Les lions, les zèbres, les antilopes, les rhinocéros… et le braconniers. C'est à une lutte sans merci et inégale que
Caryl Férey nous convie. Comme d'habitude dans ses romans, le récit est noir, brutal, et sans concession.
Des raisons à ce carnage, il y en a et
Caryl Férey les explique longuement dans son texte : les cendres encore chaudes de la guerre en Namibie et en Angola, la fin de l'Apartheid en Afrique du Sud, le pillage auquel les Occidentaux se livrent depuis des siècles, plongeant les Africains dans une misère noire, le changement climatique, et pire que tout, l'appât du gain. Il y a des raisons oui, mais sont-elles compréhensibles pour autant ?
C'est cet aspect que je retiens de la lecture de ce polar : la colère de
Caryl Férey, qui, enfant, souhaitait être chasseur de braconniers pour mettre fin aux massacre des animaux sauvages, coupables de rien sinon d'être trop libres. C'est la dénonciation d'un système inégalitaire qui continue à mettre à terre des autochtones qui ne sont plus maîtres de leur terre ancestrale ni de leur destin, englués dans une pauvreté qui leur colle aux basques et qui les pousse à participer au braconnage pour s'en sortir (je pense au misérab
le destin d'un pisteur qui braconne pour avoir l'argent de monter sa propre affaire d'éco-tourisme, tragique paradoxe). Alors certes les exposés de
Caryl Férey m'ont souvent semblé un peu moralisateurs, mais n'est-ce pas entendable ?
Cette colère face à une injustice totale, et qui nous concerne tous même si elle nous paraît loin, a cependant
le désavantage d'écraser une intrigue pourtant solide : un pisteur est trouvé mort dans la réserve de Wild Bunch, en Namibie, fondée par
John Latham, un autodidacte dont la fortune provient de l'exploitation d'une mine de diamants, et qui souhaite redistribuer au pays un peu de sa richesse en préservant ses animaux sauvages. Que faisait là ce pisteur ? N'aurait-il pas été envoyé par le Scorpion, un cruel trafiquant d'animaux qui souhaite mettre la main sur la corne des rhinocéros du parc, dont la kératine ne monnaye à prix d'or ? Solanah Betwase, la ranger du parc voisin de Bwabwata, accompagnée de son équipier Seth Chikongo, mèneront cette enquête, qui les entraînera forcément plus loin que ce à quoi ils s'attendaient.
L'intrigue m'a parue assez lente à se mettre en place, l'auteur étant plus occupé, comme je
le disais un peu plus haut, à planter
le décor historique et politique de l'Afrique australe. Cela m'a un peu déroutée, et gênée dans la compréhension globa
le de l'intrigue,
Caryl Férey la faisant en outre aller un peu dans tous les sens : des histoires d'amour se mêlent au polar ethnographique et social, et si l'auteur est doué dans ce dernier aspect, son écriture se faisant âpre, en revanche j'ai senti que le premier aspect était moins son truc, sa plume devenant un peu mièvre à cette occasion.
Mais «
Okavango » est loin d'être une bluette, et
Caryl Férey s'en souvient bien, puisque son roman reste très noir, lucide sur une humanité allant à sa perte par sa propre faute ; il n'y a ni gagnants ni perdants, comme le prouve sa fin magistrale et amère, laissant bien songeur sur le futur qui nous attend, nous qui ne savons même plus protéger les richesses et les beautés de ce monde.