mon côté, vivant depuis 15 ans sur des territoires au passé colonial, je reste impressionné par la capacité de l'autrice à transposer au travers des hoots toute la complexité du processus colonial: de la justification du rapport de domination par l'établissement de critères « perçus » comme rationnels (intelligence et culture humaines jugées comme inférieures etc) jusqu'à la caution morale du colonialisme que j'appelle de gauche (l'apport bienveillant de la civilisation). Elle se permet même de pousser plus loin le curseur en questionnant ce qui offre ou non du sens à la vie. Les Hoots "achètent" en effet aussi leur domination en offrant aux hommes un confort matériel qui leur serait inaccessible autrement, la liberté avec toutes ses difficultés devenant alors une régression. Ainsi, la dignité réside-t-elle dans une vie d'esclave au ventre remplie ou dans une vie libre mais affamée ? La réponse n'est certainement pas simple.
Et je n'ai là fait qu'effleurer tout ce que peut avoir à offrir ce livre.
Lecture, vous l'aurez compris que je qualifierai donc de très riche... et j'en profite pour remercier les éditions Argyll et surtout Patrik Dechesne*, l'heureux et talentueux traducteur, de m'avoir permis de découvrir cet ouvrage trop méconnu.
Lien : https://www.facebook.com/LaS..
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La monture est un roman de Carol Emshwiller; totale découverte pour moi, même si j'avais déjà lu plusieurs critiques de ce livre ici et là lors de sa réédition chez Argyll. C'est un roman assez court, mais frappant, et qui selon moi est aussi particulièrement marquant, même si j'en espérais davantage.

La monture inverse les rôles, les points de vue et les valeurs. Les humains sont les montures des Hoots, qui ont pris le contrôle de la planète. C'est profondément dérangeant et pénible à imaginer. Ca l'est d'autant plus à double titre. D'abord, l'autrice nous propose un récit raconté par Charley, une des Montures, particulièrement satisfait de son sort. Content de servir, content de l'état des choses, et content de sa place. Notons que Charley en est même réduit à sa fonction première, et que c'est cette fonction qui est le titre du roman. Preuve qu'il n'est rien en dehors de son rôle. Ensuite, parce que les premières pages s'adressent à nous, humains : petits êtres réduits à deux jambes et destinées à servir. le narrataire est donc intégré au récit et au monde proposé, et fait partie des esclaves des Hoots. Pas commode d'entrée de jeu, il faut le reconnaître.
Ce qui est le plus pénible, c'est l'utilisation par les Hoots de notre propre argumentaire utilisé jusqu'ici pour justifier notre domination sur le vivant. Encore plus quand cet argumentaire est retourné… contre nous-mêmes. le roman offre alors un reflet de notre fonctionnement d'humains. Et il inverse les positions pour nous prendre à notre propre jeu. Ici, l'humain est un simple cheval ou un chien, cet animal de compagnie qu'on caresse avec bienveillance et qu'on « aime », à notre façon d'humain. le roman donne d'ailleurs quelques aperçus de cet amour inégal et malaisant : les petites récompenses, dressage, divertissements, tableaux dans les habitations, comme des traces de cet « affectueux » amour bienveillant que les Hoots portent à leurs montures et les Humains à leurs animaux de compagnie. On retrouve même le discours sur la « complémentarité » entre espèces… Quand l'Homme devient l'animal de compagnie, on se rend compte à quel point ce blabla existe pour nous donner bonne conscience.


Par ailleurs, La monture est un texte qui oscille avec brio entre cruauté et grande naïveté. Cruauté du discours faussement bienveillant et mielleux des Hoots, cruauté du sort auquel on est réduit. Certains épisodes m'ont viscéralement gênée (notamment celui avec le mors que Charley veut mettre). La violence des combats n'épargne pas les personnages, détruit des familles, dès lors scindées par les chemins pris et les valeurs de chacun. Haine, ressentiment, perte de repères, position humiliante : La monture est un roman qui n'épargne pas son lectorat.
Sans doute la cruauté est-elle exacerbée par le discours naïf et ingénu de Charley, passif devant son sort. Son phrasé est court, très simple, et Charley saute du coq à l'âne sans arrêt. le vocabulaire est peu étendu et certaines de ses pensées ressemblent à du boudin d'enfant face au discours parental. le style du roman est donc à l'image de Charley, de son âge, de son statut et de son histoire. Il y a une cohérence d'ensemble, toutefois à la longue ça m'a lassée. Heureusement, le roman est assez court.

Enfin, pour moi ce roman est semblable à un conte, tant il en reprend certains codes.
Premier élément en faveur du conte : le background très limité. Où on est ? A quelle époque ? Comment les Hoots sont parvenus jusqu'ici et comment ont-ils réussi à s'imposer ? le roman n'offre que très peu d'infos. Aucune explication non plus n'est donnée sur leurs capacités à s'adapter, biologiquement. Ils sont petits, tiennent à peine debout, et ils sont les maîtres du monde ? Difficile à croire… C'est parce qu'on est typiquement dans un conte. Nul besoin de chercher la vérité et la vraisemblance, ici ce n'est pas ce qui compte.
Deuxième élément qui m'a fait penser au conte : l'aspect oral et très simple du récit. L'oeuvre est courte, centrée sur quelques personnages et une intrigue fort simple, linéaire, uniquement ponctuée de quelques grands événements. L'intérêt ne réside donc pas non plus dans la difficulté de l'intrigue et le scénario hyper développé.
D'autre part, les personnages sont, à première vue, assez bruts, pas très fins. Pas très complexes à comprendre. Mais ils évoluent au fil du récit, au gré des amitiés qui se forgent, des liens familiaux qui se solidifient et d'attachements divers et variés qui se développent. Alors on parvient enfin au dernier élément caractéristique du conte : le message.
Car La monture interroge en effet. le roman provoque toute une série de questionnements, et le fait dans la douleur. Car je l'ai dit plus haut, le roman porte une large part de cruauté. le conte ne fait jamais dans la dentelle, il apprend la vie et le sens de la vie. On est tout à fait dans ce registre ici.
Le récit questionne alors les rapports maître/esclave, et surtout ce que cela signifie d'être un être humain. La réponse de Charley à cette question est la suivante : « Je ne sais pas ». Terrifiant, non ? On ne lui a jamais appris, comment pourrait-il le savoir ? La monture est donc cela : un apprentissage de l'humanité, de la liberté et de ce que cela signifie; le poids du choix, de la responsabilité, et aussi de la perte liée à l'attachement. Autant d'apprentissages très difficiles pour Charley qui s'y perd, refuse, s'obstine, recherche son petit confort « comme avant ».

Pas mal de choses intéressantes à en dire, toutefois, comme je l'ai dit plus haut, ce roman n'a pas provoqué chez moi les ressentis que j'avais espérés – et craints. Je m'attendais à une lecture particulièrement insupportable, qui me hérisserait à chaque instant. Ca a été le cas pendant le premier tiers, puis la lassitude de la narration et des atermoiements de Charley m'ont lassée. de ce fait, je me suis un peu ennuyée pendant la seconde partie, avant de finir le bec dans l'eau avec cet excipit très ouvert. Je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus fracassant, dérangeant, viscéralement. J'ai été gênée, dérangée, mais ça n'a pas non plus généré chez moi de malaise profond.
Le pire, je crois, c'est que « je m'y suis fait » : peut-être que dans le fond, c'est précisément ça, cette habitude à la servitude, qui peut paraître insupportable. Car j'ai très bien pu comprendre Charley dans son désir de retour au confort et dans son absence de questionnement. Je m'y suis d'ailleurs complu comme lui, finissant par donner raison aux Hoots : syndrome de Stockholm sans doute… En attendant, le roman nous pousse à nous interroger : que ferions-nous, à la place de Charley ? Serions-nous tentés de résister, de nous révolter, ou pas ?
Alors, a posteriori et quelques jours – semaines – après la lecture, je me dis que La monture est un texte qui se rumine. Il faut l'absorber et le mâcher sur la durée comme le font les vaches. Il se réfléchit davantage sur le temps long qu'il ne fait réagir sur le temps court. Selon moi, il ne génère que peu d'émotions brutes et directes dans l'instant, sauf par moments très fugaces. Il provoque au contraire un long chemin de pensée et révèle toute sa force dans cette mastication prolongée. En cela, il est davantage, pour moi, un texte philosophique qu'un roman d'action, et à prendre comme tel.
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