Chagaratt-el-Dorr, au début du XIIIe siècle, a été la première femme à avoir régner sur un peuple musulman en Égypte. Pas très longtemps et souvent en sous-main derrière son sultan, mais le fait est digne d'un roman. Avec La sultane dévoilée, Jean Mohsen Fahmy nous invite à découvrir l'histoire incroyable de cette ancienne esclave, vendue très jeune à des marchands recruteurs pour les harems.
De sa position de concubine, Chagaratt-el-Dorr s'est hissée, à force d'intrigues et de séduction, jusqu'aux plus hauts sommets décisionnels. Contemporaine du roi saint Louis, elle s'est trouvée aux premières loges de la défaite des Francs venus conquérir son royaume lors d'une énième croisade.
Malgré la richesse de son sujet, l'auteur s'est contenté de survoler son récit et quant à son style littéraire, il m'a semblé plutôt destiné à un public adolescent qu'à un lectorat féru d'Histoire. De fait, sa prose manquait de la force nécessaire pour convoquer l'émotion derrière les événements. Je suis donc restée sur ma faim.
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Excellent livre sur un passage peu connu de l'histoire. C'est bien documenté tout en étant romancé. On y apprend sur les croisades et surtout l'ascension de la première (et dernière) femme sultane. C'est un peu le pendant d'une concubine qui serait devenue impératrice, sauf qu'ici, ça se passe chez les musulmans.
Je ne connaissais ni l'auteur, ni cette histoire, mais ils valent tous deux le détour! Un bon moment de lecture.
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...j’avais acquis une conviction : le sultan du pays, notre vrai maître, n’était pas celui qui gesticulait devant des serviteurs terrorisés. Al-Salih n’était pas vraiment le Détenteur du Pouvoir, comme voulait nous le faire croire l’un de ses multiples titres.
Celui, ou plutôt celle qui détenait le vrai pouvoir, le pouvoir de décider des affaires du pays et de la communauté des fidèles, c’était bien l’épouse du sultan, c’était Chagaratt el-Dorr.
Et pourtant, rien n’en transparaissait devant le bon peuple. Il eût été inconcevable de dire que notre seigneur, le vrai décideur, le vrai défenseur des musulmans d’Égypte et de Syrie, le vrai sultan, était une femme !
Quand j’en étais là dans mes réflexions, je me disais que le peuple, s’il apprenait ce qui se tramait derrière les murailles du Palais, ce qui se passait dans l’ambiance feutrée et confinée du harem, en serait tout ébahi. Une femme, diriger les affaires ? Une femme, conseiller le sultan ? Une femme, prendre des décisions qui concernaient tout le monde ?
Ce que mon ami le commerçant et l’écrasante majorité des gens ignoraient, c’est que je pouvais bel et bien être attiré par une femme. Je pouvais admirer sa beauté, aimer sa grâce, éprouver même du désir, sentir un élan me pousser vers elle, vouloir explorer, non seulement du regard, mais aussi des mains et des lèvres, sa bouche, son cou, ses seins, son ventre, mais mon corps restait inerte, j’étais comme un meuble, un objet qu’on effleurait à peine du regard, et l’on me confiait sans la moindre hésitation la garde des femmes, ignorant à quel point c’était souvent pour moi, et pour les eunuques sous mes ordres, cause de souffrance.
La beauté et la grâce de Chagaratt el-Dorr m’avaient donc fait comprendre la décision de notre sultan de se séparer de ses autres épouses pour ne vivre qu’avec elle, même s’il bafouait ainsi une tradition séculaire. Il n’était guère difficile de constater qu’il était follement amoureux d’elle.
Puis, j’appris à admirer l’Arbre de Perles. Je l’admirai à cause de son intelligence, de la grandeur qu’elle avait su donner à l’Égypte. Et cette admiration se mua peu à peu en une forme d’affection, et même, je dois bien l’avouer, de trouble devant sa fulgurante beauté.
Je la voyais quelquefois dans son intimité. J’admirais son corps, son visage, ses yeux magnifiques. J’admirais son élégance et l’extraordinaire art avec lequel elle avait su séduire tous ceux qui la croisaient.
Elle m’avait séduit, même si je ne pouvais guère exprimer l’admiration que je lui portais.
Et maintenant, elle n’est plus là… Son corps a été profané.
Mais plus les semaines et les mois passent, plus je prends conscience qu’on n’oubliera pas de sitôt Chagaratt el-Dorr, la première sultane, la première femme dont le nom ait été invoqué dans les mosquées de la oumma musulmane, la première femme qui ait régné sur les musulmans.
Chagaratt el-Dorr a rarement évoqué devant moi ses moments d’intimité avec Al-Salih, sauf, parfois, au détour d’une boutade. Un jour qu’elle était d’humeur particulièrement riante, elle me dit : « Sais-tu, Aïcha, quelle est l’arme invincible pour… allumer un homme ? » Je dis que je n’en savais rien, puisque j’étais vierge — à l’époque, je n’avais pas encore connu Badr. Elle éclata d’un de ses rares rires spontanés et me dit : « Les pétales de roses, Aïcha. » Comme ma mimique témoignait de façon éloquente de mon étonnement, elle m’expliqua longuement, dans un chuchotement plein de sourires, ce qu’elle entendait par là.
Pour le sultan, pour les courtisans, pour le peuple, j’étais, comme tous les autres eunuques, un être méprisable, un sous-homme. Ma condition me rendait invisible et, quand j’osais paraître en public, on se moquait de moi, certains me crachaient dessus et les enfants me jetaient des pierres. Je ne pouvais certes pas avoir des sentiments comme les autres, je ne pouvais pas être attiré par les femmes, j’étais inoffensif, et c’est pourquoi les sultans, les princes et les riches pouvaient me confier, à moi et à mes semblables, leurs femmes et leurs concubines, c’est-à-dire leurs biens les plus précieux.