Enemy Ace : War in Heaven

Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il contient les 2 épisodes doubles de la minisérie, initialement parus en 2001, écrits par Garth Ennis. Les pages de l'épisode 1 ont été découpées et esquissées par Christian Alamy et terminées par Chris Weston, avec une mise en couleurs réalisée par Matt Hollingsworth. L'épisode 2 a été dessiné et encré par Russ Heath, avec des couleurs de Hollingsworth. Les 2 couvertures ont été réalisées par Christian Alamy.

En mai 1942, Peter Stalschmidt, en uniforme militaire gare sa voiture dans la cour d'un magnifique château en Bavière. Il toque sur la lourde porte de bois du corps principal : Hans von Hammer, en civil, lui ouvre et lui souhaite la bienvenue. von Hammer félicite son hôte pour sa décoration, la Croix de chevalier de la croix de fer. Stalschmidt indique que c'est Hermann Göring (1893-1946) lui-même qui lui a remise. von Hammer chambre son invité en lui rappelant qu'il avait cassé le nez de Göring en août 1918 et Stalshmidt reconnaît qu'il était un peu inquiet que le chancelier puisse s'en souvenir. Ils sont arrivés dans la monumentale salle à manger : von Hammer explique que plusieurs pièces du château sont encore habitables, mais que cependant ses revenus ne lui permettent plus d'avoir des domestiques. L'invité en vient au fait : il est venu pour demander à son hôte de reprendre du service dans l'armée pour entraîner de jeunes recrues à piloter leur avion militaire. von Hammer explique qu'il n'en a aucune envie. Tout d'abord, il n'a plus revu le chien de meute qui lui servait de gardien spirituel, depuis le 11 novembre 1918, ensuite il refuse de servir aux ordres des nazis. L'invité insiste : il s'agirait d'encadrer de la bleusaille sur le front russe où les pertes en vie humaine sont très élevées et les soldats meurent très jeunes. En juillet 1942, von Hammer & Stalshmidt sont dans une base militaire allemande située à 80 kilomètres à l'ouest de Léningrad.

Hans von Hammer fait une arrivée très remarquée à bord de son avion personnel peint en rouge. le commandant Joachim Engels le prend immédiatement en grippe. von Hammer n'en a cure : il sait que ses états de service parlent pour lui et lui assurent le soutien des supérieurs du commandant. Ce dernier le salue avec une main tendue au nom d'Hitler, il répond délibérément par un salut basique la main portée vers sa casquette, sans signe d'obédience au régime nazi. Une heure après, il est à bord de son avion, à la tête de son escadron avec son ami dans la formation, volant vers le front. Il ne faut pas longtemps pour qu'ils soient repérés par des avions russes, et le combat s'engage en plein ciel, entre une vingtaine de chasseurs. von Hammer est dans son élément : il prend en chasse des avions ennemis et les abat les uns après les autres, tout en donnant des ordres à ses équipiers et en les avertissant du danger. La formation ennemie est pulvérisée, avec très peu de perte pour les allemands. de retour à la base, von Hammer reçoit les félicitations d'Engels qu'il accueille très fraîchement. Répondant à une de ses suggestions, il interdit à Engels de faire peindre un svastika sur le fuselage de son appareil. Stalschmidt fait remarquer à son ami qu'il prend des risques à provoquer ainsi le commandant, puis il enchaîne sur l'ironie des combats aériens. von Hammer le coupe immédiatement, évoquant le souvenir d'un de leur camarade pilote abattu par erreur par une batterie anti-aérienne allemande.

Au fur et à mesure de sa carrière, Garth Ennis a pu insérer des références à des batailles militaires célèbres, que ce soit dans ses séries personnelles comme Preacher, ou des séries de superhéros comme Hitman ou The Demon pour DC Comics. Puis, la renommée venant, il a pu écrire des histoires de guerre comme les anthologies War Stories et Battlefields, faisant preuve d'une érudition impressionnante en la matière et d'un véritable goût pour ce thème. C'est ainsi qu'il en vient à écrire une histoire pour un personnage de guerre de Marvel : War Is Hell: The First Flight of the Phantom Eagle dessinée par Howard Chaykin, et celle-ci pour DC Comics, cet éditeur ayant publié de nombreuses série de guerre avec des héros comme Sgt. Rock, Blackhawk ou The Unknown Soldier. Ici, le scénariste décide de reprendre un personnage inspiré par un aviateur ayant réellement existé Manfred von Richthofen (1892-1918), dont les aventures se déroulaient pendant la première guerre mondiale, avec l'apparition sporadique d'un loup noir sorte d'incarnation de l'esprit animal du pilote, l'instinct qui lui permet de toujours sortir victorieux, même si le poids des morts pèse sur son âme. le lecteur reprend contact avec Hans von Hammer portant bien la cinquantaine, toujours élancé et athlétique, n'ayant rien perdu de sa dextérité à piloter un avion de chasse, et abattre ses ennemis. Il aime toujours sa patrie, mais pas le régime en place, refusant de prêter allégeance au nazisme. le lecteur y voit une intention assez transparente de positionner ce personnage en tant que bon combattant, en tant que militaire professionnel et digne de respect de ce point, et en plus ne se reconnaissant pas dans les valeurs du nazisme, donc digne de respect.

L'histoire se déroule telle que le lecteur peut l'attendre : le personnage principal reprend du service, il abat des ennemis. Grâce à lui les jeunes pilotes survivent au combat et acquièrent de l'expérience. Son unité engrange les victoires. Même si von Hammer joue les vieux rebelles, son commandant n'a d'autre choix que de le supporter car la hiérarchie soutient le pilote, véritable héros de la première guerre mondiale. Mais en janvier 1943, Hans von Hammer commet deux faux pas : il refuse une invitation à être décoré par Adolf Hitler en personne à Berlin, et lors d'une sortie son avion est abattu au-dessus du secteur russe de Léningrad. L'homme du ciel est redevenu un rampant, en plus en territoire ennemi. Il faut qu'il regagne sa base par ses propres moyens en plein hiver russe. le loup veille-t-il encore sur lui ? Cette histoire est parue sous la forme de 2 numéros de 50 pages chacun. Assez curieusement, chacun des deux chapitres est dessiné par une équipe différente. S'il a déjà lu des bandes dessinées illustrées par Chris Weston, le lecteur reconnaît tout de suite son coup de crayon. Cet artiste est adepte des dessins descriptifs avec un niveau très élevé de détails. Il détoure les formes avec un trait fin, précis et assuré. La vue du ciel du château avec ses fortifications, sa tour, son corps de garde, sa cour, ses escaliers extérieurs, le point étroit pour y accéder, la forêt environnante est extraordinaire et donne envie de pouvoir prendre un billet pour le visiter. C'est en partie chose faite avec les pages suivantes qui montrent plusieurs pièces avec leur décoration représentée de manière très minutieuse, des tapisseries à la cheminée monumentale en passant par les lustres et les tableaux accrochés au mur. Ça continue avec une vue générale de la base militaire aérienne, et ses avions bien alignés, le survol de la campagne russe pendant l'été et les petits bouts de champ tout en bas, le survol de Léningrad et les bâtiments reconnaissables à leur architecture spécifique, la fuite dans les rues défigurées par les bombardements et les combats de rue. Enfin, le lecteur suit sans difficulté aucune de compréhension, le mouvement des différents avions dans le ciel malgré leur nombre, ainsi que leur déplacement relatif les uns par rapports aux autres. Il suppose que cette lisibilité provient également de la mise en page assurée par Christian Alamy. La mise en couleurs assure que chaque élément se distingue aisément, et ressorte par rapport à ceux d'à côté.

Avec le deuxième chapitre, la narration visuelle reste dans un registre réaliste, avec un degré de détails moins élevé ce qui donne des dessins à l'apparence plus aérée. Les expressions de visage sont un peu moins nuancées, les personnages devenant plus stoïques, sauf pour le commandant Engels qui a l'air de surjouer son énervement et sa colère contre Hans von Hammer. Pour autant, la narration visuelle reste à un niveau de qualité impressionnant, à commencer par les combats aériens. Russ Heath (1926-2018) est un artiste vétéran des comics de guerre de DC Comics, ayant débuté sa carrière en 1948, et ayant travaillé sur des séries comme Our Army at War, ou Star Spangled War Stories. Il se montre aussi rigoureux que l'équipe précédente en ce qui concerne la véracité historique des uniformes militaires et des avions, une exigence explicite de Garth Ennis pour tous ses comics de guerre. Ainsi le lecteur peut identifier des avions comme le Fokker Dr.I, le Hawker Hurricane, le Messerschmitt Bf 109 et le Mikoyan-Gurevich MiG-3. le lecteur prend tout autant de plaisir à cette narration plus sèche, un tout petit plus dépouillée, un peu plus hiératique. Il n'y a que lorsque que le scénariste lance un long dialogue entre deux personnages qu'elle devient un peu statique.

Le lecteur s'immerge donc dans les missions accomplies par les pilotes de cette base sur le front russe, coupés de la hiérarchie, sentant le vent tourner pour l'Allemagne nazie. Il regarde le vétéran combattre avec la même conscience professionnelle, tout en regardant différemment les morts survenant au combat. En particulier il voit un pilote russe déchiqueté par les balles d'une mitrailleuse dans son siège de pilote. Redevenu terrien à Léningrad, il a également une autre vision de cette guerre. le lecteur sait bien que la fin est proche et que les soldats allemands vont se trouver face à la défaite, face à la capitulation, von Hammer également, comme tous les autres. Il trouve quand même un peu étrange la manière dont le scénariste l'écrit, indiquant à plusieurs reprises que ce vétéran ne se retrouve pas dans les valeurs nazies. Certes il écrit pour DC Comics, un personnage récurrent de fiction, mais quand même, la narration manque un peu de finesse. D'un autre côté, c'est compensé par la justesse de la reconstitution historique, et la sophistication des combats aériens. Ça se gâte un peu avec la discussion finale entre Hans et son ami Peter, et ça se gâte beaucoup avec le dénouement. le lecteur comprend bien l'intention de l'auteur qui se montre on ne peut plus explicite. Mais c'est écrit avec des gros sabots, pour mélanger deux expressions.

Cette histoire complète constitue une reconstitution historique minutieuse, et des combats aériens impressionnants, en mettant en scène un héros récurrent des comics de guerre de l'univers partagé DC. le lecteur est happé par le caractère ténébreux et un peu désabusé de Hans von Hammer, et sourit en le voyant faire tourner en bourrique le commandant nazi. En revanche, s'il a déjà lu d'autres récits de guerre écrits par Garth Ennis, il est déçu par le manque de finesse psychologique.