Comme si elle tournait les pages d'un gros album-photos, la narratrice restitue les événements que vécurent
les Bourgeois, cette famille de la bonne bourgeoisie parisienne des années 14-18 à nos jours. Sur quatre générations, ils traversent les soubresauts de l'Histoire de notre pays sans pour autant être perméables aux évolutions des mentalités. du moins jusqu'aux années 70, les événements de mai 68 ayant tout de même un peu modifié les états d'esprit de la jeune génération.
Catholiques pratiquants, fervents chrétiens respectueux du Pape et de l'Église, les fondateurs de la famille, Jules et Valentine, font naître, éduquent et modèlent pour la vie sept enfants dont les deux aînés mourront dès le premier mois de la guerre, en 1914. La narratrice s'attache alors au devenir d'Henri et de sa femme Mathilde, monarchistes, de la droite dite « sociale » mais qui serait qualifiée d'extrême aujourd'hui.
« Ils seraient les représentants d'une époque et d'un milieu typiquement bourgeois, parisien, catholique, très “Action française” comme on le dit maintenant, avec la sévérité de ceux qui viennent après et n'ont guère de mérite, puisqu'ils savent où mènent certaines idées et que l'Histoire a jugé. »
Dix enfants nés par petits groupes sans pour autant laisser une longue période de répit à la mère qui décédera en mettant au monde Marie, la dernière.
La vie se déroule dans le 16ème arrondissement, sur le très chic boulevard
Emile-Augier, mais aussi dans la propriété de famille des parents, en Corrèze, puis dans un château « tarabiscoté » dit l'auteure aux multiples chambres. « Croissez et multipliez », Henri a pris le commandement au pied de la lettre et les aînés diront n'avoir vu leur mère qu'enceinte... Elle y trouve son bonheur, son utilité, son épanouissement. Et la mort aussi.
L'auteure a ce mérite de faire réellement vivre ses personnages, ils sont plus qu'esquissés, on les suit avec intérêt, du moins les garçons, devenus officiers, avocat, médecin...Les femmes, elles, sont mères au foyer et semblent ne pas s'en plaindre. Même si Louise aurait bien aimé chanter, faire de la musique. Mais avec sept enfants...
On peut s'irriter de voir ainsi les femmes se transformer en génitrice mais au final
les Bourgeois forment une sorte de tribu, un clan dans la société, avec ses particularités qui peuvent faire envie. Il est à noter que la fortune initiale de la famille, compte tenu du nombre d'héritiers à chaque génération, se parcellise considérablement. Chaque cellule familiale sera pourtant d'un niveau économique moyen ou aisé. La narratrice insiste sur le primat donné aux valeurs (patrie, honneur, morale) plutôt qu'à l'argent.
L'intérêt de ce roman réside aussi- voire surtout - dans l'évocation de l'arrière-plan historique. Nous revivons avec
les Bourgeois les deux guerres mondiales et la guerre d'Indochine, les « événements » d'Algérie, la prise de parole des féministes (toutes laides, hystériques et méchantes, c'est bien connu). mais surtout, nous écoutons les arguments de gens que, spontanément, on n'aurait pas envie d'entendre : les défenseurs de Pétain en 1940 (plutôt être le bouclier que l'épée pour sauver la France), les adeptes des familles ultra-nombreuses, les partisans de la monarchie.
Nous entendons leurs arguments,
Alice Ferney leur donne la parole sans les défendre, sans les jeter aux chiens non plus. Historienne, elle réfléchit sur les multiples erreurs de la France lors des guerres, erreurs de commandement, d'analyse politique. Son attitude me semble intelligente et honnête, replaçant les faits et prises de position dans leur contexte.
On peut qualifier ce roman de roman historique, écrit de façon très vivante dans un style agréable et efficace qui procure un vrai plaisir de lecture.