Samouraï

Quand on tombe de cheval, il faut tout de suite se remettre en selle. Voila la théorie de Jeanne et Florent. Et j'ai envie de leur répondre Sauf quand la chute entraîne un tassement de vertèbres.

Parfois, pour aimer les gens j'essaie de la imaginer enfants, des grands yeux, des grands cils, encore tout nimbés d'innocence immaculée, jouant silencieusement sur des marches d'escaliers avec des Playmobil ou des Barbie, se créant tout un univers pour fuir l'agressivité du monde extérieur, je tente de provoquer chez moi une bienveillance auto-immune, d'aller chercher au plus profond de mon ventre puisqu'elle ne m'apparaît pas naturellement.

Des années durant, on s’invite à des apéros et puis un jour, on n’a rien vu venir: soirée raclette. À quel moment de la vie bascule-t-on au stade soirée raclette? Rien ne marque mieux et de manière plus déprimante le passage à l’âge adulte.

Rien n'est moins intéressant que les gens qui vous parlent de leurs travaux, voilà typiquement le genre de sujet (avec les résultats scolaires de ses enfants) qui n'intéresse que celui qui en parle.

Faute d'être un auteur à succès, je faisais un épouvantail formidable.

Dans Tintin au Tibet, il y a cette séquence avec les sherpas, tous marchent à la queue leu leu sur le chemin, chargés de sacs énormes, et le capitaine Haddock marche loin devant tout le monde, enthousiaste et plein d'entrain, sifflotant, le torse bombé et tête haute, puis au fil des cases, on le voit perdre en superbe et régresser jusqu'à finir loin derrière, épuisé, transpirant et las, voilà, c'est un peu la conception que j'ai toujours eue de la traversée de la vie: on part le torse bombé et on finit cent mètres derrière les sherpas.

Un homme se retrouve coincé dans une soirée raclette qui dure plusieurs jours sans que personne ne songe à l'écourter car tout le monde semble s'amuser. Le personnage principal déteste le fromage mais il n'a osé l'avouer à personne, il va donc devoir pendant des jours duper son entourage, faire croire en permanence que l'une des coupelles qui sont en train de chauffer lui appartient et qu'il mange régulièrement, peut-il tenir? A quel moment l'un des invités va-t-il s'apercevoir que le personnage ne possède aucune coupelle attitrée et qu'il simule depuis des jours? Un huis clos psychologique angoissant, un roman que la solitude, la tolérance, le regard de l'autre et la résilience. (Références : L'enfer c'est les autres - Sartre, Seul sur mars.)

Voilà ce qui nous a toujours rapprochés, Florent et moi : le gène de la catastrophe auto-immune, une aptitude à se rendre la vie plus pénible encore sans la moindre aide extérieure. Un vrai don de Dieu.

La réalité n'était pas catastrophique, elle n'était que normalement médiocre. J'étais rassuré.

Ma mère me répétait toujours cette phrase : Ne ramasse pas ça, un chien a sûrement fait pipi dessus, et je trouvais incroyable le nombre de choses sur lesquelles les chiens faisaient pipi, j'imginais une armée de chiens s'organiser afin de quadriller le quartier et viser des objets soigneusement sélectionnés qui, comme par un hasard malheureux, étaient précisément les choses qui m'attiraient, quel manque de chance. Mais l'argument fonctionnait à tous les coups, il suffisait que ma mère l'utilise pour que je sois immédiatement rebuté et que m'abandonne l'envie d'entrer en contact avec l'objet.