Les livres sont des passeurs de vie. C'est ce que nous révèle Juliette, l'héroïne du nouveau roman de
Christine Férêt-Fleury,
La fille qui lisait dans le métro.
Triste Juliette, au départ, dans sa voiture brinquebalante sur la ligne 6 du métro parisien. Plus que lire, durant ses trajets, elle scrute les autres lecteurs et lectrices. Trois particulièrement. le premier s'intéresse à la nature, la seconde à la cuisine et la troisième à l'amour. Au meilleur de la vie, en somme. Ils la fascinent par leurs gestes de dépit, leur sourire, leurs larmes. Ces manifestations d'émotions, dans un espace où l'on se frôle ou se bouscule sans pourtant nouer de contacts, sont le premier indice que la vie est dans les livres. Comme un visage s'illumine par la grâce d'un écran rétro-éclairé, les yeux et les mains des lecteurs de métro s'animent en réaction aux univers que leurs ouvrages contiennent.
Bien sûr, ce serait trop simple si Juliette comprenait ça d'un seul coup. Face à ses dossiers mesquins, dans son agence immobilière, ou seule dans son studio, le soir. Il va falloir un périple, une sorte d'initiation, pour qu'elle s'en aperçoive. Et d'abord une rencontre. En souffrant pour un livre coincé dans une porte, Juliette pénètre dans une caverne.
Ok, rembobinons un petit coup. En souffrant pour un livre coincé dans une porte ? Oui, c'est comme ça. Il reste en Juliette, à part l'amour des autres dans le regard, une propension à ce que l'on appelle l'animisme. Pour elle, les livres ont une âme. Une existence propre. Ils se cachent quand ils ne veulent pas être lus, enflent pour vous protéger… Décident de leur destin et vibrent, en somme de toute la vie qu'ils contiennent (mais bon, ça, Juliette ne l'a pas encore compris, retour à la caverne).
La caverne dans laquelle Juliette pénètre n'est pas celle de
Platon (oui, on a des lettres), mais ce n'est pas loin. Les ombres qui y sont projetées ne sont pas celles des formes du monde extérieur. Dans la caverne, les ombres soulignent ce qui est absent au dehors. le temps, par exemple. Dans la caverne, on prend le temps, on se respecte, on boit du thé ensemble en se donnant l'occasion de se connaître, on est pudique et aimant à la fois. Et l'amour, on est d'accord, n'est pas ce qui est le mieux distribué dans le grand marché de l'univers, là, à l'extérieur.
La caverne est bâtie de livres (franchement, vous vous attendiez à quoi – on parle de Juliette, tout de même). Ils forment ses murs, son sol, dessinent l'espace dans lequel on circule.
Elle est tenue et habitée par un ermite, volontairement coupé du monde. Soliman (le Magnifique, demandez-vous, certes, certes). Soliman est un exilé. Il connaît la coupure d'avec ce qu'on connaît, la rupture, le déchirement, la tentative d'enracinement ailleurs. Il connaît, ce qui ne veut pas dire qu'il supporte. Mais pour Soliman aussi (c'est pour ça qu'il va bien avec Juliette), les livres sont vivants. Il en a même carrément fait le terreau dans lequel il s'enracine et qui le nourrit.
Et parce qu'ils l'aident tant, Soliman y croit dur comme fer, les livres pansent les plaies et redonnent goût à la vie, ce goût si sacrément important à partager.
Dans sa voix, Juliette entend un ordre doux : donne les livres, mon amie, disperse le goût des choses, mais avec discernement.
Elle n'est pas la seule à l'entendre. Soliman reçoit dans la caverne des hommes et des femmes qui s'en vont ensuite offrir des livres aux quatre coins de la ville. Mais pas n'importe comment. Car, de même qu'il ne sert à rien de prescrire de la cortisone à un enrhumé, n'importe quel livre n'exhale pas la vie auprès de n'importe qui.
Comment savoir alors ce qui convient à telle lectrice hantée, à ce lecteur grisâtre ? C'est compliqué. Juliette ne se sent pas à hauteur de sa mission. Peu importe, car Soliman va lui en confier une autre, bien plus importante.
N'allons pas plus loin. Il faut lire le roman.